GIDEL

Photo : Académie de droit international de La Haye. Avec l’aimable autorisation du Secrétaire général

GILBERT GIDEL

(1880-1958)

 

Né en 1880 dans une famille d’universitaires, Gilbert Gidel a consacré plus de cinquante ans de son existence au service du droit, et plus particulièrement du droit international public. Les très nombreuses et diverses fonctions qu’il a exercées tout au long de sa carrière ont été d’une importance telle qu’à sa disparition, le 22 juillet 1958, G. Scelle déplorait une « perte douloureuse » pour « la Science du Droit International, l’Université de France, l’Académie de Droit International de la Haye, ses disciples et ses amis ».

Une carrière éminente : professeur, administrateur, jurisconsulte, officier

A l’âge de 28 ans, en 1908, Gilbert Gidel est reçu premier à son premier concours d’agrégation de Droit Public, après avoir achevé de très brillantes études secondaires et supérieures (licencié ès lettres, docteur en droit de la Faculté de droit de l’Université de Paris, diplômé et lauréat de l’École des sciences politiques et de l’Association des anciens élèves de cette école, ancien secrétaire de la Conférence du stage des avocats à la Cour d’appel de Paris).

Il a enseigné successivement aux universités de Montpellier, Grenoble, Rennes et à la Faculté de droit de Paris (à partir de 1920) – parmi ses élèves, on compte notamment Suzanne Bastid, dont il a dirigé la thèse de doctorat sur les fonctionnaires internationaux. Gidel a assumé, parallèlement à sa carrière universitaire, nombre de fonctions toujours plus prestigieuses. Il a notamment été secrétaire-rédacteur, puis associé (en 1921), membre (en 1927), deuxième vice-président (1936-1937 et 1952-1954) et enfin premier président (1956-1957) de l’Institut de droit international, institution aux sessions de laquelle il participait régulièrement et était souvent rapporteur, notamment pour ce qui concerne le régime des navires dans les ports étrangers (session de Washington, 1927, dixième commission). Il fut par ailleurs appelé par L. Renault à remplir les fonctions de secrétaire de la présidence de l’Académie de droit international de La Haye dès le commencement de son fonctionnement en 1923, nommé par la suite secrétaire général adjoint (en 1929), puis vice-président du Curatorium (en 1935) et enfin président à la mort de Nicolas Politis en 1942. Il a, dès la reprise de ses activités en 1947, dirigé l’Académie avec dynamisme et rigueur.

Outre les nombreuses consultations (notamment sur l’article 250 du traité de Trianon en 1927 et sur la confiscation des biens des réfugiés arméniens par le gouvernement turc en 1929), plaidoiries (notamment dans les affaires du Monastère de Saint-Naoum, Mavrommatis, Compétence des tribunaux de Dantzig, Gröenland oriental, Écoles minoritaires grecques…) et autres fonctions (président de nombreuses commissions et notamment en 1954 de la Commission de conciliation Italo-Suisse, délégué dans les grandes conférences internationales, rapporteur de deux commissions d’experts du Comité international de la Croix-Rouge en 1953 et 1955, membre et président du jury d’agrégation de droit public) qu’il a assumées, Gilbert Gidel a également été pendant des nombreuses années membre de l’Académie de la marine et jurisconsulte du ministère de la Marine, puis conseiller juridique de son état-major.

Mobilisé pendant les deux guerres mondiales, il a été décoré de la Légion d’honneur à titre militaire lors de la première et a accédé au grade de lieutenant-colonel et de commandeur pendant la seconde. Considérant qu’il allait de son devoir patriotique d’accepter une telle charge en dépit de sa difficulté, il a été nommé recteur de l’Université de Paris pendant l’occupation et, comme en témoignent ses amis, il « sut en imposer aux autorités allemandes », « en sauvegardant la liberté de l’enseignement et en empêchant la déportation pour le travail forcé de très nombreux étudiants » (G. Scelle).

 Une œuvre scientifique riche : esprit de juriste positiviste, âme de poète

Auteur de deux thèses de doctorat portant respectivement sur « Les effets de l’annexion sur les concessions » (1904) et sur « L’efficacité extra-territoriale des jugements répressifs » (1905), d’un ouvrage de science politique sur « La politique de Fénelon » (1906), de deux cours à l’Académie de droit international de La Haye portant sur « Les droits et devoirs des Nations et la théorie classique des droits fondamentaux des Etats » (1925) puis sur « La mer territoriale et la zone contigüe » (1934), ainsi que de nombreux autres articles, Gilbert Gidel est surtout connu pour son œuvre incontestablement fondamentale en droit de la mer.

Il a en effet publié, entre 1932 et 1934, trois volumes sur « Le Droit International Public de la Mer », consacrés respectivement à la Haute mer (vol. I), aux Eaux intérieures (vol. II) et à la Mer territoriale et à la zone contigüe (vol. III). Cette œuvre magistrale reflète non seulement l’esprit rigoureux de positiviste convaincu de son auteur, mais également son « âme de marin » (G. Scelle) et est le résultat de sa réflexion théorique combinée à sa grande expérience de praticien. Grand spécialiste et visionnaire du droit de la mer, il a ainsi participé activement à son développement grâce tout à la fois à son œuvre scientifique et à ses remarquables interventions en tant que délégué à la Conférence maritime de La Haye de 1930 et à la Conférence de Genève sur le droit de la mer de 1958. Il n’a malheureusement pas eu le temps d’achever l’édition d’un quatrième volume censé compléter les trois premiers, qui allait d’une part faire le point sur les évolutions les plus récentes en la matière et d’autre part examiner en profondeur le régime de la guerre maritime.

Si son œuvre est alors restée inachevée, son apport pour le droit international et plus particulièrement pour le droit de la mer demeure unique et son rayonnement mondial et intemporel, digne d’un grand juriste, de ceux qui, ayant choisi comme secteur de spécialisation la mer, ont su devenir des poètes (cf. M. Voelckel, « La liberté des mers avec leur solitude… », in Mélanges Langavant Emmanuel, L’Harmattan, Paris, Montréal, 1999, p. 431 : « il arrive toujours un moment, dès lors qu’il s’agit de la mer, où le juriste devient poète »).

 

Niki ALOUPI

Professeur à l’Université de Strasbourg

 

Sources : Notice biographique, RCADI, 1934, t. 48, p. 135 ; A. Raestad, « A propos du livre du Professeur G. Gidel. Le droit international de la mer, t. III. Quelques réflexions », RGDIP, 1936, pp. 77-91Ch. Rousseau, « Gilbert Gidel (1880-1958) », RGDIP, 1958, pp. 393-399 (article mis en ligne avec l’aimable autorisation des Éditions A. Pedone) ; G. Scelle, « In memoriam : le Professeur Gilbert Gidel », AFDI, 1958, vol. 4, pp. 1-4 ; P. Vellas, « Préface », in Mélanges en l’honneur de Gilbert Gidel, Librairie Sirey, Paris, 1961, pp. VII-IX.

 

BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE

 

Ouvrages

Des effets de l’annexion sur les concessions, L. Larose, Paris, 1904, VII-258 p. (thèse de doctorat)

De l’efficacité extraterritoriale des jugements répressifs, A. Mellottée, Paris, 1905, 176 p. (thèse de doctorat)

La politique de Fénelon, L. Larose et L. Tenin : Société du recueil J.-B. Sirey et du Journal du palais, Paris, 1906, XI-102 p.

Le traité de paix avec l’Allemagne du 28 juin 1919 et les intérêts privés : commentaire des dispositions de la partie X du traité de Versailles, en collaboration avec H-E. Barrault, préface P. Jaudon, LGDJ, Paris, 1921, XXVI-670 p.

Le droit international public de la mer : le temps de paix ; t. I : Introduction – La haute mer ; t. II : Les eaux intérieures ; t. III : La mer territoriale et la zone contigüe, Méllotée, Châteauroux, Paris, 1932-1934, t. I : 530 p. (1932) ; t. II : 394 p. (1932) ; t. III : 813 p. (1934)

Traduction française de F. von Liszt, Le droit international : exposé systématique, avec le concours de L. Alcindor, avant propos de J. B. Scott, Pedone, Paris, 1927, XII-400 p.

Traduction française de D. Anzilotti, Cours de droit international, t. I : Introduction – Théories générales, Sirey, Paris, 1929, XII-534 p.

 

Cours

« Droits et devoirs des Nations. La théorie classique des droits fondamentaux des Etats », RCADI, t. 10, 1925, pp. 537-600

« La mer territoriale et la zone contigüe », RCADI, t. 48, 1934, pp. 133-278

Les canaux maritimes du droit international, cours au Centre européen de la Dotation Carnegie, 1939, 1 vol.

Cours de droit international public, Diplôme d’études supérieures, Droit public, 1945-1946, Paris, Les cours de droit, 1946, 460 p. et Paris, Les cours de droit, 1947, 3 fascicules

Le régime des fleuves internationaux, cours de l’IHEI 1947-1948, Université de Paris, 59 p.

Les pôles et le droit des gens, cours de l’IHEI 1949-1950, Université de Paris, 1 vol.

Aspects nouveaux du droit de la mer, cours de l’IHEI 1951-1952, Université de Paris, 1 vol.

La plataforma continental ante el derecho, traduit par A. Herrero, Publicaciones del Seminario de estudios internacionales « Váquez de Menchaca », Cuadernos de la Cátedra « Dr. James Brown Scott », Universidad de Valladolid, 1951, 169 p.

 

Articles et autres publications

« L’arbitrage de Casablanca », RGDIP, 1910, pp. 326-407

« Quelques idées sur la condition internationale de la Papauté. A propos de l’affaire du drapeau pontifical et de l’arrêt de la Cour de Cassation du 5 mai 1911 », RGDIP, 1911, pp. 589-621

« La convention anglo-américaine du 23 janvier 1924 relative à la réglementation du trafic des boissons enivrantes », Revue de droit maritime comparé, 1924, vol. 6, pp. 1-21

« L’arrêt n° 7 de la Cour permanente de Justice internationale », Nouvelle revue de droit international public, Pedone, Paris, 1927, 54 p.

« Aspects juridiques de la lutte pour l’Antarctique », Académie de Marine, Paris, 1948, 67 p.

« Quelques épisodes de la carrière de Henry Wheaton (À propos du centenaire de la publication des ‘Éléments du droit international’) », RGDIP, 1938, pp. 137-160

 

Hommage

Mélanges en l’honneur de Gilbert Gidel, préface de P. Vellas, Sirey, Paris, 1961, XV-605 p.