BOUSTANY

 

KATIA BOUSTANY

(1951-2004)

 

Katia Boustany est née le 11 septembre 1951 à Beyrouth. Après une enfance heureuse, elle a fui son pays natal, meurtrie et déchirée, pour s’établir en France en 1973. Malgré l’obtention d’un DEA de droit international (1975), d’un DESS de droit de l’énergie (1977) et d’un doctorat sur la guerre civile libanaise (1988) à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (dir. : Ph. Manin), on lui refusa la naturalisation pour défaut de résidence effective. C’est au Québec qu’elle s’installa, malgré le froid qu’elle anticipait d’un automne à l’autre, et l’éloignement des siens. Elle y retrouva la langue française qu’elle affectionnait et un peuple combatif pour qui elle entretenait « une indicible reconnaissance ». Ce parcours explique son identité plurielle, prélude à une réflexion qui marquera son œuvre. Comme l’écrit son amie Marie-Françoise Labouz, « son engagement intellectuel paraît rétrospectivement d’une grande cohérence avec son identité plurielle ».

De passion, de justice et de rigueur

Embauchée en 1988 à l’Université du Québec à Montréal (UQÀM), elle s’afficha rapidement comme une professeure engagée et devint l’une des figures de proue du droit international dans son pays d’adoption. Elle cofonda le Centre d’études sur le droit international et la mondialisation (CEDIM) en 1995, dirigea le Centre de recherche en droit, science et société (1996 à 1998), fut la première femme à présider la Société québécoise de droit international (1996 et 1998), s’impliqua au sein du comité de direction de la Revue québécoise de droit international et siégea au conseil d’administration du Conseil canadien de droit international. Sur la scène internationale, on l’a vue s’associer étroitement à l’organisation des concours Jean-Pictet et Charles-Rousseau pour lesquels elle a rédigé les cas pratiques, respectivement, en 1995 et 1999. Elle participa à créer la première école de droit nucléaire francophone, à l’Université de Montpellier, et cofonda le Réseau francophone pour le droit international en 2003.

Atterrée par la folie meurtrière et l’injustice, sans perdre de vue la réalité des intérêts étatiques, elle concevait le droit international comme un outil au service des démunis. Pour être efficace, cet outil devait être précis et prévoir des mécanismes efficaces. Elle s’inquiétait des effets de la mondialisation et de la transformation des fonctions de l’État qu’elle provoquait sur la norme : celle-ci échappait de plus en plus au pouvoir étatique et attaquait les fondements du principe démocratique. En somme, son œuvre s’est concentrée sur les défaillances du droit international à bien protéger les destinataires ultimes de ses normes. La technique juridique, parfaitement maîtrisée, lui offrait la matière brute à une réflexion théorique, tantôt abstraite, résolument critique. Si elle demeurait attachée aux thèmes traditionnels du droit international, elle a aussi eu le don de pressentir les sujets novateurs (nucléaire, expertise technoscientifique, biotechnologie). 

Katia Boustany avait aussi le pragmatisme et l’esprit fonctionnel du praticien. En effet, elle agit d’abord en droit commercial international à Beyrouth, en France, à Chypre et à Abu Dhabi. En 1983, elle était à l’OIT. À son arrivée au Québec, elle joignit les rangs d’un important cabinet d’avocat de Montréal, McCarthy Tertrault. Selon l’un des associés senior, Me Gerald R. Tremblay, « [elle] avait cette capacité exceptionnelle de s’élever au-dessus des frontières spatio-temporelles pour d’abord comprendre et ensuite expliquer l’Histoire et la place du droit dans celle-ci d’une façon qui suscitait l’admiration de tous ». Elle profita aussi d’un congé de l’UQÀM pour s’investir à l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) de 1998 à 2000, où elle fut particulièrement prolifique au sein de la division juridique.

Victime de « l’injustice du destin »

Katia Boustany s’est éteinte à Beyrouth le 6 janvier 2004, à la suite d’une maladie qui ne laissait pas présager cette « injustice du destin » (Ph. Manin). Son décès a privé le milieu d’une œuvre promise comme magistrale. Elle venait en effet d’amorcer une recherche d’envergure sur l’impact de la mondialisation sur les processus normatifs. Celle-ci avait bénéficié d’une subvention du gouvernement canadien, la plus généreuse de l’histoire des sciences humaines. Son projet, rassembleur dans le milieu (quatre co-chercheurs expérimentés d’universités et d’horizons différents y étaient associés), global (pas moins de quatre branches du droit international y étaient sollicitées) et brûlant d’actualité, témoignait d’un riche parcours universitaire, d’une réflexion mature et achevée ainsi que de l’expérience de la pratique.

Sa disparition a aussi privé nombre de jeunes d’un appui dont elle n’était jamais avare. Ils furent plusieurs à apprendre les rudiments du droit international dans son salon coloré des tons du Levant, et ensuite à continuer d’y être invités pour approfondir et débattre certains thèmes. Au rythme de la musique française et arabe, Katia Boustany créait chez elle une sorte de cercle de réflexion informel où se mêlaient professeurs et étudiants. Sustentés de saveurs orientales, ses convives étaient invités à analyser avec rigueur le droit international et à le critiquer sans posture théorique imposée. Si le droit international agissait comme motif de réunion, la musique, la poésie, la littérature, la religion, la philosophie et la psychanalyse, entre autres intérêts de Katia Boustany, y étaient invariablement évoqués. Dans ce cadre, elle a créé une famille de passionnés. À son décès, plusieurs ont perdu un mentor, un maître, une mère spirituelle, une amie.

Ceux qui l’ont connue sont unanimes : personnalité complexe, dotée d’une rigueur intellectuelle rare, maniant la langue française avec mélodie, elle portait en elle la profondeur des gens qui ont souffert. « Vibrante personnalité qui ne connaissait ni le repos ni l’indifférence » (R. Laperriere et C. Thomasset), Katia Boustany voulait comprendre le passé, combattre l’injustice du présent et prévenir la souffrance future. En quête constante d’absolu, elle aura su imprégner le milieu du droit international tant par sa rigueur intellectuelle, son intelligence, que par son humanité.

 

Geneviève DUFOUR

Professeure agrégée à l’Université de Sherbrooke

 

Sources : Ph. Manin, « Hommage à Katia Boustany », RBDI, 2006, n° 1, pp. 247-248 ; F. Crépeau, « Hommage à Katia Boustany », RQDI, 2003, vol. 16.1, pp. 1-3 ; G. R. Tremblay, « À la mémoire de Katia Boustany », RQDI, 2007, Hors-série, pp. 5-6 ; D. Turp, « Katia, l’internationaliste », RDQI, 2007, Hors-série, pp. 11-12 ; M.-F. Labouz, « Portrait-souvenir de Katia Bousany », RDQI, 2007, Hors-série, pp. 13-20 ; C. Thomasset et R. Laperrière, « Hommage à Katia Bousany », RDQI, 2007, Hors-série, pp. 9-10 ; P. MacKay, « La contribution de Katia Boustany à la compréhension de l’internationalisation de la régulation techno-scientifique », RDQI, 2007, Hors-série, pp. 21-28

 

 

BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE

 

Ouvrages

Le conflit intraétatique au Liban : problèmes de maintien de la paix, Bruxelles, Bruylant, 1994, 454 p.

Avec D. Dormoy (dir.), Génocides, Bruxelles, Bruylant, 1999, 518 p.

Avec D. Dormoy (dir.), Perspectives humanitaires entre conflits, droit(s) et action, Bruxelles, Bruylant, 2002, 332 p.

 

Articles

« La qualification des conflits en droit international public et le maintien de la paix », RQDI, 1989, n° 6.1, pp. 35-58

« La loi canadienne sur la responsabilité civile nucléaire et les tendances du droit nucléaire », Revue générale de droit, 1991, n° 22, pp. 343-372

« La guerre du Golfe et le système d’intervention armée de l’ONU », The Canadian Yearbook of International Law, 1991, vol. pp. 379-401

« L’environnement entre droit international et violence des nations » (avec N. Halde), RQDI, 1991, n° 7.2, pp. 169-179

« Reflection on the development of nuclear law », Nuclear Law Bulletin, 1993, vol. 51, pp. 7-25

« L’investigation dans le programme nucléaire irakien », The Canadian Yearbook of International Law, 1993, vol. 30, pp. 137-163

« La protection des personnes dans le cadre du DIH : limites de l’intervention humanitaire dans les conflits intraétatiques », RQDI, 1993, n° 8.1, pp. 3-13

« Intervention humanitaire ou intervention d’humanité́ : évolution ou mutation en droit international », RQDI, 1993-1994, n° 8.1, pp. 103-111

«  Mondialisation et état de droit : quelques réflexions sur la normativité technologique » (avec F. Crépeau, P. MacKay et D. Mockle), The Canadian Yearbook of International Law, 1997, vol. 34, pp. 233-248

« Le développement de la normativité nucléaire ou l’art de l’évasion juridique », Bulletin de droit nucléaire, 1998, vol. 61, pp. 43-58

« Brocklebank : a questionable decision of the Court Martial Appeal Court of Canada » Yearbook of International Humanitarian Law, 1998/1, pp. 371-374

« The development of nuclear law-making or the art of legal ‘evasion’ », Nuclear Law Bulletin, 1998, n° 61, pp. 39-53

« Souveraineté étatique et conflits interétatiques : quelques problèmes de droit international », in Y. Le Bouthillier, D. McRae et D. Pharand, Textes choisis en droit international (1972-1997), Contribution du Conseil canadien de droit international, La Haye, Kluwer, 1999, pp. 317-345

« Beyrouth : problèmes de préservation des biens culturels dans un contexte post-conflictuel de reconstruction », RQDI, 2000, n° 13.2, pp. 238-254

« L’assistance législative de l’AIEA dans le domaine nucléaire : quels partenariats avec les pays européens ? », in M.-F. Labouz (dir.), Le partenariat de l’Union européenne avec les pays tiers : conflits et convergences, Bruxelles, Bruylant, 2000, pp. 171-191 (article mis en ligne avec l’aimable autorisation des Éditions Larcier)

« Itinéraires et identité » in M.-F. Labouz (dir.), Intégrations et identités nord-américaines vues de Montréal, Bruxelles, Bruylant, 2001

« Le Code de conduite de l’AIEA sur la sûreté des sources de rayonnements et la sécurité des matières radioactives. Progrès ou régression ? », Bull. de droit nucléaire, 2001, n° 67, pp. 7-18

« Le rôle de l’AIEA dans la gestion du secteur nucléaire : une appréciation critique », RQDI, 2002, n° 15.1, pp. 1-32

« Rapport de synthèse : Regards croisés sur le crime, sa prévention et sa répression » (avec D. Dormoy), in K. Boustany, D. Dormoy (dir.), Génocides, Bruxelles, Bruylant, 1999, pp. 14-48 (article mis en ligne avec l’aimable autorisation des Éditions Larcier)

« Droit et action humanitaire à l’épreuve des conflits : perceptions, pesanteurs, projections » (avec D. Dormoy), in K. Boustany et D. Dormoy (dir.), Perspectives humanitaires entre conflits, droit(s) et action, Bruxelles, Bruylant, 2002, pp. 35-119 (article mis en ligne avec l’aimable autorisation des Éditions Larcier)

« L’intervention de l’OTAN au Kosovo : l’humanitaire aux confins du politique, de la force armée et du droit : rapport de synthèse » (avec D. Dormoy), in K. Boustany et D. Dormoy (dir.), Perspectives humanitaires entre conflits, droit(s) et action, Bruxelles, Bruylant, 2002, pp. 13-33 (article mis en ligne avec l’aimable autorisation des Éditions Larcier)

 

Hommages

Numéro spécial de la RQDI « Hommage à Katia Boustany » (2008)

Conférence annuelle Katia-Boustany

Ephémérides de la Société québécoise de droit international

Prix Katia-Boustany de la deuxième meilleure équipe (Concours Charles-Rousseau)

Prix Katia-Boustany de l’étudiant s’étant illustré en droit international public (UQÀM)