ROLIN

Photo : Académie de droit international de La Haye. Avec l’aimable autorisation du Secrétaire général

HENRI ROLIN

(1891-1973)

La place singulière d’Henri Rolin dans la galerie des grands juristes internationaux tient plus à la façon dont il a vécu le droit, à l’occasion de situations concrètes où droit et politique étaient intimement mêlés, qu’à des études ou des analyses théoriques. Les nombreux écrits qu’il a laissés concernent le droit comme instrument de combat pour promouvoir les idées qui lui tenaient à cœur, défendre des causes où, à son estime, le droit international était bafoué – qu’il s’agisse d’États, de peuples ou de particuliers – ou pour en conseiller le recours pour résoudre les problèmes internationaux. Le droit était, comme il l’a, dit sa religion. Aussi, pour montrer son apport, faut-il s’attacher à le déceler dans ce que fut sa vie. Sa bibliographie fut-elle sélective éclairera ensuite les nombreux domaines qui retinrent son attention.

Il était issu d’une famille de juristes internationaux éminents ? Il était le fils d’Albéric Rolin – à l’époque spécialiste renommé de droit international privé – lui-même frère de Gustave Rolin Jaequemyns (créateur de la Revue de droit international et de législation comparée et de l’Institut de droit international). Edouard Rolin Jaequemyns, fils de Gustave, qui fut membre de la Cour permanente de Justice internationale, était son cousin.

Henri Rolin fit ses études de droit à l’Université de Gand (alors université francophone). Lorsqu’éclate la guerre 1914-1918 il s’engage dès le 4 août 1914 comme volontaire de guerre ; il termine la guerre comme lieutenant, commandant de batterie, après avoir été trois fois blessé. Trois de ses frères ont été tués au combat. De quoi comprendre qu’il fut ensuite un vigoureux militant pour la paix. À sa démobilisation, il termine ses études de droit, puis s’inscrit, le 20 août 1919, au Barreau de Bruxelles. Il mènera ensuite une vie partagée entre la pratique du barreau, le professorat, les mandats dans les institutions publiques ou internationales, et une activité intense de conseil international.

Les institutions publiques nationales

Il est secrétaire de Paul Hymans, alors ministre belge des affaires étrangères, à l’époque de la Conférence de la paix et assiste aux travaux du comité qui élabore le Pacte de la Société des Nations. Il sera, quelques années plus tard, chef de cabinet d’un autre ministre des affaires étrangères, Émile Vandervelde, du 22 juin 1925 au 26 septembre 1926. Ardent défenseur de la SdN, il est délégué de la Belgique à diverses sessions de l’Assemblée. Il participe à plusieurs conférences internationales importantes notamment celles qui aboutirent au Pacte de Locarno en 1925 et à l’Acte général pour le règlement pacifique des différends en 1928.

Après de longues hésitations entre idées libérales et socialistes, il s’inscrit au Parti ouvrier belge en 1928 et sera sénateur coopté sur la liste socialiste de 1932 à 1968. Il préside le Sénat du 11 novembre 1947 au 6 novembre 1949. Il est président de la Commission de la Justice du Sénat et membre de la Commission des affaires étrangères.

Le juriste militant

Il fut toute sa vie un militant antifasciste. Il adopta des prises de position nettes contre l’annexion par le Japon de la Mandchourie, la conquête de l’Abyssinie par l’Italie, les Accords de Munich, le franquisme en Espagne et la politique de neutralité relancée en 1936 en Belgique sous l’influence du Roi Léopold III. Menacé d’arrestation par les Allemands en Belgique occupée, il rejoint en juillet 1941 le gouvernement belge à Londres qui lui confie le poste de sous-secrétaire d’État à la défense nationale jusqu’en septembre 1942 ; il passa ensuite aux affaires civiles qui préparaient la présence des armées alliées sur le territoire belge et le retour du gouvernement à Bruxelles.

Rentré en Belgique, il sera brièvement ministre de la Justice en mars 1946 dans un gouvernement socialiste éphémère ; il est nommé ministre d’État en 1948. En politique intérieure, il fut un opposant résolu au retour de Léopold III dont il jugeait sévèrement l’attitude depuis 1936, roi qui n’avait pas suivi le gouvernement à Londres et avait eu une attitude équivoque sous l’occupation.

Les activités internationales

Délégué de la Belgique à la conférence de San Francisco, il y préside la première commission ; plusieurs articles de la Charte lui doivent leur rédaction. Il fut ensuite désigné comme membre de la délégation belge à l’Assemblée générale des Nations Unies en 1948 et en 1957. Membre de l’Assemblée consultative du Conseil de l’Europe depuis son origine jusqu’en 1959, il participa notamment en cette qualité, aux côtés de René Cassin, à l’élaboration de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950. On lui doit la rédaction de l’article 1er de la Convention qui fit de celle-ci un texte comportant non seulement des devoirs pour les États mais encore des droits invocables par les particuliers. À partir de 1959, il est élu juge à la Cour européenne des droits de l’homme, dont il fut vice-président.

En revanche, il se montre tiède à l’égard de l’idéologie de la supranationalité et opposé à la Communauté européenne de défense. Il participera à la défense des Algériens devant les tribunaux français, sera président du Comité national Vietnam ; militera contre l’arme atomique. Encore quelques mois avant sa mort, il était à la tête d’une manifestation contre la dictature en Grèce.

Le professorat et les institutions académiques

Il enseigne le cours de droit des gens à la Faculté de droit de l’Université libre de Bruxelles de 1930 à 1961. Il fut président de la Faculté de droit du 1er octobre 1947 au 30 septembre 1950, membre du Conseil d’administration de l’ULB, président du Centre de recherches de droit international. Il accèdera à l’honorariat en 1961.

Élu associé de l’Institut de droit international, à 33 ans, en 1924 et membre en 1936 ; il sera président de l’IDI durant la période 1961-1963 (session de Bruxelles).

Les juridictions internationales

Membre de la Cour permanente d’arbitrage depuis 1939, il eut une activité soutenue comme conseil de divers gouvernements notamment dans les affaires suivantes devant la Cour permanente de Justice internationale et la Cour internationale de Justice : Dénonciation du Traité sino-belge du 2 novembre 1865 (conseil du Gouvernement belge), Compagnie d’électricité de Sofia et de Bulgarie (conseil du Gouvernement belge), Ambatielos (conseil du Gouvernement hellénique), Anglo-Iranian Oil Company (conseil du Gouvernement iranien), Nottebohm (conseil du Gouvernement guatémaltèque), Application de la Convention de 1902 pour régler la tutelle des mineurs (conseil du Gouvernement suédois), Droit de passage sur territoire indien (conseil du Gouvernement indien), Sentence arbitrale rendue par le Roi d’Espagne le 23 décembre 1906 (conseil du Gouvernement nicaraguayen), Temple de Préah Vihéar (conseil du Gouvernement thaïlandais), Barcelona Traction, Light & Power Company (conseil du Gouvernement belge).

 

Jean SALMON  

Professeur émérite de l’Université libre de Bruxelles

 

 

Sources :  Notice in Ann. IDI, vol. 31, 1924, pp. 191-192 ; J. Baugniet, « Henri Rolin universitaire », in Mélanges offerts à Henri Rolin, Problèmes de droit des gens, Paris, Pedone 1964, pp. xxxvi-xxxvii ; R. Cassin, « L’activité d’Henri Rolin pour la paix », in Mél. Rolin, op. cit., : pp. xxxviii-xliv ; Ch. Chaumont : « Henri Rolin (1891-1973) », Ann. IDI, session du centenaire, Rome, 1973, vol. 55, pp. 898-903 ; R. Devleeshouwer, « Henri Rolin » Biographie nationale, Académie royale des sciences, des lettres et des Beaux-Arts, t. 41, fascicule 2, Bruxelles, Bruylant 1980, col. 693-697 ; R. Devleeshouwer, Henri Rolin (1891-1973), Une voix singulière, une voix solitaire, Éditions de l’Université libre de Bruxelles, 1994, 611 p. ; G. van der Meersch, « Henri Rolin et les relations internationales », in Mél. Rolin, op. cit., pp. xlv-lxx ; J. Salmon, « In memoriam Henri Rolin (1891 – 1973) – I. Henri Rolin et le droit des gens » RBDI, IX, 1973/2, pp. x-xxvi ; M. Waelbroeck  » In memoriam Henri Rolin (1891 – 1973) – II. Henri Rolin et l’intégration européenne », RBDI, IX, 1973/2, pp. xxvii-xxxi

 

 

BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE

La bibliographie la plus complète fut celle publiée dans les Mélanges qui furent offerts à Henri Rolin en 1964.

 

Ouvrages

La politique de la Belgique dans la Société des Nations, Publications de l’Institut universitaire des hautes études internationales, n » 1, Genève, 1931, 37 p.

La Belgique neutre ?, Bruxelles, Larcier, 1937, 125 p.

Aspects du régime parlementaire belge, Bruxelles. Institut de science politique, Librairie encyclopédique, 1956, 144 p. (en collaboration avec G. Ciselet, H. Fayat, W. Ganshof van der Meersch, M.L. Gérard, M. Grégoire, P. Harmel et P. Wigny)

 

Cours

« La pratique des mandats internationaux », RCADI, 1927-IV, vol. 19, pp. 493-628

« Les principes du droit international public », RCADI, 1950-II, vol. 77, pp. 309-479

 

Articles

« La révision du Pacte de la Société des Nations », Revue de droit international et de législation comparée, 1921, n° 1-2, pp. 57-66 ; n° 3, pp. 225-242

« L’œuvre de révision du Pacte de la Société des Nations accomplie par la Deuxième Assemblée», Revue de droit international et de législation comparée, 1922, n° 2-3-4, pp.171-194 et 336-364

« L’arbitrage et le Comité de sécurité de la Société des Nations », Revue de droit international et de législation comparée, 1927, pp. 583-625

« Quelques observations sur la Conférence de codification », Revue de droit international et de législation comparée, 1930, n » 3, pp. 581-599

« Force obligatoire des ordonnances de la Cour permanente de Justice internationale en matière de mesures conservatoires », in Mélanges offerts à Ernest Mahaim, Sirey, 1935, tome II, pp. 280-298

« Locarno », dans Société des Nations, Bulletin de l’Union belge pour la Société des Nations, 1936, n° 2, mars, pp. 21-25

« Der Italienisch-Abessinische Konflikt », Die Friedenswarte, 1936

« De la volonté générale dans les organisations internationales », in La technique et les principes du droit public. Études en l’honneur de Georges Scelle, Paris, LGDJ, 1950, tome II, pp. 553-564 (article mis en ligne avec l’aimable autorisation des Éditions Lextenso)

« The European Defence Community », Transactions of the Grotius Society, Londres, Sweet and Maxwell, 1952, vol. 38

« La force obligatoire des traités dans la jurisprudence belge », JT, 1953, n° 3996, pp. 561-562

« Une conciliation belgo-danoise (Affaire des SS « Gorm» et « Svava ») », RGDIP, 1953, n° 3, pp. 353-371 (article mis en ligne avec l’aimable autorisation des Éditions A. Pedone)

« The International Court of Justice and Domestic Jurisdiction ; Notes on the Anglo-Iranian Case », International Organization, Boston, vol. VIII, 1954, Number 1, pp. 36-44

« Un cri d’alarme », Socialisme, n° 3, 1954, pp. 186-193

« L’avenir des organisations internationales dépend de leurs fonctionnaires », Le Monde diplomatique, Paris, août 1954, n° 4, p. 1

« Le rôle du requérant dans la procédure prévue par la Commission européenne des droits de l’homme », Revue hellénique de droit international, IX, 1956, pp. 3-14

« Une étape manquante dans la protection des droits de l’homme», Le Monde diplomatique, Paris, août 1956

« Un texte de droit positif ignoré par les juristes belges: la Convention européenne des droits de l’homme», JT, n° 4204, septembre 1958, pp. 515-516

« L’heure de la conciliation comme mode de règlement pacifique des litiges  », Annuaire européen, vol. III, 1957, pp. 3-21

« Avis sur la validité des mesures de nationalisation décrétées par le Gouvernement indonésien», Nederlands Tijdschrilt voor International Recht, VI, 1959, pp. 260-277

« L’arbitrage obligatoire: une panacée illusoire », Varia juris gentium, Liber Amicorum aangeboden aan Jean-Pierre Adrien François, Leiden 1959, pp. 254-262

« Vers un ordre public réellement international » in Hommage d’une génération de juristes au Professeur Basdevant, Paris, Pedone, 1960, pp. 441-462 (article mis en ligne avec l’aimable autorisation des Éditions A. Pedone)

« Le droit des gens en 1961 », Chronique de politique étrangère, 1961, n° 4, pp. 487-500 (texte de sa dernière leçon lors de son admission à l’éméritat à l’Université).

« Défense de l’ONU », JT, 1962, Il, 4346, pp. 17-18

« Les pays de l’Est et le règlement pacifique des différends internationaux », RBDI,1965/2, pp. 376-391

 

Rapports

« Les mandats internationaux, Rapport à l’Institut de droit international», Ann. IDI, 1928, vol. 34, PV. 33-143 et 1931, vol. 36, tome l, pp. 1-5

« Rapport de l’Assemblée de la Société des Nations sur la mise en harmonie du Pacte de la Société des Nations avec le Pacte de Paris », Documents et procès-verbal de la 12″ session de l’Assemblée, 1931

Avis consultatif sur les droits et obligations des fonctionnaires internationaux, Genève, octobre 1953, 78 p.

« Les principes juridiques et moraux de la coexistence. Rapport présenté au nom de la Commission pour l’étude des questions juridiques à la XLIVe Conférence de l’Union interparlementaire tenue à Helsinki le 27 août 1955 », Union interparlementaire, compte rendu de la XLIVe Conférence, Genève 1956, pp. 384-393 et 718-728

« La conciliation internationale, Rapport définitif présenté à l’Institut de Droit international », Ann. IDI, 1959, vol. 48, tome l, pp. 5-130

 

Hommage

Une partie des œuvres d’Henri Rolin ont été réunies dans deux ouvrages parus dans la collection de droit international aux Éditions Bruylant et Éditions de l’Université de Bruxelles

Henri Rolin et la sécurité collective dans l’entre-deux-guerres textes choisis et présentés par M. Waelbroeck, Éditions Bruylant et Éditions de l’Université de Bruxelles,1987, 477 p.

Henri Rolin et les droits de l’homme, textes sélectionnés et présentés par Ph. Frumer, Éditions Bruylant et Éditions de l’Université de Bruxelles, 1999, 221 p.