ALVAREZ

Photo : Académie de droit international  de La Haye. Avec l’aimable autorisation du Secrétaire général

ALEJANDRO ALVAREZ

(1868-1960)

Né le 9 février 1868 à Santiago du Chili et mort, à Paris, le 19 juillet 1960, Alejandro Alvarez consacre soixante années de sa vie au droit international public : en qualité de diplomate, de publiciste et de juge.

Avocat en 1892 puis professeur de droit civil à l’Université de Santiago en 1895 (puis de droit civil comparé en 1900), Alejandro Alvarez se rend à Paris où il obtient le diplôme de l’École libre de sciences politiques (1898) et le grade de docteur en droit en 1899. Sa thèse consacrée à L’influence des phénomènes politiques, économiques et sociaux sur l’organisation de la famille moderne marque déjà son approche originale du droit.

Le juriste diplomate

Alejandro Alvarez entre dans le droit international public par la pratique. En effet, il se met au service de l’État chilien. En qualité de jurisconsulte, il est l’un des conseillers juridiques du ministère des Affaires étrangères entre 1906 et 1912, avant d’être désigné pour les légations du Chili en Europe et auprès de la Société des Nations entre 1913 et 1923. Durant cette période, le juriste chilien représente aussi son pays lors de conférences régionales d’importance, parmi lesquelles les conférences panaméricaines (en 1901-1902, 1910, 1923 et 1928) ou à la conférence sur la codification (à Rio de Janeiro, en 1912). Il a aussi été le vice-Président de l’Académie diplomatique internationale.

Juriste reconnu par ses pairs, Alejandro Alvarez consacre une part importante de ses activités personnelles aux associations les plus influentes. Charles Rousseau dira de lui qu’il a cumulé « les titres honorifiques et scientifiques ». Il est membre (par exemple) du Curatorium de l’Académie de droit international de la Haye, de l’Union juridique internationale et de l’Institut de France. Il est également vice-président de l’International Law Association. En outre, il devient associé (1913), puis membre (1921) et enfin membre honoraire (1952) de l’Institut de droit international.

Dans ces organismes, en qualité de rapporteur, Alejandro Alvarez se montre particulièrement actif. Ses propositions les plus remarquées (et certainement les plus pérennes) portent sur la codification du droit international (en 1927, 1929 et en 1947). À ce sujet, Alvarez indique que toute codification ne devrait plus simplement clarifier le droit existant. La codification doit être un travail d’amélioration du droit, un droit caractérisé par sa souplesse et orienté vers ce qu’il devrait être. Enfin, seules les matières qui n’ont pas fait l’objet d’un consensus international devraient être codifiées dans des termes concis.

Le publiciste

Alejandro Alvarez a beaucoup écrit : ses rapports, ouvrages, articles, comptes rendus ou préfaces approchent la centaine. Cependant, deux idées principales caractérisent son apport théorique : l’émergence du droit international américain et son exhortation à reconstruire le droit international universel.

Karl Strupp a dit du juriste chilien qu’il est le « créateur du droit international américain ». En effet, dès 1910, A. Alvarez démontre que face aux différends sui generis (nationalité, frontières, asile, etc.), des règles régionales peuvent être valablement adoptées par les États d’une même région. C’est le cas sur le continent américain depuis la « doctrine de Monroe » de 1823. Ces règles régionales ont vocation à être appliquées par principe et au détriment du droit international traditionnel (inadapté aux spécificités locales), dès lors qu’un différend opposerait des États de ce continent (voir son opinion dissidente dans l’affaire jointe à l’arrêt du 20 novembre 1950 dans l’affaire du Droit d’asile (Colombie/Pérou)). Ce faisant, Alvarez remet en cause le principe d’universalité du droit international public, défendu avec force par ses pairs, notamment par son ami James Brown Scott, co-fondateur de leur Institut américain de droit international.

En outre, annonçant l’apparition d’un ordre nouveau depuis 1945, Alejandro Alvarez appelle à la reconstruction d’un droit international mis en conformité avec la vie des peuples. Ce droit international nouveau, appuyé sur l’idée d’interdépendance des États, poursuit des objectifs inédits. Parmi ceux-ci, l’intérêt général, celui de la société internationale, doit primer sur les intérêts particuliers des États et conduire à sanctionner tout abus de droit. Il en résulte des obligations juridiques et morales mais aussi des devoirs mis à la charge de chaque État. Le juriste clarifie ce point par son Projet de déclaration des grands principes du droit international moderne. Ainsi, A. Alvarez invite ses pairs à reconstruire leurs méthodes et leurs conceptions en droit international. Cette reconstitution nécessite non seulement l’étude de deux nouvelles disciplines, proposées par le chilien : la science de la vie internationale et la science de la psychologie des peuples. Mais la reconstruction s’accompagne aussi de la création de l’Institut des hautes études internationales, en 1921, par P. Fauchille, A. de La Pradelle auquel s’associe le chilien qui en sera l’un des directeurs et des enseignants.

Le juge dissident

Si Alejandro Alvarez a exercé des fonctions d’arbitre à la Cour permanente d’arbitrage de la Haye de 1907 à 1920 et au Tribunal arbitral mixte hungaro-tchécoslovaque, ce sont les opinions du juge dissident qui marquent le plus les esprits. Le juriste chilien siège, en effet, à la Cour internationale de Justice de 1946 à 1955. De façon pédagogique, dans ses positions individuelles, le juge Alvarez s’efforce de promouvoir les rôles singuliers que doivent jouer l’Assemblée générale de l’ONU et la CIJ, dans la consolidation du droit international nouveau, un droit éminemment politique ; et dans l’organisation de la société internationale universelle (opinion individuelle jointe à CIJ, Conditions de l’admission d’un Etat comme Membre des Nations Unies, avis consultatif du 28 mai 1948).

En matière institutionnelle, le juge Alvarez considère que l’Assemblée des Nations Unies est l’une des principales sources du droit des gens, à côté de la CIJ et de la communauté des juristes. Par ailleurs, elle peut être amenée à limiter les droits des États, qualifier l’abus de droit (commis par un État ou par le Conseil de sécurité) et préserver l’intérêt de la société internationale. (opinion dissidente jointe à CIJ, Compétence de l’Assemblée générale pour l’admission d’un Etat aux Nations Unies, avis consultatif du 3 mars 1950). Enfin, les conventions onusiennes, telles que celles portant sur le génocide, sont « presque de véritables lois ». Le juge Alvarez préconise, par conséquent, d’ôter tout effet juridique aux réserves formulées à l’encontre de ces traités (opinion dissidente jointe à CIJ, Réserves à la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, avis consultatif du 28 mai 1951).

En matière d’office du juge, la Cour doit résoudre les litiges et développer le droit existant, dans un esprit progressiste. Ainsi, si le droit des gens est lacunaire, le juge doit le réformer ou le créer à l’aide de méthodes et d’interprétations originales, adaptées aux « nouvelles conditions de la vie des peuples » (opinion dissidente jointe à CIJ, Compétence de l’Assemblée générale pour l’admission d’un Etat aux Nations Unies, avis consultatif du 3 mars 1950 ; opinion individuelle jointe à CIJ, Affaire des pêcheries (Royaume-Uni c. Norvège), arrêt du 18 décembre 1951).

Si d’un côté, on a pu dire que les idées d’Alejandro Alvarez ont souvent été accueillies avec scepticisme et ironie (Para-Pérez, 1962), d’un autre côté, elles ont inspiré d’autres juristes latino-américains comme par exemple J. M. Yepes (1892-1962).

 

Jessie DUVAL  

Doctorante à l’Université Paris Est  

 

Sources : « Alvarez Alejandro » curriculum vitae, RCADI, 1923, pp. 609-610 ; A. T. Leonhard, « Alvarez Alejandro » in Warren F. Kuehl, Biographical Dictionary of Internationalists, Westport, Conn., Greenwood Press, 1983, pp. 14-15 ; C. Parra-Pérez, « Notices sur la vie et les travaux d’Alejandro Alvarez », Institut de France, année 1962, numéro 42, pp. 3-29 ; Ch. Rousseau, « Alejandro Alvarez » (1868-1960), RGDIP, 1960, n° 3 t. XXXI, pp.690-692 ; Yepes, J.M, Alejandro Alvarez créateur du droit international américain, Paris, Les Éditions Internationales, 1938.

 

BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE

Ouvrages

Le droit international américain, son fondement, sa nature : d’après l’histoire diplomatique des États du Nouveau Monde et leur vie politique et économique, Paris, Pedone, 1910, 386 p.

La Codification du droit international, ses tendances, ses bases, Paris, A. Pedone, 1912, 294 p.

La grande guerre européenne et la neutralité du Chili, Paris, A. Pedone, 1915, 316 p.

Le Nouveau droit international public et sa codification en Amérique, Paris, A. Rousseau, 1924, 66 p.

The Monroe Doctrine, its importance in the international life of the states of the new world, New York, Oxford University Press; 1924, 573 p.

La Reconstruction du droit international et sa codification en Amérique, Paris, A. Rousseau, 1928, 359 p.

Le droit international nouveau : son acceptation, son étude, Paris, Dalex, 1960, 127 p.

 

Rapports

L’Organisation internationale d’après le traité de Versailles. Droit public européen, droit public américain. Communication à l’Académie des Sciences morales et politiques (1919)

Projet d’une réglementation des voies de communications maritimes en temps de paix présenté à la Commission de neutralité de la International Law Association, Londres , 1924

Première Commission. La codification du Droit International. Institut américain de Droit international, New York, (1929)

La vie internationale américaine et la solution des grands problèmes contemporains) Union juridique internationale (1937),

Méthodes de la codification du droit international public, l’état actuel de ce droit, rapport présenté par Alejandro Alvarez, Paris, Les Éditions internationales (1947)

Rénovation des bases de la vie des peuples : suivi des communications de membres de l’Institut de France de professeurs à la Faculté de Droit et de Diplomates, Paris, Les Éditions France-Amérique, 1948, 168 p.

 

Articles

« L’histoire diplomatique des Républiques américaines et la Conférence de Mexico », RGDIP, 1902, pp. 530-590

« Des Occupations de territoires contestés, à propos de la question de limites entre le Chili et la République Argentine », RGDIP, 1903, pp. 651-690

« Le droit international américain », RGDIP, 1907, pp. 393-405

« La doctrine de Monroe et la quatrième Conférence pan-américaine », RGDIP, 1911, pp. 37-44

« La codification du droit international américain. Ses tendances. Ses bases », RGDIP (compte-rendu), 1912, pp. 279-280

 

Préfaces

C. J. Colombos, Le Droit international de la mer, Paris, A. Pedone, 1952, 660 p.

N. Mateesco, Le droit international nouveau, Paris, A. Pedone, 1948, 175 p.

A. Garcia Robles, Le Panaméricanisme et la politique de bon voisinage, Paris, Les Éditions internationales, 1938

I. Tomsic, La reconstruction du droit international en matière des traités, essai sur le problème des vices du consentement dans la conclusion des traités internationaux, Paris, A. Pedone, 1931

K. Strupp, Éléments du droit international public universel, européen et américain, Paris, Rousseau et Cie, 1927, 432 p.