NIBOYET

Photo : Académie de droit international de La Haye (avec l'aimable autorisation du Secrétaire général)

JEAN-PAULIN NIBOYET

(1886-1952)

 

Né le 29 octobre 1886 à Paris, Jean-Hippolyte-Paulin Niboyet, issu d’une famille originaire du Vivarais dont les personnalités éminentes s’étaient jusqu’alors illustré par les armes et par la plume, emprunte avec ardeur et détermination la voie de la carrière juridique. Du témoignage de tous, il y apporte la vigueur de son tempérament, la force de ses convictions, l’autorité naturelle de l’esprit épris de vérité, la rectitude de celui qui fit du droit international privé l’objet de son sacerdoce.

Après s’être signalé à l’attention de ses maîtres (Lainé, Renault, Lapradelle et, surtout, Pillet) dès 1912 par une thèse de doctorat dirigée par Pillet et demeurée fameuse sur les conflits de lois relatifs à l’acquisition de la propriété et des droits sur les meubles corporels à titre particulier, Niboyet suspend ses ambitions académiques pour servir sous les drapeaux pendant toute la durée de la Première Guerre mondiale. Cette expérience longue de 5 ans marquera à vie ce patriote sincère et influencera grandement son parcours en tant qu’homme mais aussi en tant que savant. Agrégé en 1919, il enseigne tout d’abord à Strasbourg (1919-1926), où il traite la question brûlante de la réintroduction du droit français en Alsace, puis à Lille (1926-1930), avant de contribuer à l’éclat de la Faculté de droit de Paris, jusqu’à sa fin brutale survenue le 2 mars 1952.

Le maître du droit international privé français de l’entre-deux-guerres

Figure emblématique du droit international privé français de l’entre-deux-guerres, Niboyet doit ce statut à l’inlassable activité et à l’intarissable énergie qu’il a constamment mises au service de sa discipline. D’éminentes qualités qui se révèlent dans les diverses initiatives qui témoignent encore aujourd’hui de cet engagement sans failles : directeur, avec Lapradelle, du Répertoire de droit international (1929-1933) et, surtout, fondateur de la Revue critique de droit international en 1934, il joue un rôle moteur dans la création, la même année, du Comité français de droit international privé, dont il sera président de 1946 à 1952. Enfin, il est amené à piloter, en tant que membre de la Commission de révision du Code civil, le projet de codification du droit international privé (1950), finalement demeuré sans suite.

Cet activisme s’étend également au droit comparé : membre de la Société de législation comparée depuis 1920, il accède à la présidence après la Libération et est, à ce titre, à l’origine de la moderne Revue internationale de droit comparé, dont le premier numéro paraît en 1949. Il contribue, de même, à la naissance du Centre français de droit comparé, qui héberge, rue Saint-Guillaume, l’Institut de droit comparé de la Faculté de droit de Paris.

Après avoir, dans un premier temps, épousé les vues de son maître Pillet et défendu, avec celui-ci, des thèses internationalistes dans la dernière édition du Manuel de droit international privé de Pillet (1924), Niboyet infléchit, dès l’édition de 1928, sa pensée vers une doctrine plus strictement territorialiste et nationaliste. C’est surtout à travers son monument – le Traité de droit international privé français, paru en 6 volumes (1938-1950) – qu’il donne la forme définitive à ses idées.

Un territorialisme de combat au service de l’intérêt national

Eprouvé par l’expérience de la guerre et par les promesses non tenues des Conférences de la Haye et de la SdN, Niboyet se démarque vigoureusement des thèses personnalistes qui dominaient la doctrine française avant 1914. Il les considère disqualifiées en raison d’un universalisme et d’un internationalisme hors d’âge et récuse leur prétention à fonder un système général de résolution des conflits de lois en postulant une communauté de droit qui lui semble chimérique.

Pour Niboyet, si le droit international privé ne peut trouver aucun secours auprès du droit des gens, c’est parce qu’il est, avant tout, le reflet du droit national, conçu comme pleinement souverain à l’intérieur du territoire. Par conséquent, puisque tout rapport de droit trouve naturellement sa localisation sur un territoire donné, chaque Etat doit être libre de réglementer à sa guise ce rapport né à l’intérieur de ses frontières et de ne donner ainsi aux lois étrangères que la place qu’il entend leur concéder. La compétence normative est donc, en principe, dévolue au « pays dans lequel se trouve le lieu où le fait s’est produit ». L’idée de réciprocité suppose la coopération : l’Etat du for respectera le droit valablement constitué né sur le territoire de l’Etat étranger. D’où sa fameuse distinction entre création des droits, d’une part, et efficacité internationale des droits définitivement constitués, de l’autre. S’agissant de la création, l’ordre juridique étatique exerce un contrôle absolu sur le droit, ce qui se traduit, chez Niboyet, par des mécanismes visant à défendre l’intérêt national (faveur pour l’unilatéralité de la règle de conflit, qualification lege fori, renvoi au premier degré uniquement, effet plein de l’ordre public, fraude à la loi…). S’agissant de l’efficacité des droits, l’ordre juridique desserre son emprise et définit seulement les modalités d’accueil du droit né à l’étranger : ainsi de l’effet atténué de l’ordre public ou encore du contrôle de la loi appliquée et de la compétence.

La logique du système impose alors de restreindre au maximum les exceptions échappant à l’impérieuse territorialité de la loi locale. D’une part, Niboyet combat la doctrine de l’autonomie de la volonté en matière contractuelle et plaide en faveur de la loi du domicile en matière de statut personnel, aux dépens de la loi nationale. Vouée à assurer, au-delà du territoire, la continuité de l’état et de la capacité des personnes, la loi personnelle, par ce rattachement domiciliaire (et donc territorial), permettrait d’arrimer plus fermement l’étranger à la société dans laquelle il vit. Une telle préoccupation ne pouvait échapper à un esprit vigilant devant l’évolution démographique dans un pays de forte immigration comme l’était la France de l’entre-deux-guerres.

D’autre part, Niboyet élabore, à côté d’un système qui se veut rationnel et équitable, des solutions politiques, fortement particularistes, qui conduisent à imposer, dans certains cas, l’application discrétionnaire de la loi française, fondée sur la défense d’un intérêt national. Cet aspect de sa pensée, sans doute le plus discuté, témoigne surtout des inquiétudes de l’auteur à l’égard d’un contexte (inter)national particulièrement troublé.

Cette doctrine, même dans ses aspects qui peuvent apparaître les plus périmés, se recommande par sa volonté de demeurer en résonance permanente avec les réalités de son époque, ce qui lui valut l’audience de ses pairs et de ses successeurs, mais également par sa capacité à solliciter du droit comparé et de l’histoire les soutiens les plus à même de la fortifier. Chez Niboyet, et c’est l’une de ses richesses, l’argument historique a valeur d’argument d’autorité.

 

Baudouin ANCEL

Docteur en droit
Institut d’histoire du droit – Université Panthéon-Assas (Paris 2)

 

Sources : AN, F17 27478 ; « Notice biographique de Jean-Paulin Niboyet », RCADI, tome XVI, 1927-1, p. 3 ; RCADI, tome XXXI, 1930-1, p. 1 ; RCADI, tome XL, 1932 ; « Niboyet, Jean-Paulin, Hippolyte », base de données Siprojuris ; B. Ancel,« Jean-Paulin Niboyet (1886-1852) », in Comité français de droit international privé, Figures de présidents, 1934-1996, Paris, Pedone, 2020, pp. 29-36 ; H. Batiffol, « Jean-Paulin Niboyet † (1886-1952) », Revue critique de droit international privé, n°41, 1952-1, pp. 1-3 ; R. Cassin, « Nécrologie J.-P. Niboyet », Revue international de droit comparé, volume 4, n°2, avril-juin 1952, pp. 347-350 (Bulletin de la Société de Législation comparée) ; Ph. Francescakis, « Permanence de l’œuvre de Niboyet », Revue hellénique de droit international, 1953, pp. 228-247, repris dans La pensée des autres en droit international privé. Comptes rendus bibliographiques (1946-1984) réunis en hommage à leur auteur, Paris, Dalloz, 1985, pp. 443-461 ; J.-L. Halpérin, « Niboyet, Jean-Hippolyte-Paulin », Dictionnaire historique des juristes français (XIIe-XXe siècle), Paris, 2e édition, 2015, p. 769 ; P. Lerebours-Pigeonnière, « L’œuvre de J.-P. Niboyet », Revue critique de droit international privé, 1953, pp. 401-411 ; P. Louis-Lucas, « Territorialisme et nationalisme dans l’œuvre de J.-P. Niboyet », Travaux du Comité français de droit international privé, 14-15e année, 1951-1954, Paris, 1955. pp. 11-42.

 

BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE

 

Monographies 

Des conflits de lois relatifs à l’acquisition de la propriété et des droits sur les meubles corporels à titre particulier, étude de droit international privé, thèse de doctorat, Paris, Sirey, 1912

La nationalité d’après les traités de paix qui ont mis fin à la grande guerre de 1914-1918, Bruxelles, S.A.M. Weissenbruch, 1921

Conflits entre les lois françaises et les lois locales d’Alsace et Lorraine en droit privé. Commentaire de la loi du 24 juillet 1921, Paris, L. Tenin, 1922

Manuel de droit international privé (avec Antoine Pillet), Paris, Sirey, 1924

Manuel de droit international privé, Paris, Sirey, 1928 (additions en 1935)

Traité de droit international privé français, 6 volumes, Paris, Sirey, 1938-1950

Cours de droit international privé, Paris, Sirey, 1946

 

Direction de publication

Répertoire pratique de droit et de jurisprudence d’Alsace et Lorraine : lois civiles, lois commerciales, lois pénales, organisation administrative et fiscale, Paris, 1925-1933, 9 volumes puis supplément annuel

Répertoire de droit international (co-direction avec Albert de La Pradelle), Paris, Sirey, 10 volumes, 1929-1931 (supplément dirigé par Niboyet, 1934)

 

Cours à l’Académie de droit international de La Haye

« La théorie de l’autonomie de la volonté », RCADI, tome XVI, 1927-1, pp. 1-116 

« Les doubles impositions au point de vue juridique », RCADI, tome XXXI, 1930-1, pp. 1-105

« Le rôle de la justice internationale en droit international privé : conflit de lois », RCADI, tome XL, 1932-2, pp. 153-235

« La notion de réciprocité dans les traités diplomatiques de droit international privé », RCADI, tome LII, 1935-2, pp. 253-363

 

Articles

Revue de droit international privé :

« De la condition des étrangers et des personnes morales étrangères en Alsace et en Lorraine », 1921, pp. 337-355

« Froland, les conflits de qualifications et la question du renvoi », 1926, pp. 1-25 

« Existe-t-il vraiment une nationalité des sociétés ? », 1927, pp. 402-417

« Des modifications à apporter au statut des Français en pays étrangers et des étrangers en France », 1929, pp. 193-220

« Le 14e amendement à la Constitution des Etats-Unis et le droit international privé », 1931, pp. 377-378

Revue critique de droit international privé :

« Le problème des qualifications sur le terrain des traités diplomatiques », 1935, pp. 1–34

« Le conflit des autorités : la règle ‘Auctor regit actum‘ », 1948, pp. 397 et s.

« Immunité de juridiction et incompétence d’attribution », 1950, p. 139 et s.

« L’universalité des règles de solution de conflits est-elle réalisable sur la base de la territorialité ? », 1950, pp. 509 et s.

Revue générale de droit international public 

« Les immunités de juridiction, en droit français, des Etats étrangers engagés dans des transactions privées », 43e année, 1936-1, pp. 525-545

Revue de droit international et de législation comparée 

« La nationalité d’après les traités de paix qui ont mis fin à la Grande Guerre de 1914-1918 », 1921, pp. 285-319

« La fraude à la loi en droit international privé », 1926, pp. 485-508

« Les conflits de lois relatifs aux immeubles situés aux frontières des Etats », 1933, pp. 468-497

Revue juridique d’Alsace et de Lorraine 

« La nationalité en Alsace-Lorraine d’après le traité de paix », 1ère année, n°6, 1920, pp. 241-256

« Les règles de droit international privé applicables en Alsace-Lorraine depuis le 11 novembre 1918 », 1ère année, n°12, 1920, pp. 497-505

 

Mélanges

« Quelques considérations sur la justice internationale et le droit international privé », Mélanges Antoine Pillet, volume I, Paris, Sirey, 1929, pp. 153-177

« Considérations sur quelques idées actuelles en France, en matière de conflits de lois », Mélanges offerts à Ernest Mahaim, tome II. Sciences juridiques, Paris, Sirey, 1935, pp. 663-680

 

Travaux du Comité français de droit international privé 

21 mars 1938 : « Le statut des étrangers en France », TCFDIP, année 1939, 5e année, pp. 75-100

30 janvier 1939 : « Discussion des décrets-lois du 12 novembre 1938 : la condition des étrangers en général », TCFDIP, année 1946, 6e année, pp. 23-26

22 mai 1939 : « Observations sur le décret-loi du 12 avril 1939 relatif aux associations », TCFDIP, année 1946, 6e année, pp. 53-56

22 décembre 1945 : « Le code civil en préparation et les règles de solution des conflits de lois », TCFDIP, années 1945-1946, 7e année, 1948, pp. 13-52

19 janvier 1946 : « Le code civil en préparation et les règles de solution des conflits de lois (suite) », TCFDIP, années 1945-1946, 7e année, 1948, pp. 53-88

31 janvier 1947 : « La récente constitution française et le droit international », TCFDIP, années 1946-1948, 8e-9e années, 1951, pp. 17-46

9 mars 1951 : « Le domicile dans le projet de la Commission de réforme du Code civil », TCFDIP, années 1948-1952, 9e-13eannées, 1953, pp. 65-96

13 février 1952 : « L’immunité de juridiction s’étend-t-elle aux actions concernant les biens ? », TCFDIP, années 1948-1952, 9e-13e années, 1953, pp. 149-178

 

Rapports

« Conflits de lois en matière d’état et de capacité des individus », rapports à l’Institut de Droit international (avec G. Streit), juillet 1931 (Annuaire de l’Institut de droit international, Session de Cambridge – juillet 1931, volume I, pp. 163-182), et août 1932 (Annuaire de l’Institut de droit international, Session d’Oslo – août 1932, pp. 186-222).