LEREBOURS-PIGEONNIÈRE

 

PAUL LEREBOURS-PIGEONNIÈRE

(1874-1954)

 

Paul Lerebours-Pigeonnière fit ses études à Caen, s’inscrivit au barreau, et docteur en droit en 1898, fut agrégé des Facultés de droit en 1901 (1er). Affecté à Lille, il rejoignit Rennes dès 1902. Assesseur puis doyen (1937), il y enseigna le droit international privé et le droit civil pendant trente-cinq ans. Nommé à la Cour de cassation, affecté à la Chambre civile, il siégea de 1938 à 1948. Il présida, lors de sa fondation, le Comité français de droit international privé.

Distinction de la silhouette, pureté de la langue, aménité du propos, que ponctue parfois une grande fermeté, attention prêtée à son interlocuteur, autant de traits qui frappent ceux qui le croisent. Il annonce une génération naturellement ouverte à la pensée d’autrui, celle du juge comme celle des autres auteurs. C’est un internationaliste, et il doit sa réputation à cette discipline, mais c’est d’abord un civiliste, ce qui explique pour partie la manière dont il l’appréhende.

Le droit international privé, adossé au droit civil

En début de carrière, à raison de ses qualités de civiliste, ayant consacré sa thèse au prête-nom, il est chargé d’un article emblématique : « La famille et le code civil » dans le Livre du centenaire du code civil, de deux chroniques à la Revue trimestrielle de droit civil, et de l’article relatif à la théorie générale des obligations dans le recueil dédié à Saleilles (1914). Son intérêt pour cette matière ne s’est jamais relâché. Au faîte de sa carrière, il entreprendra avec son collègue R. Beudant de rééditer le Cours de droit civil de Ch. Beudant (14 vol. 1934-1953). Internationaliste, il s’est naturellement tourné vers le droit civil. Il fait des techniques civilistes une composante du règlement des conflits de lois. Toutefois, ses emprunts sont mesurés et précis.

Le droit international privé, fruit d’une pratique multiforme

L’auteur forge sa doctrine du droit international privé à partir des matériaux de la pratique. Il repousse les analyses a priori, en quoi il rompt avec Pillet. Comme il répugne aux approches dogmatiques, ce qui le distingue de Niboyet. A la manière d’un Esmein ou d’un Lainé, il assigne à la jurisprudence une place de choix. C’est le cœur de la matière. Mais il l’insère dans la tradition. A ses yeux, le droit international privé constitue en effet un droit coutumier – la formule revient sans cesse sous sa plume – que façonne l’histoire et que révèle et précise la jurisprudence, ponctuellement éclairée par le droit comparé. Ce fonds coutumier, pour autant, n’est pas immobile. La tradition est malléable. Elle subit l’épreuve de la critique. Bref, un droit soumis au filtre de la raison que ce droit international privé, mais un droit bâti sur l’expérience et puisant ses forces vives dans la jurisprudence.

La pratique de Lerebours-Pigeonnière est également liée aux modes d’expression auxquels il recourt. Son nom évoque, inévitablement, un Précis, celui qu’il a fait paraître de 1928 à 1954. Un précis ? Oui sans doute à raison du volume. Mais plus qu’un précis si l’on considère la substance. Au point de s’adresser, du fait de sa concision et de la culture que postule sa lecture, moins aux étudiants qu’à un public averti. En tout cas, il faut se garder de cantonner la pensée de l’auteur à ce Précis. En effet, il s’exprime aussi dans des chroniques, dans des notes, dans ses rapports. Où l’on décèle, pêle-mêle, la pensée du professeur, mais également le point de vue du juge ou encore – plus discrète – la démarche du consultant.

Le droit international privé, ou l’art de la synthèse

Lerebours-Pigeonnière est-il particulariste (Loussouarn) ? En fait, l’auteur constate l’absence de règles issues de la société internationale. Il sait que le juge ne peut refuser de juger et de juger conformément aux règles de droit. Il n’a pas d’autre choix que de puiser dans son ordre juridique. Lerebours-Pigeonnière serait donc un particulariste par nécessité. Toutefois, sans fermer la voie à des évolutions, il doute que des règles puissent être élaborées par la société internationale. Ce qui en ferait plutôt un particulariste de conviction. Raisonnant alors dans le cadre de l’ordre juridique français, il s’applique à fixer une méthode. Il retient que le droit international privé règle, non pas des conflits de souverainetés, mais des conflits d’intérêts. Puis il part d’un postulat : les relations internationales ne peuvent être traitées comme des relations internes. Ainsi, il considère qu’avant de poser une règle, il faut prendre en compte 1) les exigences du commerce international ; 2) l’existence d’une communauté internationale ; 3) les intérêts politiques de l’Etat ; 4) la vocation subsidiaire de l’ordre juridique du for. A quoi il ajoute la nécessité d’harmoniser les règles de conflit qu’émet chaque Etat. Et une solution juste ne peut procéder que de la combinaison de ces données. Partant, il a été perçu comme éclectique (Audinet). Les contours de ces notions sont, il est vrai, mal définis, leur maniement lui-même empreint d’une grande souplesse. Mais n’est-ce pas la seule façon d’appréhender correctement les relations internationales ? Et ne faut-il pas y voir plus qu’un éclectisme, qui suggère le désordre, un syncrétisme qui postule au contraire la soumission à la raison ?

Le droit international privé, ou l’art de l’analyse

Dans le détail, la pensée de Lerebours-Pigeonnière peut paraître à certains moments datée, ou émaillée de formules connotées. A distance, la pensée de l’auteur consacre d’indéniables progrès, dans le domaine des conflits de lois, il faut le concéder, plus que dans le domaine des conflits de juridictions. Ainsi, il se prononce pour le renvoi (1924) et convainc Niboyet et d’autres de s’y rallier. Comme auteur ou rapporteur, il dessine le régime de l’exception d’ordre public, soit au travers d’énoncés généraux, soit par le biais de classifications. Il reprend la distinction entre l’acquisition des droits et les effets des situations acquises, préparant l’accueil de la notion de reconnaissance, imaginée par Pillet. Il n’hésite pas à faire toute leur place aux lois de police, et offre à son lecteur nombre d’exemples pertinents. Il eut la préscience – à l’occasion de l’arrêt Messageries maritimes (1950) – de ce que peut être une règle d’ordre matériel issue d’un ordre juridique étatique. Enfin, il prône de lege lata le recours à la loi du domicile pour les successions mobilières, et milite de lege feranda pour la substitution du domicile à la nationalité, s’agissant de l’état des personnes. Ce pourquoi, il est parfois tenu pour territorialiste (Loussouarn). Son apport est double. Enoncés doctrinaux, attendus érigés en chapeaux d’arrêts, les uns et les autres soigneusement polis, la plume de Lerebours-Pigeonnière a enrichi à la discipline de formulations qui ont marqué. Au-delà, si la doctrine tout au long du XXsiècle, Batiffol en tête, l’a tenu en si haute estime, c’est qu’elle mesurait pleinement, sur le fond cette fois, tout ce qu’elle devait à sa réflexion.

 

Dominique FOUSSARD   Avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation
Président du Comité français de droit international privé

 

 

Sources : A. Audinet, « Paul Lerebours-Pigeonnière internationaliste », communication suivie des interventions de Julliot de la Morandière, Le Balle, Picard, Basdevant, Gavalda [séance du 13 décembre 1957], Travaux du Comité français DIP, t. 19-20, 1960, p. 17-36 ; R. Le Balle, « Paul Lerebours-Pigeonnière », Rev. trim. dt. civ., 1954, p. 569-570 ; H. Batiffol, « Paul Lerebours-Pigeonnière (1874-1954) », Rev. crit. dip., 1954, p. 657-659 ; Ph. Franceskakis, « Perspectives du droit international privé français actuel », Rev. int. dt. comparé,1955, p. 349-360, spéc. p. 351-353 ; J.-L. Halperin, v° Lerebours-Pigeonnière, Dictionnaire des juristes français. XIIème-XXème siècles, dir. P. Arabeyre, J.-L. Halperin, J. Krynen, PUF-Quadrige, 2èmeéd., 2015 ; A. Ithier, Avocat général, « Rentrée de la Cour de cassation. Audience solennelle du 3 octobre 1955 », Site de la Cour de cassation ; Y. Loussouarn, « L’œuvre de Paul Lerebours-Pigeonnière », Clunet,1954, p. 884-908 [en français et en anglais] ; Le Tribunal et la Cour de cassation. Notice sur le personnel (1905-1963), Imprimerie nationale, 1963, n°722, p. 138.

 

 

BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE

 

Précis de droit international privé,Dalloz, six éditions (1928, 1933, 1937, 1946, 1948 et 1954)

« Observations sur la question du renvoi », Clunet, 1924, p. 877

« La déclaration universelle des droits de l’homme et le droit international privé », in Le droit privé au milieu du XXème siècle. Etudes offertes à Georges Ripert, T. 1, Etudes générales. Droit de la famille, LGDJ, 1950, p. 255

« A propos du contrat international », Clunet, 1951, p. 4 (à propos de Civ. 1, 21 juin 1950, Messageries maritimes)

« L’œuvre de J.-P. Niboyet », Rev. crit. DIP, 1952, pp. 402-411

Intervention à la suite de J. Maury, « La condition de la loi étrangère en droit français », [séance du 27 avril 1951], Travaux français Comité DIP, t. 9-13, 1953, pp. 97-135, et spéc. pp. 121-123

 

Notes

 Civ. 19 juin 1939, Labedan, DP.1939.I.97, note P. Lerebours-Pigeonnière

Civ 2, 22 mars 1944, Chemins de fer portugais, DC.1944.I.45, rapport et note P. Lerebours-Pigeonnière ; S.1945.I.67, rapport P. Lerebours-Pigeonnière

Civ. 11 avril 1945 et 1ermai 1945, D.1945.245, note P. Lerebours-Pigeonnière

Civ. 25 mai 1948, Lautour, D. 1948.357, note P. Lerebours-Pigeonnière