L’année 2020 est dure pour la communauté des internationalistes français. Après la disparition de Charles Leben, c’est celle de Philippe Kahn survenue le 24 novembre, des suites de la Covid 19 qui nous frappe et c’est encore une grande figure qui disparaît. Ayant suivi un parcours original dans le cadre d’une riche carrière au CNRS, Philippe Kahn aura marqué profondément le développement du droit  international économique en France avec une ouverture remarquable tant sur le droit international privé – sa discipline d’origine – que sur le droit international public mais aussi l’économie, la science politique et l’histoire, sans oublier la pratique des affaires et l’étude directe des contrats internationaux.

Issu de la brillante cohorte des disciples de Berthold Goldman à la Faculté de droit de Dijon aux côtés notamment de Philippe Fouchard et de Gérard Farjat, Philippe Kahn, par sa thèse demeurée une référence sur la vente internationale , contemporaine de celle de Philippe Fouchard sur l’arbitrage international, a marqué l’essor de l’école de Dijon, autour de la mise en évidence de la lex mercatoria et des recherches sur ce thème. Directeur pendant près de quarante ans du Clunet, il créa en 1969 avec le soutien du doyen Jacques Dehaussy le célèbre CREDIMI (Centre de Recherches sur le Droit des Investissements et des Marchés Internationaux) dont la vitalité et la production scientifique ont attiré à Dijon nombre de chercheurs, mais aussi d’universitaires français ou étrangers et de praticiens. Les célèbres colloques du CREDIMI, préparés dans le dialogue avec les intervenants et avec la plus grande exigence intellectuelle, ont interrogé l’impact de l’internationalisation des échanges économiques – avant même que l’on parle de mondialisation – dans tous les domaines, de l’énergie à la finance, de l’industrie à l’agriculture, de l’environnement à l’espace. Avec une intuition très remarquable des évolutions à venir et des champs nouveaux à explorer, Philippe Kahn fut un chercheur au plein sens du terme, comme l’hommage lui en fut rendu à l’occasion de la célébration du cinquantenaire du CREDIMI en décembre 2019. Philippe Kahn fut aussi un professeur admiré, attentif à ses nombreux doctorants et aux jeunes chercheurs français et étrangers qu’il a encouragés, comme l’a manifesté entre autres sa direction du Centre d’études et de recherche de l’Académie de droit international de La Haye sur l’investissement international en 2004. Sa défense souvent acharnée de l’existence du CREDIMI, ses convictions et la vigueur de sa pensée n’ont jamais altéré l’extrême courtoisie et l’amitié que cet épicurien à la silhouette de patriarche à la barbe fleurie, attaché à la Bourgogne, a manifestées à tous ceux qui ont pu travailler avec lui. Ses liens avec la SFDI n’ont jamais cessé depuis le premier colloque fondateur en 1969 à Dijon, consacré à la Convention de Washington, dont il fut l’artisan avec Jacques Dehaussy.

Geneviève Bastid Burdeau

La disparition de Philippe Kahn me touche particulièrement.

Jeune professeur, je me souviens de sa constante bienveillance envers ceux qui débutaient, et de la grande confiance qu’il vous accordait d’emblée. Le champ du droit international économique nous a  rapprochés. Me connaissant à peine, il m’avait confié la rédaction d‘articles pour le Clunet qu’il dirigeait alors. On n’oublie jamais celui qui vous guide dans vos premiers pas.

Il effaçait les barrières entre les matières pour embrasser les aspects juridiques des phénomènes économiques sans se soucier de leur compartimentage. En cela il était un précurseur. Sa facétie, son acuité intellectuelle, sa constante bonne humeur derrière sa silhouette de sage druide en faisait un personnage particulièrement humain. Quelqu’un de bien, tout simplement.

Jean-Marc Sorel