REUTER

Photo : Académie de droit international de La Haye. Avec l’aimable autorisation du Secrétaire général

PAUL REUTER

(1911-1990)

 

Praticien, homme de réflexion, préférant la rigueur intellectuelle et, selon ses propres mots, la « concision jusqu’au vice » à la systématisation théorique, Paul Reuter représente pour ses contemporains la synthèse entre l’esprit encyclopédique et l’attachement aux détails de la pratique.

Il naît à Metz le 12 février 1911 dans une « famille d’hommes de loi de proche origine paysanne » (biographie in Mélanges Reuter). L’intérêt pour le droit l’amène en 1927 à la Faculté de droit de Nancy, où sa rencontre avec Louis Trotabas sera en 1938 à l’origine de la revue Droit social.

Un professeur sur le front

Ayant soutenu une thèse sur la règle « Toute prise doit être jugée » et reçu premier au concours d’agrégation de 1938 (la même année qu’André Gros), P. Reuter est nommé professeur de droit à Poitiers. Toutefois, « il trouve un peu vain d’aller enseigner le droit comme si de rien n’était quelques semaines après les accords de Munich » (J. Combacau). Il décide de s’engager sur le front, où il est blessé et fait prisonnier à Calais. Il réussit à s’échapper et rejoint d’abord Poitiers, ensuite Aix-en-Provence. Entre 1941 et 1943 il travaille à l’École des cadres d’Uriage où sa rencontre avec H. Beuve-Méry ne sera pas étrangère à la fondation du journal Le Monde (1944).

A la libération, Paul Reuter est invité par P.-H. Teitgen en tant que conseiller dans plusieurs cabinets. De cette courte période résulte une connaissance approfondie des intrications administratives, certainement à l’origine de sa nomination au Conseil d’administration de l’École nationale d’administration dès sa création.

Du retour vers son activité universitaire, P. Reuter enseigne le droit et l’économie des pays d’outre-mer à Aix-en-Provence. Il publie des travaux couvrant des disciplines aussi diverses que le droit fiscal, le droit social et le droit de l’organisation de l’économie par l’Etat. Appelé à la Faculté de droit de Paris, il y enseigne à partir de 1951 des matières plus proches de ses préférences – les institutions internationales et le droit international public (en doctorat). Ses cours touchent à des questions peu abordées, telles que le droit humanitaire, domaine quelque peu oublié à une époque où l’ONU suscitait l’optimisme, ou le droit du transport aérien. Son intérêt pour des questions techniques et peu étudiées se reflète dans les sujets qu’il propose à une génération de doctorants (entre autres, Jean Combacau, Jacqueline Dutheil de La Rochère, Paul Tavernier).

Un praticien de premier plan

Au début des années 1950, à ces enseignements universitaires s’associe une carrière pratique, en raison de l’invitation que lui fait André Gros à le seconder au service juridique du ministère des affaires étrangères. S’ensuivent une nomination au Comité central permanent de l’opium et à la présidence de l’Organe international de contrôle des stupéfiants. En 1964 P. Reuter remplace André Gros, élu à la Cour internationale de Justice, à la Commission du droit international, dont il restera membre jusqu’en 1989. Les rencontres entre les deux demeurent pourtant fréquentes : P. Reuter apparaît régulièrement devant la Cour, conseillant les gouvernements français (affaires Droits des ressortissants des Etats-Unis d’Amérique au Maroc (1950), Effets des jugements du TANU accordant indemnité (1953), Certains emprunts norvégiens (1955)), cambodgien (affaire du Temple de Préah Vihéar (1959)) ou espagnol (affaire Barcelona Traction, Light and Power Company, Limited (1958)). Sa « précision irréprochable » (R. Kolb) et l’« honnêteté intellectuelle de ses présentations » (A. Gros) ne manquent pas d’impressionner les juges.  P. Reuter assume aussi bien le rôle de conseil que celui d’un tiers impartial – élu président du Tribunal suprême de la Principauté de Monaco, il est également arbitre nommé par la France dans les affaires du Lac Lanoux (1957) et de l’Interprétation de l’accord franco-américain relatif au transport aérien international (1963), président du Tribunal arbitral dans l’affaire Aminoil c. Koweit (1982).

Sa rigueur et son attachement aux détails sont naturellement appréciés au sein de la Commission du droit international, où P. Reuter est nommé rapporteur spécial sur la question des traités signés par les organisations internationales. Le sujet lui est particulièrement proche, combinant deux disciplines qui occupent de longue date son intérêt académique : le droit des traités et le droit des organisations internationales. Au sein d’un organisme rassemblant des juristes des deux côtés du rideau de fer, dont les discussions s’apparentent souvent à des négociations politiques, P. Reuter œuvre à l’élaboration d’un projet dont l’équilibre technique ferait consensus. Son esprit d’analyse l’amène à explorer davantage ces points et à les conceptualiser dans plusieurs articles.

Au début des années 1950, aux champs d’intérêt de P. Reuter s’ajoute un nouveau sujet dont les aspects idéalistes, mais également techniques et « apolitiques », selon ses propres mots, lui sont particulièrement proches. Au ministère des affaires étrangères il rencontre Jean Monnet qui sollicite son avis sur un projet encore embryonnaire. P. Reuter s’implique alors dans la conception du Plan Schuman. Il est à l’origine de la Haute autorité, « du mot comme de la chose » (J. Monnet). Convaincu par l’entreprise européenne, P. Reuter s’apprête à en théoriser les aspects juridiques. Il publie des études extensives des institutions communautaires et enseigne le nouveau droit des organisations européennes à l’Institut d’études politiques de Paris et à l’Académie de la Haye, où il donne son premier cours sur « Le Plan Schuman ».

Une œuvre nourrie à l’expérience

C’est certainement ce rapprochement entre la passion du professeur, du savant, et l’activisme de l’homme engagé, du technicien, qui définit l’œuvre de P. Reuter. L’expérience pratique fait toute la différence de ses cours hautement appréciés par ses élèves. Pour lui « l’activité pratique ne pouvait pas être […] un complément de l’activité universitaire, elle en était la condition même » (J. Combacau). Si c’est l’enseignement qui demeure la base de sa vie professionnelle, Paul Reuter reste pourtant toujours réticent aux tentations de la systématisation. Sa préférence pour l’analyse capillaire de points spécifiques l’amène à publier surtout des contributions ponctuelles ; seuls son cours général à l’Académie de la Haye (1961) et son Manuel de droit international public proposent une présentation d’ensemble de ses positions.

L’esprit critique s’associe chez P. Reuter à un amour pour la concision et un « attachement au ‘petit’ » (R. Kolb). La technicité oriente la réflexion vers les détails. Par conséquent, son œuvre est difficilement classable dans une ou autre grande école de pensée et ceci non pas par volonté d’originalité, qui semble étrangère à son caractère modeste et réservé. En réalité, P. Reuter voit le droit surtout comme un exercice pratique et moins comme un exercice de théorisation. Cette théorisation vient après, le praticien laissant la place au savant pour conceptualiser l’expérience. S’ensuit un étrange et vif amalgame entre le classicisme de la rigueur intellectuelle et l’originalité de la prise en compte des évolutions des nécessités de la société internationale.

 

Jénya GRIGOROVA

Doctorante à l’École de droit de la Sorbonne (Université Paris 1 Panthéon Sorbonne)

 

Sources : Entretien avec M. le Prof. Paul Tavernier, 28 février 2014 ; biographie sommaire de Paul Reuter in Le droit international : unité et diversité : Mélanges offerts à Paul Reuter, Paris, Pedone, 1981, pp. XXI-XXII (rédigée par P. Reuter à la demande des éditeurs) ; A. Cohen, « Le plan Schuman de Paul Reuter. Entre communauté nationale et fédération européenne », Revue française de science politique, n° 5, 1998, pp. 645-663 ; J. Combacau, « Paul Reuter, le juriste », AFDI, 1989, pp. 7-19  ; E. Decaux, « Paul Reuter. Le développement de l’ordre juridique international », Politique étrangère, n° 2, 1996, p. 431 ; A. Gros, « Hommage au professeur Paul Reuter », dans Le droit international : unité et diversité : Mélanges offerts à Paul Reuter, Paris, Pedone, 1981, pp. 1-7 ; J.-L. Halpérin, « Paul Reuter », in Dictionnaire historique des juristes français (XII-XXe siècle), PUF, 2007, p. 662 ; R. Kolb, Les cours généraux de droit international public de l’Académie de la Haye, Bruylant, Bruxelles, 2003, p. 368 ; J. Monnet, Mémoires, Paris, Fayard, 1988, 642 p. ; P. Reuter, « La conception du pouvoir politique dans le plan Schuman », Revue française de science politique, vol. 1 (3), juillet-septembre 1951, p. 256-276 ; P. Reuter, « Aux origines du Plan Schuman », in Mélanges Fernand Dehousse, Paris/Bruxelles, F. Nathan / Labor,  1980, t. II, pp. 64-69.

 

BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE

 

Ouvrages

Étude de la règle : « Toute prise doit être jugée », Paris, Les éditions internationales, 1933, 320 p.

La Communauté européenne du charbon et de l’acier, Paris, LGDJ, 1953, 320 p.

Organisations européennes, Thémis, Paris, PUF, 2 éditions

Institutions internationales, Thémis, Paris, PUF, 8 éditions

Droit international public, Thémis, Paris, PUF, 5 éditions

La Convention de Vienne sur le droit des traités, U2, Paris, A. Colin, 1970, 96 p.

Introduction au droit des traités, Paris, PUF, 3 éditions (3e éd. revue et augmentée par Ph. Cahier, 1995, 251 p.)

Avec A. Gros, Traités et documents diplomatiques, Thémis, Paris, PUF, 4 éditions

Avec J. Combacau, Institutions et relations internationales, Thémis, Paris, PUF, 1980, 580 p.

 

Cours à l’Académie de la Haye

« Le Plan Schuman », RCADI, 1952, t. 81, pp. 517-629

« Principes de droit international public », RCADI, 1961, t. 103, pp. 425-655

 

Articles

« Le jugement du Tribunal militaire international de Nuremberg », Recueil Dalloz, 1946, Chronique n° XX, pp. 77-80

« Quelques remarques sur la situation juridique des particuliers en droit international public », in La technique et les principes du droit public – études en l’honneur de Georges Scelle, Paris, LGDJ, 1950, t. II, pp. 535-553 (article mis en ligne avec l’aimable autorisation des Éditions Lextenso)

« La conception du pouvoir politique dans le plan Schuman », Revue française de science politique, vol. 1 (3), juillet-septembre 1951, p. 256-276

« Quelques aspects institutionnels du Plan Schuman », Chronique constitutionnelle européenne in Revue du droit public et de la science politique en France et à l’étranger, 1951, pp. 105-124 (article mis en ligne avec l’aimable autorisation des Éditions Lextenso)

« Le droit de la Communauté européenne du charbon et de l’acier », Journal du droit international, 1953, p. 4-23

« Le droit au secret et les institutions internationales », AFDI, 1956, pp. 46-65

« Les organes subsidiaires des organisations internationales », in Hommage d’une génération de juristes au président Basdevant, Pedone, Paris, 1960, pp. 415-440 (article mis en ligne avec l’aimable autorisation des Éditions A. Pedone)

« Le recours de la Cour de justice des Communautés européennes à des principes généraux de droit », in Problèmes de droit des gens – mélanges offerts à Henri Rolin, Paris, Pedone, 1964, pp. 263-283 (article mis en ligne avec l’aimable autorisation des Éditions A. Pedone)

« La Cour de justice des Communautés européennes et le droit international », in Recueil d’études de droit international en hommage à Paul Guggenheim, Université de Genève, 1968, pp. 665-686

« Réflexion sur la compétence du centre créé par la Convention pour le règlement des différends relatifs aux investissements entre Etats et ressortissants d’autres États », in Investissements étrangers et arbitrage entre Etats et personnes privées. La Convention BIRD du 18 mars 1965, CREDIMI, Paris, Pedone, 1969, pp. 9-24 (article mis en ligne avec l’aimable autorisation des Éditions A. Pedone)

« Le droit international comme source de droit communautaire », in W. J. Ganshof van der Meersch (dir.), Droit des Communautés européennes, Larcier, Bruxelles, 1969, pp. 437-440 (article mis en ligne avec l’aimable autorisation des Éditions Larcier)

« Quelques réflexions sur le vocabulaire du droit international », in Mélanges offerts à M. le Doyen Louis Trotabas, LGDJ, Paris, 1970, pp. 423-443 (article mis en ligne avec l’aimable autorisation des Éditions Lextenso)

« Le droit des traités et les accords conclus par les organisations internationales », in Miscellanea J.W. Ganschof van der Meersch, Bruxelles/Paris, Bruylant/LGDJ, 1972, t. I, pp. 192-215 (article mis en ligne avec l’aimable autorisation des Éditions Larcier)

« L’efficacité des mécanismes juridictionnels de protection de personnes privées dans le cadre européen », Revue des droits de l’homme, vol. VI, n°3-4, 1973, pp. 788-794

« L’extension du droit international aux dépens du droit national devant le juge international », in Le juge et le droit public – mélanges offerts à Marcel Waline, Paris, LGDJ, 1974, t. I, pp. 241-258 (article mis en ligne avec l’aimable autorisation des Éditions Lextenso)

« Confédération et fédération : ‘vetera et nova’ », in La Communauté internationale – mélanges offerts à Charles Rousseau, Paris, Pedone, 1974, pp. 199-218 (article mis en ligne avec l’aimable autorisation des Éditions A. Pedone)

« Le dommage comme condition de la responsabilité internationale », in Estudios de derecho internacional in homenage al professor Miaja de la Muela, Madrid, Tecnos, 1979, t. II, pp. 837-846

« Quelques réflexions sur l’équité en droit international public », Revue belge de droit international, 1980, pp. 165-186

« Du consentement du tiers aux normes d’un traité », in A. Bos / H. Siblesz, Realism in Law-Making. Essays in International Law in Honour of Willem Riphagen, Martinus Nijhoff, Dordrecht, 1986, pp. 155-167

« Traités et transactions. Réflexions sur l’identification de certains engagements conventionnels », in Le droit international à l’heure de sa codification – études en l’honneur de Roberto Ago, Milan, Giuffrè, 1987, pp. 399-415

« Le traité international, acte et norme », Archives de philosophie du droit, t. 32, 1987, p. 111-117

« Solidarité et divisibilité des engagements conventionnels », in Y. Dinstein (Ed.), International law at a time of perplexity. Essays in honour of Shabtai Rosenne, Martinus Nijhoff, Dordrecht, 1989, pp. 623-634

« Trois observations sur la codification de la responsabilité internationale des États pour fait illicite », in Le droit international au service de la paix, de la justice et du développement. Mélanges Michel Virally, Paris, Pedone, 1991, pp. 389-398 (article mis en ligne avec l’aimable autorisation des Éditions A. Pedone)

 

Rapports à la CDI sur les traités des organisations internationales

1er Rapport, A/CN.4/258, Annuaire de la CDI, 1972, vol. II, pp. 187-216

2e Rapport, A/CN.4/271, Annuaire de la CDI, 1973, vol. II, pp. 73-92

3e Rapport, A/CN.4/279, Annuaire de la CDI, 1974, vol. II, 1ère partie, pp. 139-156

4e Rapport, A/CN.4/285, Annuaire de la CDI, 1975, vol. II, pp. 27-47

5e Rapport, A/CN.4/290, Annuaire de la CDI, 1976, vol. II, 1ère partie, pp. 145-154

6e Rapport, A/CN.4/298, Annuaire de la CDI, 1977, vol. II, 1ère partie, pp. 127-144

7e Rapport, A/CN.4/312, Annuaire de la CDI, 1978, vol. II, 1ère partie, pp. 243-247

8e Rapport, A/CN.4/319, Annuaire de la CDI, 1979, vol. II, 1ère partie, pp. 133-150

9e Rapport, A/CN.4/327, Annuaire de la CDI, 1980, vol. II, 1ère partie, pp. 129-148

10e Rapport, A/CN.4/341, Annuaire de la CDI, 1981, vol. II, 1ère partie, pp. 45-72

11e Rapport, A/CN.4/353, Annuaire de la CDI, 1982, vol. II, 1ère partie, pp. 3-15

 

Hommage

Le droit international : unité et diversité : Mélanges offerts à Paul Reuter, Paris, Pedone, 1981, xxxii + 584 p.

A. Gros, « Hommage au Professeur Paul Reuter », in Le droit international : unité et diversité. Mélanges offerts à Paul Reuter, Paris, Pedone, 1981, pp. 1-7 (article mis en ligne avec l’aimable autorisation des Éditions A. Pedone)