IGNACIO-PINTO

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LOUIS IGNACIO-PINTO

(1903-1984)

 

La trajectoire de Louis Ignacio-Pinto est symbolique à double titre. Elle l’est tout d’abord à l’évidence pour la justice internationale. Louis Ignacio-Pinto fut le troisième juge d’Afrique sub-saharienne à être élu à la Cour internationale de Justice, où il siégea pour un mandat, entre 1970 et 1979. Juriste, et homme politique, Louis Ignacio-Pinto occupa également de hautes fonctions dans le Dahomey indépendant (appelé Bénin depuis 1975) à partir de 1960.

Né le 21 juin 1903 à Porto-Novo, dans ce qui était alors une colonie de l’Afrique occidentale française, le Dahomey, et décédé le 24 mai 1984 à Dourdan, en France, Louis Ignacio-Pinto était issu de l’élite marchande côtière aisée du Golfe du Bénin. Les « Aguda » ou Afro-brésiliens désignaient d’anciens esclaves désormais émancipés réinstallés sur l’ancienne Côte des Esclaves. Ils tenaient en mains la majeure partie du petit et moyen commerce dans la colonie tout en occupant une place privilégiée en tant qu’intermédiaires pour les Européens. Louis Ignacio-Pinto poursuivit ses études primaires à la mission catholique de Porto-Novo, puis au collège libre de Saint-Genès à Bordeaux, reflétant en cela l’importance primordiale accordée par cette communauté à l’éducation. Son intérêt pour le droit et les lettres – il obtint le doctorat en droit à Lyon – illustrait également la conversion des Aguda vers les fonctions publiques de l’administration coloniale à la faveur de la colonisation.

Un juriste « intermédiaire » : de la colonisation vers l’Indépendance

Dans l’entre-deux guerres, à Paris, Ignacio-Pinto fut aussi rédacteur en chef de la Voix du Dahomey dont l’un des objectifs était de lutter contre le code de l’indigénat, « donc contre les principes mêmes de la colonisation française, tout en prônant l’assimilation et une gestion coloniale équitable » (H. d’Almeida-Topor, p. 538). Capitale de l’empire, Paris devint ainsi le creuset d’une lutte anticoloniale qui se déclinait, cependant, dans les limites de l’empire. Après quelques années entre Paris et l’Angleterre, Louis Ignacio-Pinto s’essaya d’abord, de retour au Dahomey, à une carrière commerciale. Il pratiqua ensuite en tant qu’avocat-défenseur à Conakry, capitale côtière de la Guinée, puis Cotonou, ville portuaire du Dahomey. La profession d’avocat-défenseur, issue d’une lente institutionnalisation par le colon français (le corps d’avocat-défenseur est institué par un arrêté du 26 décembre 1905), était alors, sauf dérogation, réservée aux seuls citoyens français, et uniquement devant les juridictions coloniales françaises. C’est à partir de ce triple positionnement – en tant que juriste, lettré et Aguda – que Louis Ignacio-Pinto entama une carrière politique à la faveur des réformes instaurées par l’éphémère Union française, instaurée par la Constitution de la IVe République dans l’après-guerre. De 1947 à 1955, Louis Ignacio-Pinto fut ainsi élu sénateur du Dahomey au Conseil de la République, en tant que représentant du premier grand parti dahoméen, l’Union progressiste dahoméenne, tout en étant membre des Républicains indépendants d’Outre-Mer. Il fut aussi président de la commission de la politique générale du Rassemblement démocratique africain créé lors du Congrès de Bamako en octobre 1946. Portant pour l’essentiel sur les rapports entre la métropole et les territoires d’outre-mer, ses interventions s’attachèrent notamment à la question de l’éducation politique des élus d’outre-mer, et à l’état sanitaire des populations africaines (il lança ainsi une mission humanitaire de « croisière de la santé » en 1950 en AOF). Non réélu en 1955, Louis Ignacio-Pinto poursuivit sa carrière au Dahomey.

Des hautes fonctions politiques, diplomatiques judiciaires dans le Dahomey indépendant, à la CDI et à la CIJ

Après l’indépendance du Dahomey en 1960, « (l)es régimes qui se sont succédé (au Dahomey), généralement appuyés sur des forces et des clientélismes régionaux, laissaient peu de place à des habitants minoritaires, demeurant dans quelques villes du Sud » (H. d’Almeida-Topor, p. 539). En tant qu’Aguda, Louis Ignacio-Pinto fut l’une des rares exceptions à cet égard : il fut plusieurs fois ministre en 1957 et 1958, ambassadeur du Dahomey aux États-Unis, ministre plénipotentiaire et représentant permanent de son pays auprès de l’ONU, et président de la Cour suprême de Dahomey en 1967-1970. Parallèlement à ces hautes fonctions au niveau national, Louis Ignacio-Pinto fit partie d’un comité mis en place en 1968 pour réorganiser le Secrétariat de l’ONU. Il fut également nommé membre de la Commission du droit international des Nations Unies entre 1967 et 1969, durant les 19e, 20e et 21e sessions de la Commission qui entama notamment ses travaux sur les questions des successions d’État. Il n’y siégea que deux ans, en interrompant son mandat au moment de son élection à la Cour internationale de Justice en 1970. Comme celle du Sénégalais Isaac Forster (1964-1982) et du Nigérian Charles D. Onyeama (1967-1976), son élection à la Cour contribua dès lors à promouvoir cette dernière en tant que tribunal « mondial » suite aux vagues d’indépendance des anciennes colonies africaines au tournant des années 1960. Il apporta ainsi notamment sa voix à la décision de la Cour dans l’affaire Barcelona Traction, dans l’arrêt du 5 février 1970, qui revint sur l’avis très contesté du Sud-Ouest Africain de 1966 en identifiant des obligations erga omnes susceptibles de fonder l’intérêt pour agir des ‘Etats. « Gentleman politicien du droit » (G. Sacriste et A. Vauchez), les positionnements multiples de Louis Ignacio-Pinto, entre droit et politique, national et international illustrent ce faisant aussi bien le rôle joué par les juristes dans la transition des colonies françaises de l’Afrique occidentale française vers l’Indépendance que la transformation de la justice internationale en tant que justice universelle.

 

Sara DEZALAY

Cardiff School of Law and Politics

 

 

Sources : « Louis Ignacio-Pinto », in A. Eyffinger, A. Witteveen, M. Bedjaoui, La Cour internationale de Justice 1946–1996, La Haye et Londres, Martinus Nijhoff Publishers, 1999, p. 293 ; Sénat, Anciens sénateurs de la IVe République : Louis Ignacio-Pinto, (consulté le 4 mai 2017) ; H. d’Almeida-Topor, « Du particularisme à la marginalisation. Les Afro-Brésiliens du golfe du Bénin », in C. Deslaurier et D. Juhé-Beaulaton (dir.), Afrique, terre d’histoire. Au Coeur de la recherche avec Jean-Pierre Chrétien, Paris, Karthala, 2007, pp. 527-541 ; J.-P. Dedieu, « L’intégration des avocats africains dans les barreaux français », Droit et Société, 56-57, 2004, pp. 209-230 ; S. Dezalay, « Les juristes en Afrique : entre trajectoires d’État, sillons d’empire et mondialisation », Politique africaine, vol. 138, no. 2, 2015, pp. 5-23 ; M. Goebel, Anti-imperial Metropolis. Interwar Paris and the Seeds of Third World nationalism, Cambridge University Press, 2015 ; G. Sacriste et A. Vauchez, « The Force of International Law: Lawyers’ Diplomacy on the International Scene in the1920s », Law & Social Inquiry, 2007, 32(1), pp. 83-107.

 

 

Opinions et déclarations

Opinion individuelle dans l’affaire des Essais nucléaires (CIJ, arrêt du 20 décembre 1974)

Déclaration jointe à l’avis consultatif sur le Sahara occidental (CIJ, avis du 16 octobre 1975)