BOURQUIN

Photo : Académie de droit international de La Haye. Avec l’aimable autorisation du Secrétaire général

MAURICE BOURQUIN

(1884-1961)

 

Grande figure de la doctrine belge, Maurice Bourquin a mené tout au long de sa carrière ses activités professorales en parallèle avec des responsabilités diplomatiques de premier plan et des activités de conseil. C’est ainsi qu’il a eu l’exceptionnel privilège, au début de sa carrière, de contribuer à l’institutionnalisation de la société internationale autour de la Société des Nations et de participer à la naissance de l’Organisation des Nations Unies, au terme de sa vie.

Une carrière universitaire de Bruxelles à Genève

Maurice, Emile, Georges, Bourquin naît à Tournai, le 20 novembre 1884, dans une famille de la bourgeoisie libérale qui compte parmi ses membres un ministre de la Justice, Jules Bara, dont Maurice Bourquin est le petit-neveu. Après des études secondaires d’excellence, Maurice Bourquin s’inscrit à l’Université de Bruxelles. Docteur en droit en 1908, puis diplômé d’un doctorat spécial en droit public et administratif en 1912, il entame aussitôt une brillante carrière universitaire. Jusqu’à la guerre, il enseignera à la Faculté des sciences sociales et politiques le droit administratif comparé et à la Faculté de philosophie et lettres le cours de droit naturel, en même temps qu’il apporte sa collaboration aux Archives sociologiques dans le cadre de l’Institut de sociologie Solvay où il a été appelé dès 1910. Si la Première Guerre mondiale interrompt sa carrière universitaire, dès 1919, Bourquin renoue avec l’Université de Bruxelles, dont il devient professeur ordinaire et administrateur la même année. Mais c’est en 1920 que commence véritablement la carrière « d’internationaliste » de Maurice Bourquin, titulaire à cette date du cours de droit des gens et d’histoire diplomatique qui deviendront les principales spécialités d’un enseignement qu’il saura cependant toujours garder d’une grande diversité. Autorité du droit international très vite reconnue, puisque Maurice Bourquin est élu associé de l’Institut de droit international en 1923, à la session de Bruxelles, et en devient membre en 1934, à la session de Paris. Il sera ultérieurement membre de divers autres corps savants, dont l’Académie royale de Belgique. Très impliqué également dans la vie universitaire, Bourquin devient vice-président du conseil d’administration de l’Université de Bruxelles en 1924 et président intérimaire en 1927.

Pourtant dans les années 1929-1930, sa carrière universitaire connaît un tournant majeur avec sa démission de l’Université de Bruxelles et son départ pour Genève où il est nommé professeur d’histoire diplomatique à l’Institut universitaire des hautes études internationales et professeur de droit international public, notamment à l’Université de Genève. Il y enseignera et y résidera jusqu’à la fin de sa vie, le 20 août 1961.

Une activité diplomatique de la SDN à l’ONU

C’est avec la Première guerre mondiale en effet que commence l’activité diplomatique de Bourquin en qualité de conseiller juridique de Hymans, ministre des affaires économiques en 1917, puis en charge des affaires étrangères début 1918. C’est là que Maurice Bourquin contribuera au règlement de la paix, aux côtés de Charles de Visscher, nommé comme lui conseiller juridique en 1919 et à ce titre, tous deux membres de la délégation belge à la Conférence de la Paix à Paris. Par la suite, Bourquin sera membre de la délégation belge à la Conférence de Genève en 1922 et à la conférence de Londres en 1929. Il succèdera à Louis de Brouckère comme représentant de la Belgique à la Commission préparatoire du désarmement à Genève. Dès le début des travaux de la Conférence sur le désarmement de 1932, il est appelé à la présidence du Comité des dispositions générales et y restera jusqu’en 1935, ce qui allait le mettre en rapport avec tous les principaux hommes d’Etat de l’époque. De même il sera régulièrement membre de la délégation belge aux Assemblées de la SDN, membre de divers comités et se voit confier notamment en 1936 la présidence du Comité de la Société des Nations pour la mise en œuvre des principes du Pacte, créée à la suite de l’échec des sanctions contre l’Italie. Après la Seconde Guerre mondiale, Bourquin sera de nouveau associé aux débuts de l’ONU et siègera à la première assemblée générale en 1945 ; en outre, il présidera la délégation belge à la Conférence diplomatique pour la révision des Conventions de la Croix-Rouge et sera, encore en 1959, expert à la conférence diplomatique sur le droit de la mer.

Un plaideur d’exception

Ce portrait des diverses activités du juriste ne serait pas complet si on ne soulignait que Bourquin a été également, de l’avis de plusieurs juges, un plaideur exceptionnel. Membre belge de la Cour permanente d’arbitrage, président de diverses commissions permanentes de conciliation, il fut apprécié des gouvernements étrangers pour sa probité intellectuelle et son objectivité. Il fut en particulier conseil de la Norvège dans l’affaire des Pêcheries devant la CIJ (1949-1951) ainsi que dans l’affaire de Certains emprunts norvégiens (1955-1957), et conseil du Portugal dans l’affaire Droit de passage sur territoire indien contre l’Inde (1955-1960).

L’internationaliste : un réaliste habité d’un idéal

Aucune doctrine n’est attachée au nom de Maurice Bourquin, qui n’a pas caché ses réserves, voire sa méfiance, à l’égard « des abstractions de la théorie » et de « la belle architecture des systèmes », mais auquel on a prêté un anti-positivisme résolu à la lecture, en particulier, de son Cours général de La Haye de 1931 (v. R. Kolb). Caractéristique qu’il convient de nuancer et à laquelle la pensée de Bourquin ne se réduit pas. Ses écrits révèlent en effet la synthèse qu’il aura su faire entre ses diverses expériences de la pratique juridique. Soucieux de pédagogie et de didactisme, Bourquin s’attache à situer ou resituer, de façon claire voire lumineuse, les sujets de droit international dans leur perspective historique et à les analyser à la lumière de l’état de la société internationale du moment, servi en cela par une très grande culture et le sens des réalités sociales. Mais le diplomate qui a participé par deux fois à la création d’organisations universelles a également fortement marqué le juriste et inversement. En effet, si Bourquin prend toujours soin de ne pas fermer les yeux à la réalité, comme il a pu l’écrire, cette réalité n’est pas aussi simple que les positivistes volontaristes aiment à la décrire. Rappelant sans cesse que le droit international est l’œuvre d’Etats souverains, réalité qu’on ne saurait nier, Bourquin s’emploie cependant toujours à dégager, que ce soit dans le droit positif ou dans le droit en formation, dans cette zone grise que le juriste doit également observer et dont il peut tirer des enseignements, les signes de l’existence d’un droit international de la communauté internationale, entendu comme un droit de l’intérêt général et des intérêts communs de la société internationale.

 

Sandra SZUREK

Professeur émérite de l’Université Paris Ouest Nanterre La Défense

 

 

Sources : Notices biographiques in RCADI ; Notice biographique du Centre de droit international de l’Université libre de Bruxelles ; Georges Kaeckenbeeck, « Maurice Bourquin (1884-1961) », Annuaire IDI, vol. 49-II, 1961, pp. 499-504 ; R. Kolb, « Maurice Bourquin, Règles générales du droit de la paix, R.C.A.D.I., vol. 35, 1931-I, pp. 5-232. », in Les cours généraux de droit international public de l’Académie de La Haye, Bruylant, Editions de l’Université de Bruxelles, Collection de droit international, Bruxelles, 2003, pp. 61-74 ; F. van Langenhove, « Notice Maurice Bourquin », Biographie nationale, Académie royale des sciences, des lettres et des beaux-arts de Belgique, t. 37, supplément, tome IX, fascicule 1, 1971, p. 86-91 ; J. Salmon, « Notice sur la vie et les travaux de Maurice Bourquin », in, Rapport sur l’année académique de l’Université de Bruxelles, 1960-1961, Editions de l’Université, 1970, pp. 298-299

 

BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE

 

Ouvrages

Du Traité de Vienne à la paix de Versailles, Publications de l’Université de Bruxelles, 1919 

La sécurité collective : d’après les travaux des VIIe et VIIIe Conférences des Hautes études internationales, Paris 1934, Londres 1935, Paris, Publications de l’Institut international de coopération intellectuelle, 1936, 530 p. 

Dynamism and the Machinery of International Institutions – A Critical Study of Twenty Years’Experiment, Publication du Geneva Research Center, Genève 1940 

Vers une nouvelle Société des Nations, Neuchâtel, La Baconnière, 1945, 281 p.

 

Cours

« L’organisation internationale des voies de communication », RCADI, vol. 5, 1924, pp. 159-210 

«  La Société des Nations. 10 leçons », Cours de l’IHEI-Paris, 1926 

« Crimes et délits contre la sûreté des Etats étrangers », RCADI, vol. 16, 1927, pp. 117-246 

« Règles générales du droit de la paix », RCADI, vol. 35, 1931, pp. 1-232 

« Le problème de la sécurité internationale », RCADI, vol. 49, 1934, pp. 469-542

« Stabilité et mouvement dans l’ordre juridique international », RCADI, vol. 64, 1938, pp. 347-477 

« Pouvoir scientifique et droit international », RCADI, vol. 70, 1947, 331-406 

« La Sainte-Alliance. Un essai d’organisation européenne », RCADI, vol. 83, 1953, pp. 377-463 

 

Articles

« La Cour de justice internationale », Revue de droit international et de législation comparée, 1921, pp. 17-34 

« Grotius et les tendances actuelles du droit international », Revue de droit international et de législation comparée, 1926, pp. 86-125 

« L’adhésion des Etats-Unis à la Cour permanente de justice internationale », RGDIP, 1930, pp. 241-286 

« La crise de l’internationalisme », Mélanges Ernest Mahaïm, Paris, Sirey, 1935 

« Quelques réflexions sur le respect du droit dans les rapports internationaux », Recueil de travaux de la Faculté de droit de l’Université de Genève, 1938, pp. 85-105 

« La position de l’individu dans l’ordre juridique international », Revue internationale de la Croix-Rouge et Bulletin international des Sociétés de la Croix-Rouge, vol. 36, 1954, 431/432, pp. 973-988 

« La crise de la démocratie », in La crise mondiale, collection d’études publiées à l’occasion du Xe anniversaire de l’Institut Universitaire des Hautes Études Internationales de Genève, 1938

« L’humanisation du droit des gens », in La technique et les principes du droit public. Etudes en l’honneur de Georges Scelle, Paris, LGDJ, 1950, pp. 21-54 (article mis en ligne avec l’aimable autorisation des Éditions Lextenso)

« Les baies historiques », Mélanges Georges Sauser-Hall, Publication des Facultés de droit de Genève et de Neuchâtel, 1952, pp. 37-51

« Dans quelle mesure le recours à des négociations diplomatiques est-il nécessaire avant qu’un différend puisse être soumis à la juridiction internationale ? », in Hommage d’une génération de juristes au président Basdevant, Paris, Pedone, 1960, pp. 43-55 (article mis en ligne avec l’aimable autorisation des Éditions A. Pedone)