FERRARI BRAVO

Photo : Académie de droit international de La Haye. Avec l’aimable autorisation du Secrétaire général

LUIGI FERRARI BRAVO

(1933-2016)

 

Figure majeure du droit international transalpin, Luigi Ferrari Bravo est né à Naples, le 5 août 1933. Il effectue de brillantes études à l’Université Federico II, jusqu’en mars 1956 et devient l’un des plus jeunes assistants dans l’entourage du Maître d’alors, Rolando Quadri, dès le mois de juillet. Successivement assistant de droit international (1956-1961), Libero docente à la Faculté de droit de l’Université de Bari (1961-1968), chargé de cours d’organisation internationale puis de droit international dans cette même Université (1961-1968) et à l’Istituto universitario orientale de Naples (1962-1968), il accède aux fonctions de professeur titulaire à Bari, y dirige l’Institut de droit international (1968-1974), revient ensuite à Naples (1974-1979) où il prend la tête du département de science politique, pour terminer enfin sa carrière académique à l’Université de Rome « La Sapienza » (1979-1998). Il a, par ailleurs, l’occasion de dispenser des cours à l’Université nationale de Somalie (Mogadiscio) en 1971, à l’Académie de droit international de La Haye, ainsi qu’à la Scuola di Alta Amministrazione de Caserte-Rome (1965-1979).

À l’instar d’autres internationalistes italiens, ses enseignements – comme ses écrits – portent sur l’étude du droit international public et privé, avec une nette inclination pour ce qu’il convenait encore de dénommer, droit des Communautés européennes. Fervent promoteur de l’École italienne du droit international, il participe, aux côtés de Roberto Ago, Riccardo Monaco ou de l’un de ses plus proches collègues, Benedetto Conforti, à une œuvre gigantesque de recensement de la pratique italienne du droit international à partir de 1861, la fameuse Prassi italiana di diritto internazionale. Membre de nombreuses sociétés savantes italiennes et étrangères, notamment la Società italiana per l’organizzazione internazionale, l’American Society of International Law ou l’Institut de droit international, il participe activement à la fondation de l’Italian Yearbook of International Law ainsi qu’à celle de la Società italiana di diritto internazionale. Membre de la Commission du droit international de l’ONU (1997-1998) et Président d’UNIDROIT (1995-1999), il s’est aussi illustré par une riche carrière de jurisconsulte auprès du ministère des affaires étrangères, mais aussi d’arbitre et de juge, d’abord à la Cour internationale de Justice (1995-1997), puis à la Cour européenne des droits de l’homme (1998-2001).

L’auteur raffiné

Luigi Ferrari Bravo avait une personnalité exigeante. Ceux qui l’on côtoyé de près décèlent un caractère difficile, parfois maussade. Mais tous reconnaissent son immense culture juridique, politique et historique. Son œuvre, débutée très tôt (il publie son premier ouvrage, consacré à la preuve dans le procès international, à l’âge de 25 ans), est pour l’essentiel rédigée en italien. Exceptions notables, ses deux cours dispensés à l’Académie de La Haye, le sont en français. L’un est consacré aux « rapports entre contrats et obligations délictuelles en droit international privé » (publié en 1974) et l’autre, aux « méthodes de recherche de la coutume internationale dans la pratique des États » (publié en 1985). Ses ouvrages mêlent ressources pédagogiques (les Lezioni di diritto internazionale ont fait l’objet de quatre éditions et ont été complétées par des Lezioni di diritto delle Comunità europee, puis par un manuel de Diritto comunitario) et recherches savantes (notamment Responsabilità civile e diritto internazionale privato). En fin européaniste, il participe aussi au commentaire monumental du Traité instituant la Communauté économique européenne, dirigé par Rolando Quadri, Riccardo Monaco et Alberto Trabucchi. Au-delà de la diversité des disciplines abordées, ses écrits s’illustrent par un style alerte, précis et s’embarrassant peu de détails qui ne serviraient qu’indirectement sa démonstration.

Le juriste diplomate

Si l’œuvre académique de Luigi Ferrari Bravo est résolument tournée vers l’étude de la pratique, c’est certainement parce qu’il vécut le droit international, non seulement comme une discipline et un objet d’étude, mais aussi comme une « profession ». Dès la fin des années soixante, il intègre nombre d’organes et de comités onusiens, en qualité de représentant italien ou d’expert indépendant.

Mais c’est, pour l’essentiel, au service de l’Italie qu’il déploie ses plus grands talents de jurisconsulte. Conseiller juridique de sa représentation permanente à New York (1981-1984), puis à Genève (1984-1985), il devient ensuite Chef du service des affaires juridiques au ministère des affaires étrangères, fonction qu’il assume pendant une décennie. Il représente, à ce titre, le gouvernement italien en qualité d’agent devant la Cour de Justice des Communautés européennes, la Cour européenne des droits de l’homme et la Cour internationale de Justice, dans la fameuse affaire Elettronica Sicula (États-Unis c. Italie, 20 juillet 1989).

Le juge dissident

Son cursus honorum mène alors, presque naturellement, Luigi Ferrari Bravo vers les fonctions judiciaires internationales les plus prestigieuses. Membre du panel des conciliateurs de la CSCE, du bureau de la Cour de conciliation et d’arbitrage de l’OSCE, il intègre la Commission européenne des droits de l’homme (1997-1998) et arbitre, aux côtés de Pierre Lalive, un litige relatif au Contrat de prêt entre l’Italie et le Costa Rica (sentence du 26 juin 1998). Il siège à la Cour internationale de Justice entre 1995 et 1997 et rejoint ensuite la Cour européenne des droits de l’homme, entre 1998 et 2001, sur proposition de la Sérénissime République de San Marin. Il connaîtra de deux affaires à La Haye, l’une contentieuse (Demande d’examen de la situation au titre du §63 de l’arrêt rendu par la Cour le 20 décembre 1974 dans l’affaire des Essais nucléaires (Nouvelle-Zélande c. France), 22 septembre 1995), l’autre consultative (Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, 8 juillet 1996).

Sa dissidence s’affirme nettement à Strasbourg, d’abord partiellement dans l’Affaire Laino c. Italie (18 février 1999), puis sur l’ensemble de la décision, dans les affaires Di Mauro c. Italie (28 juillet 1999), Beyeler c. Italie (5 janvier 2000) et, aussi, Al Adsani c. Royaume-Uni (21 novembre 2001). Dans cette dernière, Luigi Ferrari Bravo s’y exprime, certes, de manière singulière : « dommage ! (…) La Cour a, malheureusement, raté une très bonne occasion de livrer une jurisprudence courageuse ! ». Mais il y souligne surtout qu’elle a eu, dans cette affaire, « une occasion en or pour émettre une condamnation nette et forte de tout acte de torture. Pour ce faire, il lui suffisait de confirmer le sens profond de la jurisprudence de la Chambre des Lords dans l’affaire Pinochet, jurisprudence selon laquelle la prohibition de la torture a, aujourd’hui, caractère de jus cogens et, par conséquent, la torture est un crime de droit international. Il s’ensuit que tout État doit contribuer à la punition de la torture et ne peut pas se réfugier derrière des formalismes pour éviter de se prononcer ».

Homme de grande culture, au verbe haut et aux convictions fortes, Luigi Ferrari Bravo s’éteint à Rome, le 7 février 2016.

 

Romélien COLAVITTI
 
Maître de conférences à l’Université de Valenciennes et du Hainaut-Cambrésis
Invité à l’Università degli Studi di Napoli « Parthenope » (2014)

 

Sources : Notices biographiques in RCADI, 1974, t. 146, p. 345 et RCADI, 1985, t. 192, p. 239 ; Enzo Cannizzaro, « La doctrine italienne et le développement du droit international dans l’après guerre : entre continuité et discontinuité », AFDI, vol. 50, n°1, 2004, p. 1 ; Giuseppe Nesi, Pietro Gargiulo dir., Luigi Ferrari Bravo. Il diritto internazionale come professione, Trento, Università degli Studi di Trento, 2015 ; Giorgio Sacerdoti, « In Memoriam. Luigi Ferrari Bravo », The Italian Yearbook of International Law, 2015, vol. XXV ;  Società italiana di diritto internazionale e di diritto dell’Unione Europea, « In ricordo del Prof. Luigi Ferrari Bravo », 8 février 2016 ; Benedetto Conforti et Luigi Ferrari Bravo. De Naples à Strasbourg et au-delà : un voyage extraordinaire, Colloque organisé par la Cour européenne des droits de l’homme, Strasbourg, 24 février 2017 (publication à venir).

 

 

BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE

 

Ouvrages

La prova nel processo internazionale, Naples, Jovene, 1958, 168 p.

Diritto internazionale e diritto interno nella stipulazione dei Trattati, Naples, Morano, 1964, 349 p.

Responsabilità civile e diritto internazionale privato, Naples, Jovene, 1973, 352 p.

Lezioni di diritto delle Comunità europee, Naples, Editoriale Scientifica, 1992, 258 p.

Lezioni di diritto internazionale, 4ème éd., Naples, Editoriale Scientifica, 2002, 336 p.

Diritto comunitario, Naples, Editoriale Scientifica, 2006, 248 p.

 

Cours

« Rapports entre contrats et obligations délictuelles en droit international privé », RCADI, 1974, t. 146, pp. 341-452

« Méthodes de recherche de la coutume internationale dans la pratique des États », RCADI, 1985, t. 192, pp. 233-330

 

Articles

« Gli effetti delle condanne penali nel diritto internazionale privato italiano », Rivista di diritto internazionale, 1960, pp. 26-57

« Note in margine alla recente sentenza della Corte internazionale di giustizia nel caso dell’Africa Sud-Occidentale », Rivista di diritto internazionale, 1963, pp. 337-365

« International Law and Municipal Law: The Complementarity of Legal Systems » in Ronald St John Macdonald, Douglas Millar Johnston (dir.), The Structure and Process of International Law, La Haye, Martinus Nijhoff, 1983, pp. 715-744

« Alcune riflessioni sui rapporti fra diritto costituzionale e diritto internazionale in tema di stipulazione di trattati » in Le droit international à l’heure de sa codification. Études en l’honneur de Roberto Ago, Milan, Giuffrè, 1987, pp. 273-285

« Prospettive del diritto internazionale alla fine del secolo XX », Rivista di diritto internazionale, 1991, pp. 525-533

« Difficultés et perspectives de la nouvelle Europe » in Emmanuel Decaux, Linos-Alexandre Sicilianos (dir.), La CSCE : dimension humaine et règlement des différends, Paris, Montchrestien, 1993, pp. 15-25

« Considérations sur la méthode de recherche des principes généraux du droit international de l’environnement », The Hague Yearbook of International Law, 1994, pp. 3-10

« Quelques notes à propos du fondement de la politique étrangère en droit international public » in Liber Amicorum Mohammed Bedjaoui, La Haye-Boston-Londres, Kluwer Law, 1999, pp. 173-178