CONFORTI

Photo : Académie de droit international de La Haye. Avec l’aimable autorisation du Secrétaire général

BENEDETTO CONFORTI

(1930-2016)

 

Si elle l’a souvent amené à franchir les frontières, la vie de Benedetto Conforti reste intimement liée au Mezzogiorno italien. Même s’il naît à Naples, le 3 septembre 1930, ses racines plongent plus à l’est, à Brienza, petite commune de l’ancien pays lucanien (actuelle Basilicate), d’où sa mère était originaire. Cet attachement tenait au fait qu’il y vécut, entre ses douze et quinze ans, une jeunesse paradoxalement heureuse, à l’écart des occupants allemands (à l’exception de cette semaine marquante que ses parents et leurs trois enfants passèrent cachés dans un tunnel pour se protéger des heurts accompagnant la débâcle allemande). Après la guerre, alors que nombre de ses compagnons s’établirent en Argentine (il les retrouvera à la cinquantaine, lors d’un déplacement à Buenos Aires, fiers d’y avoir fondé le « Club Brienza »), la famille revint à Naples pour suivre le père, avocat salernitain à l’éducation stricte.

Laureato in Giurisprudenza avec la plus haute mention, Benedetto Conforti songea un temps à embrasser la carrière diplomatique. Mais après avoir exercé au sein d’un cabinet d’avocats, c’est l’étude du droit international qui eut finalement ses faveurs. Il faut dire, qu’à partir de 1953, la chaire napolitaine consacrée à la matière était occupée par l’éminent Rolando Quadri. Il consacra alors une première étude au « rapatriement volontaire des prisonniers coréens » (Rassegna di diritto pubblico, 1953), avant d’entamer une carrière universitaire en tant qu’assistant à l’Institut de droit international de Naples (1953), chargé de cours en droit international et en histoire des traités aux Universités de Bari et de Sienne (1958), professeur titulaire des Universités de Sienne (1963), Padoue (1969), Naples (1972) et Rome La Sapienza (1987) puis, enfin, professeur émérite de l’Université de Naples Federico II (2005). Grand voyageur, il passa une année en qualité de Research Fellow à la Harvard Law School (1967-1968) et enseigna à Beyrouth, Canton, Le Caire, Mogadiscio, Paris, ou encore São Paulo.

Le Maître italien

L’œuvre de Benedetto Conforti s’inscrit dans la tradition de l’École italienne du droit international. Comme Roberto Ago ou Rolando Quadri, elle appréhende la discipline sous tous ses aspects, publics ou privés, strictement interétatiques ou plus « institutionnels ». Le spectre des thèmes abordés par ses nombreuses publications est large et concerne autant le droit international public que le droit international privé, les organisations internationales, le droit de la mer, le contentieux territorial, le droit des immunités, les droits de l’homme ou le droit, qu’il était encore convenu d’appeler, communautaire. Loin d’un simple touche-à-tout, il s’impose comme un généraliste, au bon sens du terme, celui par l’entremise duquel les plus jeunes découvrent et s’attachent durablement à une discipline aussi exigeante que passionnante.

Un souci constant dans l’œuvre de Benedetto Conforti est de conjuguer lectures macroscopique et microscopique du droit international. Le fonctionnement des institutions onusiennes est décrit de manière globale, mais il y est aussi scruté en détails, notamment lorsqu’il s’agit de déterminer comment l’accord de l’État membre conditionne la validité des résolutions qu’elles adoptent. Dans le même sens, nombre de ses écrits portent sur le rôle des « opérateurs juridiques internes » (International Law and the Role of Domestic Legal Systems, p. 3) et, au premier chef des juges nationaux, dans l’élaboration et l’application de la norme internationale, notamment coutumière. Cette particularité se retrouve dans les premières éditions de son manuel Diritto internazionale, véritable maître ouvrage pour tout étudiant transalpin s’initiant à l’étude du droit international. Comme dans tous ses écrits, malgré la relative technicité des thèmes abordés, le style y est clair, percutant et mû par une volonté constante de pédagogie.

L’éminent jurisconsulte

Le droit international, Benedetto Conforti le pratiqua aussi devant et dans de prestigieuses institutions. Il participa, aux côtés des professeurs Riccardo Monaco, Gaetano Arangio-Ruiz et Giuseppe Sperduti, à l’équipe conseillant le Gouvernement italien pour son intervention dans l’affaire de la Délimitation du plateau continental entre la Jamahiriya arabe Libyenne et Malte (1983). Il compta parmi les membres de la délégation italienne aux réunions des parties consultatives du Traité de l’Antarctique sur le régime des ressources minérales (1985-1988). Comme nombre de ses collègues italiens, il développa alors une réelle inclination pour le droit de la mer, le zonage maritime et l’exploitation des ressources naturelles. Plus récemment, il présida la Commission chargée d’adapter le droit italien à la mise en œuvre du Statut de Rome instituant la Cour pénale internationale (2002).

Fin conseiller, Benedetto Conforti fut aussi juge et arbitre. Il est nommé, en 1993, membre de la Commission européenne des droits de l’homme par Emilio Colombo. Ce dernier, Ministre des affaires étrangères et lucanien d’origine (il naquit à Potenza), aurait, selon les dires même de l’intéressé, pris sa décision après avoir reçu une délégation de villageois venus plaider la cause de l’enfant du pays, devenu brillant juriste. Élu ensuite juge à la Cour européenne des droits de l’Homme (1998-2001), il intégrera, à compter de 2007, la liste des arbitres de la Cour de conciliation et d’arbitrage de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). De ces années, lui restèrent un puissant attachement pour la protection des droits de l’homme et une certaine répulsion pour les régimes de légalité d’exception.

L’Académicien révéré

Dernier aspect de son parcours, et non des moindres, Benedetto Conforti œuvra au développement du droit international et au rayonnement de la culture juridique italienne au sein de plusieurs académies et sociétés savantes. Il présida la Società italiana di diritto internazionale (2007-2009) et fonda avec Luigi Ferrari Bravo l’Italian Yearbook of International Law. Il compta parmi les membres du Curatorium de l’Académie de droit international de La Haye et de l’Institut de droit international. Il intégra même la plus ancienne académie scientifique au monde, l’Accademia Nazionale dei Lincei (fondée par Federico Cesi en 1603 et qui compta parmi ses membres un certain Galileo Galilei).

Travailleur impénitent, prenant souvent part aux débats sociétaux et universitaires de la cité parthénopéenne, il s’y est éteint le 17 janvier 2016.

 

Romélien COLAVITTI
 
Maître de conférences à l’Université de Valenciennes et du Hainaut-Cambrésis
Invité à l’Università degli Studi di Napoli « Parthenope » (2014)

 

Sources : Notice biographique in RCADI, 1988, t. 212, p. 13 ; Cosimo Cascione, Giuseppe Cataldi (dir.), Scritti alessandrini in onore di Benedetto Conforti settuagenario, Naples, Editoriale Scientifica, 2000 ; Enzo Cannizzaro, « La doctrine italienne et le développement du droit international dans l’après guerre : entre continuité et discontinuité », AFDI, vol. 50, n°1, 2004, p. 1 ; Eleonora Bertolotto, « Diritti umani, una lezione lunga 50 anni », La Repubblica. Napoli, 9 octobre 2005 ; Massimo Iovane, « In Memoriam. Benedetto Conforti », The Italian Yearbook of International Law, 2015, vol. XXV ; Presidente Vincenzo De Luca, « L’addio al professore Benedetto Conforti », Comunicato n°10, Regione Campania, 18 janvier 2016 ; Società italiana di diritto internazionale e di diritto dell’Unione Europea, « In ricordo del Prof. Benedetto Conforti », 19 janvier 2016 ; Benedetto Conforti et Luigi Ferrari Bravo. De Naples à Strasbourg et au-delà : un voyage extraordinaire, Colloque organisé par la Cour européenne des droits de l’homme, Strasbourg, 24 février 2017 (publication à venir).

 

 

BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE

 

Ouvrages

Il regime giuridico dei mari. Contributo alla ricostruzione dei principi generali, Naples, Jovene, 1957, 308 p.

L’esecuzione delle obbligazioni nel diritto internazionale privato, Naples, Morano, 1962, 326 p.

Avec Luigi Ferrari Bravo, Riccardo Monaco, Rolando Quadri, Antonio Tizzano et Alberto Trabucchi (dir.), Trattato istitutivo della Comunità economica europea, Milan, Giuffrè, 1965, 4 vol.

La funzione dell’accordo nel sistema delle Nazioni Unite, Padoue, CEDAM, 1968, 165 p.

La zona economica esclusiva, Milan, Giuffrè, 1983, 209 p.

International Law and the Role of Domestic Legal Systems, Dordrecht-Boston-Londres, Martinus Nijhoff Publishers, 1993, 207 p.

Avec Paolo Picone (dir.), Interventi delle Nazioni Unite e diritto internazionale, Padoue, CEDAM, 1995, 578 p.

Avec Francesco Francioni (dir.), Enforcing International Human Rights in Domestic Courts, La Haye-Boston, Martinus Nijhoff Publishers, 1997, 466 p.

Avec Sergio Bartole et Guido Raimondi, Commentario alla Convenzione europea per la tutela dei diritti dell’uomo e delle libertà fondamentali, Padoue, CEDAM, 2001, 1011 p.

Avec Carlo Focarelli, Le Nazioni Unite, Padoue, CEDAM, 9ème éd., 2012, 499 p.

Avec Angelo Labella, An Introduction to International Law, Leyde-Boston, Martinus Nijhoff Publishers, 2012, 137 p.

Diritto internazionale, Naples, Editoriale Scientifica, 10ème éd., 2015, 502 p.

Avec Carlo Focarelli, The Law and Practice of the United Nations, Leyde-Boston, Brill-Nijhoff, 2016, 494 p.

 

Cours

« Le rôle de l’accord dans le système des Nations Unies », RCADI, 1974, t. 142, pp. 203-288

« Cours général de droit international public », RCADI, 1988, t. 212, pp. 9-210

 

Articles

« The Legal Effect of Non-Compliance with Rules of Procedure in the UN General Assembly and Security Council », AJIL, 1969, pp. 479-489.

« La nozione di domestic jurisdiction nelle riserve all’accettazione della competenza della Corte internazionale », Comunicazioni e studi, vol. 14, 1975, pp. 215-233

« Observations on the Advisory Function of the International Court of Justice » in Antonio Cassese (dir.), UN Law-Fundamental Rights: Two topics in International Law, Alphen-sur-le-Rhin, Sijthoff & Noordhoff, 1979, pp. 85-90

« L’arrêt de la Cour internationale de justice dans l’affaire de la délimitation du plateau continental entre la Libye et Malte », RGDIP, vol. 90, 1986, pp. 313-343 (article mis en ligne avec l’aimable autorisation des Editions A. Pedone)

« Territorial Claims in Antarctica. A Modern Way to Deal with an old Problem », Cornell International Law Journal, vol. 19, 1986, pp. 249-258

« Prolifération organique, prolifération normative et crise des Nations Unies : réflexions d’un juriste » in L’adaptation des structures et méthodes des Nations Unies, Dordrecht-Boston-Londres, Martinus Nijhoff Publishers, 1986, pp. 153-169

« In tema di responsabilità degli Stati per crimini internazionali » in Le droit international à l’heure de sa codification. Études en l’honneur de Roberto Ago, Milan, Giuffrè, 1987, pp. 99-111

Avec Angelo Labella, « Invalidity and Termination of Treaties: The Role of National Courts », EJIL, vol. 1, n°1, 1990, pp. 44-66

« Non-Coercive Sanctions in the United Nations Charter: Some Lessons from the Gulf War », EJIL, vol. 2, n°2, 1991, pp. 110-113

« Humanité et renouveau de la production normative » in Humanité et droit international – Mélanges René-Jean Dupuy, Paris, Pedone, 1991, pp. 113-120 (article mis en ligne avec l’aimable autorisation des Editions A. Pedone)

« Le principe de non-intervention » in Mohammed Bedjaoui (dir.), Droit international : bilan et perspectives, Paris, Pedone, 1991, pp. 489-505 (article mis en ligne avec l’aimable autorisation des Editions A. Pedone)

« L’arrêt de la Cour internationale de Justice dans l’affaire de certaines terres à phosphates à Nauru (exceptions préliminaires) », AFDI, vol. 38, n°1, 1992, pp. 460-467

« Le pouvoir discrétionnaire du Conseil de sécurité en matière de constatation d’une menace contre la paix, d’une rupture de la paix ou d’un acte d’agression » in René-Jean Dupuy (dir.), Le développement du rôle du Conseil de sécurité, Dordrecht-Boston-Londres, Martinus Nijhoff Publishers, 1993, pp. 51-60

« L’activité du juge interne et les relations internationales de État », Annuaire de l’Institut de droit international, vol. 65, 1993, pp. 327-448

« Quelques réflexions sur les rapports de la Convention européenne des droits de l’homme avec d’autres conventions » in L’éclosion du droit européen des droits de l’homme : mélanges en l’honneur de Carl Aage Nørgaard, Baden-Baden, Nomos, 1998, pp. 47-52

« Può il sistema di controllo instaurato dalla Convenzione europea dei diritti dell’uomo essere reso più efficace? » in Studi in onore di Francesco Capotorti, Milan, Giuffrè, 1999, pp. 111-117

« The New European Court of Human Rights between International and Domestic Law », The Italian Yearbook of International Law, vol. 9, 2000, pp. 3-10

« Notes on the Relationship between International Law and National Law », International Law FORUM du droit international, vol. 3, n°1, 2001, pp. 18-24

« The Doctrine of « Just War » and Contemporary International Law », The Italian Yearbook of International Law, vol. 12, 2003, pp. 3-11

« Note sulle recenti modifiche della costituzione italiana in tema di rispetto degli obblighi internazionali e comunitari » in Studi di diritto internazionale in onore di Gaetano Arangio-Ruiz, Naples, Editoriale Scientifica, 2004, pp. 495-501

« Immunités de juridiction civile et Convention européenne des droits de l’homme », Bulletin des droits de l’homme, 2005, pp. 1-6

« Le principe d’équivalence et le contrôle sur les actes communautaires dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme » in Human Rights, Democracy and the Rule of Law. Liber Amicorum Luzius Wildhaber, Zürich, Dike, 2007, pp. 173-182

« Quelques réflexions sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme en matière de propriété » in La promotion de la justice, des droits de l’homme et du règlement des conflits par le droit international. Liber Amicorum Lucius Caflish, Leyde, Brill, 2007, pp. 171-178

« Unité et fragmentation du droit international : « glissez, mortels, n’appuyez pas! » », RGDIP, vol. 111, 2007, pp. 5-18 (article mis en ligne avec l’aimable autorisation des Editions A. Pedone)

« The Role of the Judge in International Law », European Journal of Legal Studies, vol. 1, n°2

« Il diritto internazionale che cresce: la moltiplicazione dei tribunali internazionali » in Studi in onore di Vincenzo Starace, Naples, Editoriale Scientifica, 2008, pp. 143-151

« Sul ricorso individuale per violazione di diritti umani » in Studi in onore di Umberto Leanza, Naples, Editoriale Scientifica, 2008, pp. 955-957

« Qualche riflessione sul contributo dei giudici internazionale ed interni al diritto internazionale » in Nuovi strumenti del diritto internazionale privato. Liber Fausto Pocar, Milan, Giuffrè, 2009, pp. 217-221

« The Specificity of Human Rights and International Law » in From Bilateralism to Community Interest. Essays in Honour of Judge Bruno Simma, Oxford, Oxford University Press, 2011, pp. 433-442

« L’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne des droits de l’homme » in L’Europe des droits fondamentaux. Mélanges en hommage à Albert Weitzel, Paris, Pedone, 2013, pp. 21-27

« A few Remarks on the Functional Immunity of the Organs of Foreign States », Questions of International Law, 2015, pp. 69-73

Avec Mario De Dominicis, « La giurisprudenza della Corte di Strasburgo in tema di obblighi positivi » in Luigi Ferrari Bravo : il diritto internazionale come professione, Naples, Editoriale Scientifica, 2015, pp. 295-299

« La Cour constitutionnelle italienne et les droits de l’homme méconnus sur le plan international », RGDIP, vol. 119, 2015, pp. 353-359 (article mis en ligne avec l’aimable autorisation des Editions A. Pedone)