BETTATI

Photo : Académie de droit international de La Haye – avec l’aimable autorisation du Secrétaire général

MARIO BETTATI

(1937-2017)

 

Mario Bettati est né le 7 novembre 1937 à Nice et mort le 23 mars 2017 à Paris. Professeur de droit public, il est également connu pour son rôle de conseiller du pouvoir et pour la création du concept d’ingérence humanitaire avec Bernard Kouchner.

Son père, italien, s’est installé en France après avoir fui le fascisme. Son enfance a été marquée par la Seconde Guerre mondiale. Comme l’a écrit Emmanuel Decaux : « Son horreur de la guerre vient sans doute de ces premiers souvenirs, comme la découverte matinale du massacre des jeunes maquisards avec qui il avait l’habitude d’aller jouer au football ou les règlements de compte dans les vignes de l’arrière-pays ».

Inscrit en droit, « par hasard […] parce qu’il n’y avait pas de faculté de médecine à Nice » (Episode 1 de l’émission A voix nue, 2012), il découvrira sa vocation grâce aux enseignements de René-Jean Dupuy et sera confirmé dans celle-ci par sa rencontre avec René Cassin.

L’enseignant-chercheur

Bettati rédige sa thèse de doctorat intitulée « Le conflit sino-soviétique » sous la direction de René-Jean Dupuy, dont la vision humaniste du droit international imprimera son image sur ses travaux futurs. Soutenue en 1970, elle est publiée l’année suivante et donne le ton à une œuvre empreinte de questionnements sur la pratique du droit international.

Bettati a été chargé de cours à l’Université de Nice. Après l’obtention de l’agrégation en 1974, il est professeur à l’Université de Reims puis à l’Université de Paris-Sud, dont il deviendra le doyen. Il sera enfin élu à l’Université Panthéon Assas en 1988, où il sera en poste jusqu’à son départ à la retraite en 2006. En 1996, au sein de cette université, il fonde le Centre de recherche sur les droits de l’homme et le droit humanitaire avec le doyen Cohen-Jonathan, centre qu’ils co-dirigeront jusqu’en 2003. Il a également mené de nombreuses missions d’enseignement et de recherche à l’étranger.

Les travaux de Bettati, qui concernent différentes branches du droit international, sont guidés par une préoccupation essentielle : la capacité de la coopération internationale, via le droit international, à répondre aux problèmes du monde contemporain et à garantir le respect des droits de l’Homme.

Bettati adopte une approche ancrée dans la réalité, en analysant les obstacles à cette coopération et les solutions pour les surmonter. Cela le conduira à s’intéresser à des phénomènes peu étudiés par la doctrine juridique de l’époque (le terrorisme, le trafic de stupéfiants, l’ordre économique mondial) et à faire des propositions novatrices, visant par exemple à développer le rôle des organisations non gouvernementales ou à affirmer l’existence d’un droit d’intervention internationale sur le territoire d’un Etat en cas de crise humanitaire.

Le praticien

Dès 1984, il associe enseignement et pratique, en tant que conseiller juridique de la délégation aux fonctionnaires internationaux. Cette expérience nourrira le cours qu’il donnera à l’Académie de La Haye. Il participera également aux travaux de la Commission de la fonction publique internationale de 1993 à 2006.

En 1988, il accepte un poste de chargé de mission puis de conseiller juridique au cabinet de Bernard Kouchner, secrétaire d’État chargé de l’action humanitaire dans le gouvernement Rocard. Il intégrera ensuite le cabinet de Georges Kiejman, ministre délégué aux affaires étrangères, jusqu’en 1993. Il fera partie de la délégation française à l’Assemblée générale des Nations Unies de 1994 à 2000. Il a également présidé l’Association française pour les Nations Unies.

De 1996 à 2002, il occupe les fonctions de vice-président de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, dont il était membre depuis 1989.

En 2007, il rejoint de nouveau le cabinet de Kouchner, nommé ministre des Affaires étrangères du gouvernement Fillon.

L’inventeur du droit d’ingérence

L’interaction entre les activités d’enseignant-chercheur et de praticien de Bettati trouve son point d’orgue à travers la question de l’ingérence humanitaire. Cette idée tenait à cœur à Bernard Kouchner, fondateur de Médecins sans frontières. Bettati a contribué à lui donner sa teneur juridique.

En janvier 1987, Bettati organise à Paris avec Kouchner et l’association Médecins du monde le colloque « Droit et morale humanitaire », parrainé à la fois par François Mitterrand, président de la République, et Jacques Chirac, Premier ministre. Les actes de ce colloque seront publiés en 1987 aux éditions Denoël, sous l’intitulé « Le devoir d’ingérence : peut-on les laisser mourir ? ». Un texte, adopté par acclamation en fin de colloque, énonce les grands principes de l’ingérence humanitaire.

Ce concept donne un droit d’intervention aux Etats et aux organisations internationales et non gouvernementales en cas de crise humanitaire. Tant applaudi que critiqué, il porte atteinte à la souveraineté des Etats, et ce de manière assumée, Bettati considérant que « la souveraineté protégeant les dictatures, c’est insupportable » (Episode 1 de l’émission A voix nue, 2012).

En 1988, à l’initiative de Kouchner, alors secrétaire d’Etat à l’action humanitaire, et de Bettati, membre de son cabinet, la France propose une résolution visant à faciliter et soutenir l’action humanitaire des organisations intergouvernementales, gouvernementales et non gouvernementales, qui sera adoptée par consensus par l’Assemblée générale des Nations Unies (résolution 43/131). Une seconde résolution visant à permettre de créer des corridors humanitaires est adoptée en 1990 (résolution 45/100). En 1991, le Conseil de sécurité de l’ONU fera une première application du concept, sans le nommer, pour porter secours à la population kurde, en « insist[ant] pour que l’Irak permette un accès immédiat des organisations humanitaires internationales à tous ceux qui ont besoin d’assistance dans toutes les parties de l’Irak » (résolution 688). La même année, Bettati participera aux côtés de Kouchner et d’autres personnalités, à l’ouverture d’un couloir humanitaire vers le port de Dubrovnik, assiégé.

Le concept de « Responsabilité de protéger » développé à partir des années 2000 sera présenté par Bettati comme « un nouvel avatar » du droit ou du devoir d’ingérence. Le Document final du Sommet mondial de l’ONU (2005), dans lequel les Etats se disent prêts à mener une action collective, via le Conseil de sécurité, lorsque les autorités nationales manquent à protéger leur population contre le génocide, les crimes de guerre, le nettoyage ethnique et les crimes contre l’humanité (§ 139), est ainsi présenté par Bettati comme consacrant « sous une nouvelle étiquette » le droit d’ingérence humanitaire (allocution d’ouverture du colloque de la SFDI sur la responsabilité de protéger).

Si la responsabilité de protéger a pu occasionnellement être mise en œuvre (Libye, Côte d’Ivoire), l’absence d’intervention en Syrie, pourtant appelée de ses vœux par Bettati, témoigne des difficultés à mobiliser ces concepts aujourd’hui. Comme il l’affirmait en 2013, « mon plus grand regret est que le droit d’ingérence a suscité plus de malentendus que de réalisations » (Episode 5 de l’émission A voix nue).

 

Marie GUIMEZANES  

Maîtresse de conférences à l’Université de Bretagne occidentale

 

Sources : E. Decaux, « Hommage à Mario Bettati », Droits fondamentaux, n° 15, 2017  ; P.-M. Dupuy, « In memoriam. Mario Bettati (1937-2017) », RGDIP, 2017, vol. 121, n° 2, p. 289 (mis en ligne avec l’aimable autorisation des Editions A. Pedone) ; Notice biographique in RCADI, 1988, vol. 204, p. 181 ;  « A voix Nue », série de 5 entretiens avec Mario Bettati, France Culture, 2012-2013 ; « Réglementer la guerre : un défi impossible », Emission La Grande table (2e partie) par Olivia Gesbert, France Culture, 15 décembre 2016 ; ID-Ref, Notice Personnelle ; nomination au JORF, « Mario Bettati ».

 

BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE 

 

Ouvrages

Le conflit sino-soviétique, préface de René-Jean Dupuy, Paris, A. Colin, 1971 (tome 1 – Le conflit entre partis ; tome 2 – Le conflit entre Etats

Le contrôle international des stupéfiants, Paris, Pedone, 1974

L’enquête internationale en matière de stupéfiants, Bruxelles, Bruylant, 1976

Le nouvel ordre économique international, Coll. Que sais-je ?, Paris, PUF, 1983, réédité en 1985

L’asile politique en question : un statut pour les réfugiés, Paris, PUF, 1985

Le droit des organisations internationales, Coll. Que sais-je ?, Paris, PUF, 1987

Le devoir d’ingérence : peut-on les laisser mourir ?, avec B. Kouchner, Paris, Denoël, 1987

Le droit d’ingérence : mutation de l’ordre international, Paris, O. Jacob, 1993, réédité en 1996

Droit humanitaire, Textes introduits et commentés, Paris, Seuil, 2000

Droit humanitaire, Paris, Dalloz, 2012

Le droit international de l’environnement, Paris, O. Jacob, 2012

Le terrorisme : les voies de la coopération internationale, Paris, O. Jacob, 2013

Le trafic de drogue : pour un contrôle international des stupéfiants, Paris, O. Jacob, 2015

Le droit de la guerre, Paris, O. Jacob, 2016

 

Direction d’ouvrages

Les ONG et le droit international, avec P.-M. Dupuy (dir.), Paris, Economica, 1986

L’ONU et la drogue (dir.), Paris, Pedone, 1995

La Déclaration universelle des droits de l’homme, textes rassemblés pour Le Monde, avec O. Duhamel et L. Greilsamer, Paris, Gallimard, 1998, réédité en 2008

 

Cours

« Recrutement et carrière des fonctionnaires internationaux », RCADI, 1987, vol. 204, pp. 175-443

 

Articles

« Souveraineté et succession d’Etat », in La Souveraineté au XXe siècle, avec R. de Bottini, R.-J. Dupuy, P. Isoart, et al.(dir.), Paris, A. Colin, 1971, pp. 47 et s.

« La réforme de l’ONU pour l’instauration d’un nouvel ordre économique international », Politique étrangère, 1976, vol. 41, n°4, pp. 385-398

« La politique de choix des fonctionnaires dans le système des Nations Unies », Annuaire européen d’administration publique, 1979, vol. 2, p. 285-326

« Un droit d’ingérence ? », Revue générale de droit international public, 1991, p. 639-670 (texte mis en ligne avec l’aimable autorisation des Editions A. Pedone)

« Le droit d’ingérence : sens et portée », Le Débat, 1991, vol. 67, pp. 4-15

« Souveraineté et assistance humanitaire. Réflexion sur la portée et les limites de la résolution 43/131 de l’Assemblée Générale de l’ONU », in Humanité et droit international : mélanges René-Jean Dupuy, Paris, Pedone, 1991, pp. 35-45 (texte mis en ligne avec l’aimable autorisation des Editions A. Pedone)

« L’ONU et l’action humanitaire », Politique étrangère, 1993, vol. 58, n°3, pp. 641-658

« Examen de la convention sur l’interdiction des armes classiques produisant des effets traumatiques excessifs », AFDI, 1995, vol. 41, pp. 185-198

« L’interdiction ou la limitation d’emploi des mines (le protocole de Genève du 3 mai 1996) », AFDI, 1996, vol. 42, pp. 187-205

« La convention sur l’interdiction de l’emploi, du stockage, de la production et du transfert des mines antipersonnel et sur leur destruction (Ottawa, 18 septembre 1997) », AFDI, 1997, vol. 43, pp. 218-226

« Du devoir d’ingérence à la responsabilité de protéger », Droits, 2012, vol. 2, n° 56, pp. 3-8

Allocution d’ouverture in SFDI, La responsabilité de protéger, colloque de Nanterre, Paris, Pedone, 2008, pp. 11-14 (texte mis en ligne avec l’aimable autorisation des Editions A. Pedone)

« Du droit d’ingérence à la responsabilité de protéger », Outre-Terre, 2007, vol. 20, n°3, pp. 381-389

 

Tribune

« Le devoir d’assistance à peuples en danger », Le Monde diplomatique, avril 1980, p. 11