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MAHMOUD CHERIF BASSIOUNI
(1937-2017)
Le « parrain du droit pénal international ». C’est ainsi que le professeur Mahmoud Cherif Bassiouni a été présenté à la fin de sa vie. Le puissant investigateur et dénonciateur des violations des droits de l’homme et des crimes contre l’humanité a en effet contribué à faire évoluer la scène pénale internationale.
Un parcours internationaliste sur trois continents
Fils d’un diplomate égyptien, il naît le 9 décembre 1937, au Caire. Au cours de ses années de formation, il acquiert la maîtrise de trois grands systèmes juridiques (droit romano-germanique, Common Law et droit musulman). Il étudie le droit à l’Université de Dijon, où il sera lauréat en 1956 du deuxième prix du Concours des facultés : Droit civil et institutions judiciaires. Son esprit patriotique le conduit à s’engager dans l’armée égyptienne à l’occasion de la crise du canal de Suez en 1956. Blessé, puis décoré, il dénonce les crimes commis pendant ce conflit. Son service dans l’armée égyptienne, adversaire de la France durant la crise, ne lui permet pas de terminer sa formation française. Il reprend ses études à Genève et au Caire, pour arriver en 1962 aux Etats-Unis, où il obtient un LL.M. à la Faculté de droit John-Marshall (1966), puis un doctorat (JD) à l’Université d’Indiana (1964) et un doctorat en sciences juridiques (JSD) à l’Université George-Washington (1973).
Une vie conçue comme une mission globale
La vie du professeur Bassiouni a été une mission, comme il dit l’avoir lui-même ressenti alors qu’il n’avait que cinq ans, une mission pour venir en aide aux personnes incapables de se défendre elles-mêmes.
Professeur à l’Université DePaul de Chicago (où il obtiendra l’éméritat), professeur associé à l’Université du Caire, ainsi qu’invité et docteur honoris causa de multiples universités (dont celle de Pau en 1986), il s’est consacré au droit international public, pénal, et des droits de l’homme. Sa méthode d’enseignement, plus européenne qu’américaine, était axée sur l’approche doctrinale. Il est l’auteur ou l’éditeur de plus de 85 livres, de plus de 270 essais et articles juridiques, traduits en plusieurs langues, beaucoup de ses ouvrages ayant reçu des prix. De plus, il a été un médiateur entre les divers systèmes de droit, en écrivant des textes et interprétations sur le jihad et le droit islamique.
Inscrit aux barreaux d’Illinois et du District de Colombie, il a fondé et dirigé l’Institut international des droits de l’homme de l’Université DePaul, a piloté l’Institut international pour la justice pénale et les droits de l’homme et a présidé l’Association internationale de droit pénal.
Consultant pour le gouvernement des Etats-Unis (1973-1980), il a notamment contribué à la rédaction du plan pour la paix au Moyen-Orient entre 1975 et 1977, à la base des Accords de Camp David, et a été impliqué dans la gestion de la crise des otages américains en Iran (1979-1980).
Au sein des Nations Unies il a été nommé vingt-deux fois à diverses fonctions, dont celle de président de la Commission d’investigation des crimes de guerre dans l’ex-Yougoslavie en 1992, suite à laquelle le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie a été fondé. Il a co-présidé le comité de rédaction de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il a surtout été un artisan reconnu de la création de la Cour pénale internationale, à travers les positions clé qu’il a occupées dans les différents comités préparatoires et en tant que président du comité de rédaction lors de la conférence de Rome. Sa contribution à l’article 7 du Statut de la CPI qui accentue le caractère politique étatique du crime contre l’humanité mérite d’être mentionnée. Tous ses efforts pour la justice pénale internationale l’ont conduit à être proposé pour le Prix Nobel de la Paix en 1999.
Il a été président, vice-président, expert ou consultant dans de multiples groupes et comités de l’ONU en matière de protection des droits de l’homme, et notamment expert indépendant sur les droits de l’homme en Afghanistan (2004-2006), puis président de la Commission d’enquête sur la Libye (2011).
Promoteur de la justice et de la responsabilité
Bassiouni a été parmi les premières personnes à avoir cru dans le potentiel du droit international pénal, lui dédiant son premier traité en 1973 et envisageant pour l’avenir un contrôle international substantiel. Sa vision a toujours été un droit de l’humanité, caractérisé par la suprématie des droits de l’homme et permettant de responsabiliser et de condamner les dirigeants pour leurs actions ou omissions illégales, de la même façon que toute autre personne.
Adepte de la primauté de la pratique par rapport à la doctrine en vue de faire évoluer le droit international pénal, il a considéré cette matière comme une discipline autonome dont les évolutions puisent à des sources éclectiques du droit.
Bassiouni a toujours plaidé en faveur de l’existence d’un droit à la responsabilité, vu comme un méta-droit, naturel, dérivé de la dépolitisation des droits de l’homme et de la responsabilité pénale internationale, en défendant la théorie de la justice universelle. Le but du professeur Bassiouni était de promouvoir la justice et la responsabilité, combattant la realpolitik, qu’il considérait contraire aux droits de l’homme.
Une grande partie de ses études est consacrée à la justice pénale internationale, qui, selon lui, trouve moins son avenir dans la Cour pénale internationale que dans les systèmes juridiques pénaux nationaux. Cela doit se traduire dans l’effort des droits internes d’incorporer le droit international pénal. Sa contribution à la conceptualisation des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité est reconnue. Il a aussi identifié et traité des thèmes importants relatifs aux crimes politiques, au terrorisme international, mettant l’accent sur l’importance de l’élimination des conflits à travers une action de sécurité collective fondée sur la responsabilité de protéger.
Pour toute son activité, il a reçu une longue série de prix, médailles et distinctions, parmi lesquelles le Prix spécial du Conseil d’Europe (1990), le Prix de La Haye pour le droit international (2007) ou le prix Adlai-Stevenson de l’Association des Nations Unies. Il est l’un des auteurs les plus cités tant dans la doctrine que dans la jurisprudence des tribunaux internes et internationaux, donnant un vaste héritage au droit international.
Le 25 septembre 2017, Bassiouni s’éteint dans sa résidence de Chicago, à l’âge de 79 ans. Comme l’atteste la médaille Vespasian Pella de l’AIDP qu’il a reçue, il restera sans doute un « champion de justice pénale internationale ».
Ruxandra-Ana GOLOGAN
Avocate au Barreau de Bucarest
Sources : L.N. Sadat, Michael P. Scharf, The theory and practice of international criminal law: essays in honor of M. Cherif Bassiouni, Leiden, Martinus Nijhoff Publishers, 2008, 448 p. ; A. Matwijkiw, B. Matwijkiw, « M. Cherif Bassiouni (1937-2017)», in G. Ziccardi Capaldo (Ed.), The Global Community Yearbook of International Law and Jurisprudence 2017, New York, Oxford University Press, 2018, pp. 15-27; J. L. de la Cuesta, R. Ottenhof, J. F. Thony, M. Cherif Bassiouni (1937-2017). Cherif’s Friends. In Memoriam ; G. Vassalli, « Hommage au professeur M.C. Bassiouni – son œuvre au service de la science pénale et des droits de l’homme », Revue internationale de droit pénal, 2004/3-4, pp. 681-694; M. C. Bassiouni, « Perspectives on International Criminal Justice », 50 Va. J. Int’l L. (2010), pp. 269-323.
BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE
Ouvrages
Criminal law and its processes: the law of public order, Springfield, IL, Charles C. Thomas Publisher, 1969, 623 p.
Projet de Code pénal international, Revue internationale de droit pénal, vol. 52, n° 1-2, Toulouse, Eres Publications, 1982, 320 p.
International extradition: U.S. law and practice, Dobbs-Ferry, NY, Oceana Publications, 1983, 2 vol. (2e Ed., 1987, 1141 p.; 3e Ed., 1996, 967 p. ; 4e Ed., 2002, 1125 p.; 5e Ed., Oxford University Press, 2007, 1166 p. ; 6e Ed., 2014, 1328 p.)
A draft International Criminal Code and draft Statute for an International Criminal Tribunal, Dordrecht, Martinus Nijhoff Publishers, 1987, 492 p.
International protection of victims, Nouvelles études pénales, vol. 7, Toulouse, Erès Publications, 1988, 470 p.
Projet de Statut du Tribunal Pénal International, Nouvelles études pénales, vol. 9, Toulouse, Erès Publications, 1993, 388 p.
Introduction au droit pénal international, Bruxelles, Bruylant, 2002, 363 p.
Crimes against humanity: historical evolution and contemporary application, Cambridge, Cambridge University Press, 2011, 884 p.
The legislative history of the International Criminal Court, 2nd Ed., 2 vol., International Criminal Law Series, vol. 9, Brill/Nijhoff, 2016 (avec W. Schabbas)
Directions d’ouvrage
La coopération inter-étatique européenne en matière pénale. Les instruments juridiques du Conseil de l’Europe, 2e Ed., 2 vol., Dordrecht/Boston/London : M. Nijhoff , 1993, 1725 p. (avec E. Müller-Rappard)
Commentaries on the International Law Commission’s 1991 draft Code of crimes against the peace and security of mankind, Nouvelles études pénales, n° 11, Toulouse, Erès Publications, 1993, 296 p.
The International Criminal Court: observations and issues before the 1997-98 Preparatory Committee, and administrative and financial implications, Nouvelles études pénales, vol. 13, Toulouse, Erès, 1997, 296 p.
Articles
De nombreux articles de M. C. Bassiouni peuvent être consultés et téléchargés sur le site de l’Université DePaul.
« Les états d’urgence et d’exception : les violations des droits de l’homme et l’impunité sous couvert du droit », in D. Prémont, C. Stenersen, I. Oseredczuk (Ed.), Droits intangibles et états d’exception, Bruxelles, Bruylant, 1996, pp. 107-123
« Appraising UN Justice-Related Fact-Finding Missions », 5 Wash. U. J. L. & Pol’y 035 (2001)
Rapports
Afghanistan
Libye
Rapport de la Commission internationale d’enquête sur la Libye, UN Doc. A/HRC/19/68, 2 mars 2012
Cours en ligne
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