BARTIN

 Photo : Académie de droit international de La Haye. Avec l’aimable autorisation du Secrétaire général

ÉTIENNE  BARTIN

(1860-1948)

 

Né le 2 octobre 1860 à Chauriat (Puy-de-Dôme), Etienne Adolphe Bartin consacra sa vie à la recherche. Après avoir obtenu l’agrégation des facultés de droit en 1887, il est professeur de droit romain à la faculté de droit d’Alger (1887), de droit international privé à Lille (1889), puis de procédure civile à la faculté de droit de Lyon (1893). Il fut ensuite nommé à la faculté de droit de Paris en 1901, où il occupa la chaire de droit civil à partir de 1907, puis celle de droit international privé à partir de 1926, succédant ainsi à Antoine Pillet.

Un civiliste internationaliste

Contrairement à Pillet, Bartin est d’abord un civiliste, devenu internationaliste par le biais du droit civil. Cet ancrage dans le droit interne a façonné sa vision du droit international privé. Maurice Picard dit de lui : « c’est en tant que civiliste, et parce qu’il était avant tout civiliste, qu’il a pu analyser avec tant de pénétration les règles de conflit et écrire ses trois études sur les qualifications, le renvoi et l’ordre public, qui demeurent le travail le plus profond, le plus original et le plus parfait qui ait été fait en droit international privé » (RTD. Civ, 1949, p. 5). Son activité de recherche restera toujours partagée entre ces deux domaines. A la fois membre associé de l’Institut de droit international et cofondateur de la Revue trimestrielle de droit civil en restant, jusqu’à sa fin, membre du Conseil de direction, Etienne Bartin s’illustre dans les deux disciplines.

Dans le domaine du droit civil, sa plus grande œuvre est sans aucun doute la 5e édition du Cours de droit civil d’Aubry et Rau, travail auquel il consacra plus de 10 ans de sa vie. Son premier « grand » ouvrage en droit international privé, ses Etudes de droit international privé, publié en 1899, est en réalité la compilation de trois articles : « La théorie des qualifications en droit international privé », paru au Journal du droit international privé en 1897 ; « Les conflits entre dispositions législatives de droit international privé. Théorie du renvoi », publié dans la Revue de droit international et de législation comparée en 1898, enfin « Les dispositions d’ordre public – La théorie de la fraude à la loi, et l’idée de communauté internationale », publié dans la Revue de droit international et de législation comparée en 1897.

Conception particulariste du droit international privé

Ces trois articles reflètent l’idée générale que s’est forgée Bartin du droit international privé. Il précise dans sa préface des Etudes de droit international privé que « les règles de conflit sont des règles nationales, dans chaque pays, au même titre que les institutions de droit interne dont elles circonscrivent le domaine. Elles leur restent liées comme l’ombre au corps, parce qu’elles ne sont autre chose que la projection de ces institutions elles-mêmes sur le plan du droit international » (p. II). Il estime impossible l’unification définitive des règles du droit international privé, parce que chaque Etat retient ses propres conceptions des institutions juridiques, divergence que les règles de conflit ne peuvent gommer. Au contraire, elles l’amplifient. Il a ainsi représenté, en face de Pillet, en droit international privé, la thèse du « particularisme » opposé à celle de « l’universalisme ».

Cet ancrage du droit international privé dans le droit civil demeure sa thèse maîtresse, même si les raisons justifiant ce lien de dépendance semble avoir évolué dans ses écrits. Alors que la relation entre droit interne et droit international privé semble être davantage organique dans ses Etudes, elle devient, dans son dernier ouvrage, Principes de droit international privé selon la loi et la jurisprudence française, ouvrage inachevé puisque le 4e tome envisagé – portant sur l’autonomie de la volonté – n’a jamais été publié, politique, parce que souverainiste. Ses convictions politiques ont en effet évolué. Radical de gauche au début de sa carrière, Bartin rejoint en 1925 l’Action française. Sa pensée sur le droit international privé semble influencée par ce nationalisme déclaré. Bartin explique alors l’influence du droit international privé sur le droit interne en ces termes : « Le droit international privé n’est pour moi que la somme, dans un Etat donné, des effets de la souveraineté de cet Etat dans l’ordre des intérêts privés » (Principes de droit international privé, tome II, p. 9, § 223). La raison en est que « [l]e conflit des lois devient ainsi, pour la législation sur laquelle on raisonne, comme un procédé permanent de contrôle, dans l’ordre du droit civil interne, du principe des institutions de droit privé : il oblige le civiliste à dissocier, pour chaque institution de droit privé, dans le conglomérat de raisons plus ou moins cohérentes qu’on donne de cette institution, les raisons qui méritent d’être retenues, de celles qui ne méritent pas de l’être ». Et Bartin poursuit : « Il opère à la façon de ces poisons qui tuent certains organes de l’être vivant, et qui permettent, par là même, au physiologiste, de juger du fonctionnement des autres. Il y a, dès lors, une répercussion non négligeable du conflit des lois sur les études de droit civil interne » (p. 16).

Un précurseur de la doctrine française de droit international privé

Sur le plan de la théorie générale des conflits de lois, Bartin reste celui qui, concomitamment avec Kahn en Allemagne, a « découvert » le problème des qualifications. Alors que le système développé par Savigny des règles de conflit de lois repose sur une communauté de droits, selon laquelle les institutions ont une nature ou une essence indiscutable, Bartin montre que chaque Etat peut qualifier une relation juridique de différentes façons, ce qui peut conduire à des conflits de catégorie. Il faut alors, selon Bartin, qualifier la relation lege fori, solution que la Cour de cassation a fait sienne un demi-siècle plus tard (dans l’arrêt Caraslanis de 1955). Bartin est également connu pour avoir forgé l’expression de « conflit mobile », décelant ainsi les difficultés provoquées par un déplacement dans l’espace du facteur de rattachement, et conceptualisé la notion de compétence internationale indirecte, à l’aune de laquelle un jugement étranger peut produire des effets en France.

Un technicien adepte des nouvelles méthodes d’étude du droit

Sa conception particulariste du droit international privé est servie par l’utilisation d’une méthode qui se développe à son époque, fondée sur la dissection des décisions de justice. Bartin s’inscrit en effet dans le courant du début du XXe siècle concevant la science du droit comme une science expérimentale. Il fonde en 1902, avec Planiol, la Revue trimestrielle de droit civil, où la jurisprudence est méthodiquement étudiée et cite abondamment dans ses Principes de droit international privé l’ouvrage de Claude Bernard La science expérimentale. Dans son éloge de Bartin à la Revue critique de droit international privé, Batiffol dit ceci : « M. Bartin traite des décisions de jurisprudence comme un botaniste des pièces d’un herbier, les disséquant, bâtissant des hypothèses à leur propos, proposant des vérifications ».

Caroline KLEINER

Professeure à l’Université de Strasbourg

 

Sources : H. Batiffol, « Étienne Bartin (1860-1948) », Rev. crit. DIP, 1949, p. 2 ; S. Fulli-Lemaire, « Etienne Bartin », in J. Basedow, G. Rühl, F. Ferrari, P. A. De Miguel (dir.), Encyclopedia of Private International Law, Edward Elgar, 2016 ; J.-L. Halpérin, « Etienne Bartin », in P. Arabeyre, J.-L. Halpérin, J. Krynen (dir.) Dictionnaire historique des juristes français XIIe-XXe siècle, PUF 2007 ; P. Mayer, « Le mouvement des idées dans le droit des conflits de lois », Droits, 1985, n° 2 ; E. du Pontavice, « Éloge d’Étienne Bartin », Annales de la faculté de droit et des sciences économiques de l’université de Clermont, 1966, vol. 3, pp. 192-200 ; M. Picard, « Étienne Bartin », RTD. Civ, 1949, p. 3-7 ; Siprojuris

 

BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE 

 

Ouvrages

Étude sur la règle « Res inter alios acta aliis nec nocere nec prodesse potest » : en droit romain. Théorie des contre-lettres en droit français, thèse de doctorat, 1885

Théorie des conditions impossibles, illicites, ou contraires aux mœurs, notamment dans ses rapports avec la loi du 30 octobre 1886 sur l’enseignement primaire, Paris : A. Rousseau, 1887

Études sur le régime dotal : première étude : des actions dirigées par le mari contre les tiers et par les tiers contre le mari à l’occasion de la dot, Travaux et mémoires des facultés de Lille, au siège de Facultés, 1892

Etudes de droit international privé, Paris, A. Chevalier-Marescq & Cie, 1899

Etudes sur les effets internationaux des jugements. De la compétence du tribunal étranger, Paris, LGDJ, 1907

Cours de droit civil français, d’après la méthode de Zachariæ, par MM. Aubry et Rau, Tome dixième revu et mis au courant de la législation et de la jurisprudence par M. Etienne Bartin, 5ème éd., Paris, Marchal et Billard, 1918

Principes de droit international privé selon la loi et la jurisprudence françaises, Paris, éditions Domat-Montchrestien, 1er tome : Partie générale du droit international privé (1930), 2e tome : Partie spéciale : 1re partie : l’empire de la loi personnelle, 2e partie : l’empire de la loi locale (1932) ; 3e tome : 3e partie : l’empire de la loi territoriale (1935)

 

Cours

« La doctrine des qualifications et ses rapports avec le caractère national des conflits de lois », RCADI, 1930, vol. 31, pp. 561-622

« Une conception nouvelle de l’empire de la loi locale par opposition à la loi personnelle et à la loi territoriale », RCADI, 1935 vol. 52, pp. 583-642