RIPERT

Photo : Académie de droit international de La Haye (avec l’aimable autorisation du Secrétaire général)

GEORGES RIPERT

(1880-1958)

 

Né le 22 avril 1880 à La Ciotat (Bouches-du-Rhône) et décédé le 4 juillet 1958 à Paris, Georges Ripert (de son nom complet : Louis Marie Adolphe Georges Ripert) est un éminent juriste français, que d’aucuns considèrent d’ailleurs comme le plus grand juriste du XXe siècle (Ph. Malaurie), en dépit des questionnements qu’a pu susciter son comportement sous l’Occupation.

Un juriste privatiste brillant, curieux et polyvalent

Ripert fit ses études à la Faculté de droit d’Aix-en-Provence, où il obtint, outre une licence en droit (1899), un doctorat ès sciences juridiques (1902) et un doctorat ès sciences politiques et économiques (1904). Spécialiste de droit civil, il fut reçu premier au concours d’agrégation de droit privé de 1906 et rejoint à nouveau la Faculté de droit d’Aix, où il enseigna jusqu’en 1918. Mobilisé pendant la guerre, c’est à la Faculté de droit de Paris qu’il effectua son retour à la vie civile et universitaire à partir de 1920. Son œuvre doctrinale comme ses activités « pratiques » dénotent une grande curiosité intellectuelle et une polyvalence évidente : loin de s’enfermer dans une spécialité, Ripert s’intéresse à de nombreuses disciplines de droit interne et publiera des manuels de référence aussi bien en droit civil (tel le célèbre Planiol et Ripert) qu’en droit commercial ou en droit maritime. Manifestant en outre une appétence particulière pour l’étude des droits étrangers et les problématiques trans- et internationales, il est élu président de l’Association française de droit maritime (1933), vice-président de la Société de législation comparée (1932) et du Comité juridique international de l’aviation. Il est par ailleurs délégué de la France lors de plusieurs conférences internationales consacrées à l’unification du droit maritime (conférences de Bruxelles en 1922 et 1926), fluvial (conférence de Genève en 1932) et aérien (conférences de Paris en 1925, de Varsovie en 1929 et de Rome en 1933). Il représente encore la France en tant qu’expert au sein du Comité international technique d’experts juridiques aériens (CITEJA) et agit en tant qu’expert pour le compte du BIT à la Conférence internationale du travail de Genève en 1926.

Une personnalité réactionnaire et ambivalente  

Ripert naît dans une famille de notables du sud de la France (son père est avoué et sa mère, fille de notaire) mue par des valeurs traditionalistes et profondément chrétienne. Cela le conduit à consacrer à la morale et, plus largement, aux valeurs une place centrale dans ses réflexions sur le droit. Nostalgique de la société qui l’a vu naître, il apparaît volontiers réactionnaire et défend la vision d’un droit voué essentiellement à la conservation. Son comportement durant la Seconde guerre mondiale et l’occupation allemande en France suscitera de nombreuses interrogations et critiques : élu doyen de la Faculté de droit de Paris en 1938, il invite les étudiants à accueillir les victimes de l’antisémitisme nazi ; pourtant, en 1939, il vante les mérites des droits régénérés allemand et italien dans une étude insérée dans les Mélanges Capitant et justifie, lors de la réédition du Planiol et Ripert en 1943, les lois sur le statut des juifs par la nécessité de contrecarrer l’influence néfaste de certains politiciens et financiers juifs sous la IIIe République. Enfin et surtout, il accepte d’être membre du Conseil national de Vichy et figurera ainsi parmi les auteurs du premier statut des juifs, qu’il mettra ensuite en œuvre dans l’enseignement en tant que secrétaire d’État à l’instruction publique et à la jeunesse (septembre-décembre 1940). Arrêté le 16 novembre 1944, il est jugé pour haute trahison le 21 mai 1947 par la Haute Cour de justice, qui prononce finalement un non-lieu pour « faits de résistance ». La séance n’ayant fait l’objet d’aucune note sténographique sur ce point, les faits en cause demeurent cependant à ce jour inconnus.

Une contribution importante à l’édification et au développement du droit international

Si Ripert a plutôt défendu la vision d’un droit « conservateur », cela ne l’a pas empêché d’apporter une contribution importante à l’édification de plusieurs corpus juridiques, et singulièrement, à celle du droit international. Ses travaux spécifiquement consacrés à la matière demeurent certes rares, mais son invitation à prononcer un cours à l’Académie de droit international de La Haye en 1933 témoigne fort bien de l’intérêt de ses propositions dans un contexte de réflexion et d’échanges intenses sur la manière de construire et de développer ce droit.

Fort de sa formation de civiliste, Ripert affirme en introduction de son cours qu’il est convaincu non pas seulement de la possibilité mais de la nécessité de rechercher les règles de droit civil applicables dans l’ordre international, ses études en droit civil lui permettant « de croire que ce droit donne un certain nombre de principes qui dominent le droit tout entier ». Estimant que « le droit international ne peut se développer que s’il prête à ces principes une suffisante attention », il passe en revue plusieurs institutions fondamentales du droit civil telles que le contrat, la responsabilité civile ou encore les règles d’interprétation et de preuve, pour démontrer – et la pratique ultérieure lui donnera très largement raison – leur adéquation à la structure et aux besoins de l’ordre international.

Outre cet apport conceptuel, Georges Ripert œuvrera encore de manière très pratique à l’édification du droit international à travers sa participation aux conférences diplomatiques précitées et aux organes techniques internationaux. Sa contribution à l’unification des droits maritime et aérien est particulièrement substantielle : en un peu plus de vingt ans, il a ainsi participé à la mise au point de la première convention internationale sur les transports sous connaissement (Règles de La Haye de 1924, qui régissent aujourd’hui encore les contrats de transport maritime), contribué à l’élaboration d’un régime international autonome en matière de responsabilité des armateurs et de suretés réelles (qui s’est avéré essentiel pour le développement du transport maritime et des échanges commerciaux internationaux) et participé à l’élaboration de la Convention de Varsovie de 1929, qui règlemente peu ou prou l’ensemble des problématiques de droit privé aérien (nationalité des aéronefs, responsabilité du transporteur, régime des transports, droits réels, privilèges etc…) et sans laquelle le transport aérien n’aurait pu connaître l’essor qui fut le sien au cours de la seconde moitié du XXe siècle.

C’est là une nouvelle dimension de « l’énigme » Georges Ripert, personnalité complexe défendant la place centrale des valeurs en droit tout en reniant le jusnaturalisme, pour qui le nécessaire « statisme » du droit n’implique pas son « immobilisme » et capable, de fait, de se montrer tout à la fois conservateur et visionnaire.

 

Julie TRIBOLO  

Maître de conférences en droit public
LADIE – Université Côte d’Azur

 

Sources : Notice biographique, RCADI, tome 44, 1933-II, p. 567 ; Notice biographique, SIPROJURIS : Système d’information des professeurs de droit, base de données en ligne issue des travaux de C. Fillon et E. Picard ; J. Bonnard, « La Faculté de droit de Paris sous l’Occupation » et « Quatre Doyens de 1922 à 1955 », in Nos facultés de droit, blog librement accessible en ligne ; D. Lochak, « Les mauvais Français du Maréchal », Revue Plein droit, n° 29-30, novembre 1995 ; D. Mainguy, Bio de juristes : Georges Ripert, en ligne sur le blog de l’auteur ; Ph. Malaurie, Anthologie de la pensée juridique, Paris : Cujas, 2001, 2e éd., 384 p. ; H. Solus, « Le Doyen Georges Ripert », Revue internationale de droit comparé, vol. 10, n° 4, 1958, pp. 807-810

 

BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE

 

Ouvrages

Droit naturel et positivisme juridique, Marseille : Barlatier, 1918, 47 p.

Aspects juridiques du capitalisme moderne, Paris : LGDJ, 1946, 354 p.

Traité de droit maritime, Paris : Rousseau & Cie, 1952, 4e éd., 3 tomes.

Les forces créatrices du droit, Paris : LGDJ, 1955, 431 p.

Traité élémentaire de droit commercial (avec le concours de R. Roblot et P. Durand), Paris : LGDJ, 1959, 4e éd., 2 volumes.

 

Cours

« Les règles civiles applicables aux rapports internationaux. Contribution à l’étude des principes généraux du droit visés au Statut de la Cour permanente de Justice internationale », RCADI, tome 44, 1933-II, pp. 565-664

 

Articles

« Le particularisme du droit maritime dans l’unification internationale de ce droit », Studi di diritto commerciale in onore di Cesare Vivante, Rome : Società ed. del Foro Italiano, 1931, tome 2, pp. 159-170

« La conférence diplomatique de Bruxelles (17-26 octobre 1922) », Revue de droit maritime comparé, 1923, t. 2, pp. 49-65

« La Commission de Bruxelles (6-10 octobre 1923) », Revue de droit maritime comparé, 1923, t. 4, pp. 55-66

« La responsabilité du transporteur aérien d’après le projet de la Conférence internationale de Paris de 1925 », Revue juridique internationale de la locomotion aérienne, 1926, pp. 1-16

« La convention de Varsovie du 12 octobre 1929 et l’unification du droit privé aérien », Journal du droit international,1930, pp. 90-100

« L’unification du droit aérien », Revue générale de droit aérien, 1932, pp. 251-267

 

Hommage

Le droit privé français au milieu du XXème siècle. Études offertes à Georges Ripert, membre de l’Institut, ancien doyen de la Faculté de droit de Paris, professeur honoraire à la Faculté de droit d’Aix, Paris : LGDJ, 1950, 2 tomes de 555 p. et 484 p. respectivement.