MOYNIER

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GUSTAVE MOYNIER

(1826-1910)

 

Gustave Moynier mène une partie de ses études de droit à Paris, mais l’essentiel de ses activités se déroule à Genève, sa ville natale. C’est ainsi dans la capitale suisse qu’il présente en 1850 sa thèse consacrée aux « interdits en droit romain » et réalise rapidement que l’exercice du métier d’avocat ne lui suffit pas intellectuellement. Gustave Moynier s’intéresse en effet à une multitude de sujets qui ne se limitent pas au droit, qu’il s’agisse de théologie (il rédige en 1859 une biographie de l’apôtre Paul), de sociologie (notamment abordée dans son ouvrage de 1877 sur Les institutions ouvrières en Suisse) ou encore de géographie (il dirige à partir de 1879 la revue L’Afrique explorée et civilisée). Ses réflexions sont nourries par des expériences variées, qu’il s’agisse de sa participation aux travaux des sociétés genevoises d’utilité publique ou de géographie, de son statut de correspondant à l’Académie des sciences morales et politiques de l’Institut de France ou encore de ses fonctions de Consul général honoraire pour le Congo en Suisse. La plus grande partie de son temps, et ses écrits majeurs, sont toutefois consacrés au droit international, en particulier à une inlassable activité de promotion des normes applicables dans le contexte des conflits armés. En ce sens, le qualifier de « notaire de la charité organisée sur le plan international », pour reprendre les mots de Paul Ruegger, ne suffit pas à rendre compte de l’ampleur et de l’impact de son œuvre.

Un acteur engagé dans la diffusion internationale de nouvelles idées

En 1868, Moynier participe à la fondation de la Ligue internationale et permanente de la Paix, témoignage de son implication personnelle dans un mouvement qui se développe à l’époque en Europe et aux Etats-Unis et prône un respect mutuel et l’absence de toute menace entre les nations.

Quelques années plus tard, comme Gustave Rolin-Jaequemyns, il propose la création d’une institution permanente groupant les spécialistes les plus réputés du droit international. Ainsi, le 8 septembre 1873, il est présent à Gand pour adopter les statuts de l’Institut de droit international (IDI). Comme la plupart de ses pairs, Moynier est marqué par les horreurs de la guerre franco-prussienne de 1870-1871 et motivé par le souci de garantir pour l’avenir l’effectivité de la Convention de Genève de 1864 pour l’amélioration du sort des militaires blessés dans les armées en campagne. C’est donc suivant son initiative que l’Institut adopte en 1880 le Manuel d’Oxford : premier effort de codification internationale des « lois de la guerre sur terre », ce document sera source d’inspiration de nombreux textes nationaux et des travaux de la Conférence de la paix tenue à La Haye en 1899.

La contribution de Gustave Moynier aux travaux de l’IDI, dont il est tour à tour président et président d’honneur, est également marquée par ses propositions relatives à la question du Congo. Il prône en effet deux idées originales pour l’époque : d’abord, l’adoption d’un accord international prévoyant la liberté de navigation et de commerce sur le fleuve Congo et ses affluents, gérée par une commission internationale ; ensuite, l’abolition de l’esclavage et l’interdiction de la traite dans le bassin du Congo. Cette dernière position s’inscrit en réaction aux agissements de l’Association internationale africaine, fondée à l’initiative du roi Léopold II et aux activités desquelles Moynier avait un temps participé ; ayant pris conscience de l’œuvre en réalité colonisatrice et non humaniste de cette organisation, il s’en éloigne et s’engage donc dans le jeune mouvement anti-esclavagiste.

Un dernier aspect de l’apport de Moynier au développement de nouvelles idées, aujourd’hui inscrites en droit international, est peu connu : il s’agit de sa proposition de création d’une cour criminelle internationale et permanente. Sa réflexion en la matière est encore une fois motivée par le choc ressenti face aux atrocités commises à l’occasion de la guerre franco-prussienne. Dès 1872, il propose donc la mise en place d’un tribunal de type arbitral qui aurait compétence pour juger les auteurs de certaines violations du droit de la guerre et ordonner, ce qui n’avait jamais été envisagé, la réparation des dommages causés. Trop ambitieux pour l’époque, ce projet entraîne de vifs débats doctrinaux et une forte opposition politique ; il ne trouvera finalement une forme de consécration qu’avec l’adoption du Statut de la Cour pénale internationale en 1998.

Un des pères fondateurs du droit international humanitaire

Gustave Moynier est essentiellement connu pour son rôle de promoteur du « droit de la guerre », notamment à travers la fondation – avec Henry Dunant, le général Dufour et les docteurs Louis Appia et Théodore Maunoir – du Comité international de la Croix Rouge (CICR). Très inspiré par le témoignage majeur d’Henry Dunant, Un souvenir de Solférino, sur la désorganisation des secours pendant cette grande bataille de 1859, il organise et assure le secrétariat des conférences internationales de 1863 et 1864 lançant le Mouvement international de la Croix-Rouge et aboutissant à l’adoption de la toute première Convention de Genève précitée. Ce texte, qu’il rédige en grande partie, pose les grands principes du droit international humanitaire moderne : nécessité de mettre en place des sociétés nationales de secours, obligation de protéger et de soigner tous les blessés quelle que soit leur nationalité, immunité des porteurs de l’emblème distinctif (croix rouge sur fond blanc)…

Moynier n’aura de cesse par la suite de chercher à améliorer la diffusion et l’effectivité de ce corpus juridique, via son inscription dans les travaux de l’IDI et l’adoption du Manuel d’Oxford précité, la rédaction de nombreux ouvrages (doctrinaux ou de vulgarisation), ainsi qu’une présidence énergique du CICR pendant plus de quarante ans. C’est notamment dans ce cadre qu’il continuera à prôner un discours pacifiste, qu’il ne juge pas – contrairement à nombre de ses contemporains – incompatible avec le souci de réglementer ce qui se passe sur les champs de bataille une fois les conflits enclenchés.

Toutefois, comme pour son projet de cour criminelle permanente, Moynier ne verra pas l’aboutissement logique de son œuvre, soit l’adoption des quatre conventions de Genève de 1949 relatives à la protection des blessés et malades dans la guerre terrestre et maritime, au statut des prisonniers de guerre ainsi qu’à la protection des civils. De même, malgré sa candidature, ce n’est pas lui, mais son ancien complice Henry Dunant, et le symbole institutionnel de leurs idéaux communs, le CICR, qui recevront respectivement le prestigieux Prix Nobel de la Paix en 1901 et 1917.

 

 

Marina EUDES  

Maître de conférences HDR à l’Université Paris Nanterre

Membre du Centre de droit international de Nanterre (CEDIN) 

 

 

Sources : B. Bouvier, Gustave Moynier, Imprimerie du Journal de Genève, 1918, 59 p. ; A. Durand, « Quelques remarques sur l’élaboration des principes de la Croix-Rouge chez Gustave Moynier », in C. Swinarski (Ed.), Études et essais sur le droit international humanitaire et sur les principes de la Croix-Rouge en l’honneur de Jean Pictet, Genève, La Haye, Nijhoff, 1984, pp. 861-873 ; « The role of Gustave Moynier in the founding of the Institute of International Law (1873) : The war in the Balkans (1857-1878) : the manual of the laws of war (1880) », IRRC, 1994, vol. 34, afl. 303, pp. 542-563 ; « Gustave Moynier et les sociétés de la Paix », RICR, 1996, vol. 78, n° 821, pp. 575-594 ; « Le premier Prix Nobel de la Paix (1901) : candidatures d’Henri Dunant, de Gustave Moynier et du Comité international de la Croix-Rouge », RICR, 2001, vol. 83, n° 842, pp. 275-285 ; J. de Senarclens, « Gustave Moynier », Dictionnaire historique de la Suisse ; V. Harouel, « Aux origines de la justice pénale internationale : la pensée de Moynier », Revue historique de droit français et étranger, n° 177, 1999, pp. 71-83 ; G. Rolin-Jaequemyns, « Convention de Genève : Note sur le projet de M. Moynier, relatif à l’établissement d’une institution judiciaire internationale, protectrice de la convention », Revue de droit international et de législation comparée, n° 4, 1872, pp. 325-346 ; P. Ruegger, « Gustave Moynier [1826-1910] », RICR, n° 58, 1976, pp. 5-14 et dans le Livre du centenaire, Institut du droit international, pp. 90-97 ; P. Singaravélou, « Les stratégies d’internationalisation de la question coloniale et la construction transnationale d’une science de la colonisation à la fin du XIXsiècle», Monde(s),2012/1 (N° 1), pp. 135-157

 

BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE

 

Avec L. Appia, La guerre et la charité ; traité théorique et pratique de philanthropie appliquée aux armées en campagne, Cherbuliez, Genève et Paris, 1867, 401 p.

Etude sur la Convention de Genève pour l’amélioration du sort des militaires blessés dans les armées en campagne (1864 et 1868), Paris, Cherbuliez, 1870, 376 p.

Note sur la création d’une institution judiciaire internationale propre à prévenir et à réprimer les infractions à la Convention de Genève, Bulletin international des sociétés de secours aux militaires blessés, n° 11, Genève, Soullier et Wirth, 1872, 12 p.

Les dix premières années de la Croix Rouge, imprimerie Jules-Guillaume Fick, Genève, 1873, 90 p.

La Convention de Genève pendant la guerre franco-allemande, Genève, imprimerie Soullier & Wirth, 1873, 58 p.

La Croix Rouge, son passé et son avenir, Sandoz & Thuillier, Paris, 1882, 287 p.

La question du Congo devant l’Institut de droit international, Imprimerie Charles Schuchardt, Genève, 1883, 27 p.

Le Comité international de la Croix-Rouge de 1863 à 1884, B. Soullier, Genève, 1884, 45 p.

La fondation de l’Etat indépendant du Congo au point de vue juridique, 1887, 40 p.

L’institut de droit international, A. Picard, Paris, 1890, 29 p.

Les bureaux internationaux des unions universelles, A. Cherbuliez, Genève, C. Fischbacher, Paris, Genève, 1892, 175 p.

Considérations sur la sanction pénale à donner à la convention de Genève présentées à l’Institut de droit international, F. Regamey, 1893, 33 p.

Essai sur les caractères généraux des lois de la guerre, C. Eggiman & cie, Genève, Librairie Fischbacher, Paris, 1895, 120 p.

Notions essentielles sur la Croix-Rouge, Georg & Cie, Genève, 1896, 53 p.

La révision de la Convention de Genève : étude historique et critique, suivie d’un projet de convention révisée, Publication du Comité international de la Croix Rouge, Genève, 1898, 64 p.

La fondation de la Croix-Rouge : mémoire présenté́ au Comité international, Fondation de la Croix-Rouge, Soulier, Genève, 1903, 35 p.

Mes heures de travail, Genève, Société générale d’imprimerie, 1907, 91 p.

« Projet de convention pour la création d’une institution judiciaire internationale propre à prévenir et à réprimer les infractions à la Convention de Genève (Genève, 1872) », Revue internationale de la Croix-Rouge, 1998, vol. 80, n° 829, pp. 76-78 (introduit par C. Keith Hall)