FRANCESCAKIS

Photo : Académie de droit international de La Haye. Avec l’aimable autorisation du Secrétaire général

PHOCION FRANCESCAKIS

(1910-1992)

 

Phocion Francescakis est né sur l’île de Crète (Grèce), à la Canée, le 10 juin 1910. Il a quitté son pays natal dans les années trente pour rejoindre Paris où il a entrepris des études de droit avec des maîtres tels que Lévy-Ulmann, Niboyet et Maury. Il s’est engagé volontairement dans les armées françaises en 1939 et fut prisonnier de guerre captif en Allemagne pendant cinq années, au cours desquelles il a appris la langue allemande. Outre le grec et le français dont il maîtrisait parfaitement les subtilités, Francescakis parlait et écrivait très bien l’anglais, l’allemand et l’italien. A la fin de la deuxième guerre mondiale, il a poursuivi son itinéraire essentiellement au sein du CNRS comme chargé de recherche (1948), maître (1958), directeur (1963), avant de devenir directeur honoraire à sa retraite en 1979.

La création d’une vraie communauté scientifique : la salle 102 et la Revue critique de droit international privé

C’est à ce titre qu’il créa avec Henri Batiffol la fameuse « salle 102 » (devenu Centre de recherches de droit international de l’Université de droit, d’économie et des sciences sociales de Paris) dont il fut directeur adjoint. Le but poursuivi, avec succès, par ses instigateurs était de créer un lieu de rencontres scientifiques moins formel que le Comité de français de droit international privé. La salle 102, fréquentée par des générations d’internationalistes privatistes distingués, était le lieu historique de cet éclat doctrinal français issu de l’heureuse union scientifique entre Batiffol et Francescakis. Deux fois par mois, le vendredi soir, de jeunes docteurs en droit (exceptionnellement des doctorants) présentaient leur thèse avant que s’engage une discussion souvent très approfondie. Ce n’est pas un secret de dire que la quasi-totalité des thèses de cette grande époque ont bénéficié des remarques de Francescakis. Lors de ces séances informelles, Francescakis, toujours pédagogue, se montrait tantôt amical et encourageant, tantôt sévère et intimidant. Emprunt de sagesse et d’humanisme, il voulait aider les autres à devenir meilleurs par eux-mêmes.

Discret et même secret, surtout sur le plan de sa vie familiale, Francescakis était un homme d’une grande modestie qui détestait autant les théories prétentieuses qu’il respectait les observations fines, la subtilité du détail, la juste complexité. Il était aussi très ouvert à la littérature, la philosophie et les arts. Peu savent qu’il fut lui-même peintre, et même un bon peintre, d’un style abstrait et complexe.

Francescakis enseigna le droit international comparé à l’Institut du droit comparé de l’Université de Paris (1958-1975) puis le droit comparé à l’Université de Thessalonique pendant deux ans comme professeur ordinaire, élu à l’unanimité (1976-1977). Au cours de cette période de sa vie, de son propre aveu, très heureuse, il a fondé avec Dimitrios Evrigenis le Centre de droit économique international et européen.

S’il a donné en 1964 un cours à l’Académie de droit international de la Haye sous le titre « Droit international privé des pays africains », il a malheureusement refusé le cours général qu’on lui a proposé de professer deux décennies plus tard. Son refus était-il fondé sur sa conviction personnelle qu’un tel cours général n’aurait jamais pu embrasser la branche dans tous ses aspects scientifiques ? Son souci de la perfection ou même la fatigue sont-ils d’autres facteurs explicatifs ?

La grande rencontre de sa vie fut Henri Batiffol et la Revue critique de droit international privé qu’il a codirigé à partir de 1976. Francescakis a réformé la Revue. Avec son sens aigu de l’organisation, il a constitué une équipe de collaborateurs de haute qualité scientifique qui lui ont assuré continuité et rayonnement international. C’est grâce à Francescakis qu’une société – mieux une famille – de droit international privé s’est formée autour de la Revue et de la Salle.

Son héritage : Pluralisme démocrate et la filière humaine Francescakis

L’héritage de Francescakis est d’abord intellectuel. Francescakis était démocrate donc pluraliste et sans doute rebelle par nature à toute forme d’autoritarisme, y compris intellectuel. Ainsi ce n’est pas un hasard s’il a défié la monocratie de la règle de conflit au profit d’un pluralisme de méthodes exprimé d’abord dans sa fameuse thèse sur le conflit de systèmes – tiré d’une lecture attentive de la jurisprudence – et reformulé ensuite spécialement pour les lois de police dans son article à la Revue critique (Quelques précisions sur les lois d’application immédiate et sur leurs rapports avec les règles des conflits de lois », RCDIP, 1966, pp. 1-18) et plus tard au Répertoire Dalloz (1ère édition qu’il a co-dirigée). Aujourd’hui, cette approche pluraliste est dominante et incontestée.

Par ailleurs, il convient de noter que la signification profonde de la découverte des lois de police est le signe de son sens de la priorité du social sur l’individuel – le collectif comme expression de la démocratie est d’ailleurs probablement une des dominantes idéologiques de Francescakis. La formulation de la théorie moderne de droits acquis (qui connaît un fort regain d’actualité sous la méthode ou les méthodes de reconnaissance) et ses thèses en faveur de la libéralisation du régime de jugements étrangers trouvent leur source profonde dans son souci d’harmonie internationale des solutions et son respect pour l’effectivité des situations.

Il était critique à l’égard de la terreur positiviste de type kelsénien. Sa fameuse préface à l’édition française de L’ordre juridique de Santi Romano, écrite dans un style et avec des nuances qui en font une lecture classique, en constitue un témoignage exempt de tout ambiguïté.

La pensée des autres et l’art de penser

Aux grandes théories et synthèses peu accessibles à l’entendement humain, Francescakis préférait les commentaires d’arrêt. Toujours soucieux du dialogue entre la doctrine et la jurisprudence, ses commentaires présentaient une réelle originalité, au point qu’il est l’un des rares auteurs à avoir développé de véritables thèses d’envergure à l’occasion de cet exercice – la Cour d’appel de Paris, dans l’affaire Banque Ottomane de 1965, ne s’y est pas trompée en reprenant ses propositions sur la théorie dite moderne des droits acquis (RCDIP, 1967, p. 85, note P. Lagarde ; JDI, 1966, p. 118, note B. Goldman). Etait également manifeste son intérêt intellectuel pour les écrits des autres. Ainsi, ses comptes rendus étaient un plaisir à lire tant il avait tendance à approfondir les positions de l’auteur tout en valorisant sa pensée. La critique inhérente au commentaire de tout travail scientifique restait toujours respectueuse et sans prétention.

Son héritage est enfin humain. Francescakis avait des élèves dans toutes les parties du monde. Parmi ceux-là, il vouait une affection particulière pour les ressortissants des pays du tiers monde.

 

Charalambos PAMBOUKIS

Professeur à l’Université d’Athènes

 

 Sources : H. Batiffol, « Présentation » inP. Francescakis, La pensée des autres en droit international privé, Comptes rendus bibliographiques (1946-1984) réunis en hommage à leur auteur, Paris, Dalloz, 1985 ; D. Evrigenis, « Phocion Francescakis », ibid.; P. Gothot, « Phocion Francescakis et ‘La pensée des autres’ », RCDIP, 1987, pp. 711-729 ; P. Lagarde, « P. Francescakis, La pensée des autres en droit international privé. Comptes rendus bibliographiques (1946-1984) réunis en hommage à leur auteur » in Revue internationale de droit comparé, vol. 39, n° 4, octobre-décembre 1987, pp. 1003-1006. ; P. Lagarde, « Phocion Francescakis (1910-1992) », RCDIP, 1992, p. 219

 

 

BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE

 

Ouvrages

La théorie du renvoi et les conflits de systèmes en droit international privé, Paris, Sirey, 1958, 306 p.

Jurisprudence de droit international privé, annotée dans la Revue critique de droit international privé, 1948-1959, Paris, Sirey, 1961, 376 p.

L’entreprise multinationale face au droit (avec B. Goldman, dir.), Paris, Litec, 1977, 453 p.

Droit comparé, textes théoriques et documentation de séminaire pour l’étude comparative du droit (avec D. Evrigenis et S. Symeonides), Thessalonique, Sakkoulas, 1978, 593 p. (en grec)

Co-directeur du Répertoire de droit international Dalloz

 

Cours

« Problèmes de droit international privé de l’Afrique noire indépendante », RCADI, 1964-II, vol. 112, pp. 270-361

 

Articles

« Permanence de l’œuvre de Niboyet », Revue hellénique de droit international, 1952, pp. 228-247

« Compétence étrangère et jugement étranger », RCDIP, 1953, pp. 1-35

« Le divorce d’époux de nationalité différente – Après l’arrêt Rivière », RCDIP, 1954, pp. 325-347

« Une extension discutable de la jurisprudence Rivière – L’application de la loi du domicile commun à la filiation légitime », JDI, 1956, pp. 254-291

« Traduction et commentaire du projet de ‘Code’ élaboré par la Royal Commission on Mariage and Divorce anglaise concernant la compétence internationale et les effets des jugements en matière de divorce », RCDIP, 1956, pp. 344-354

« Jugement étranger », in Encyclopédie Dalloz, Procédure civile, t. II, 1956, pp. 236-246

« Modem Scots ‘runaway’ marriages » (avec A. E. Anton), The Juridical Review, 1958, pp. 253-285

« Effets en France des jugements étrangers indépendamment de l’exequatur », communication au Comité français de droit international privé, Travaux du Comité de droit international privé, 1951, pp. 129-155

« Du contrôle préventif de la validité du divorce étranger », Zeitschrift fur auslandisches und internationales Privatrecht, 1954, pp. 58-80

« Le Congrès international d’études sur la Communauté européenne du charbon et de l’acier », RCDIP, 1957, pp. 435-446

« Les questions préalables de statut personnel dans le droit de la nationalité », Zeitschrift für auslandisches und internationales Privatrecht, 1958, pp. 466-497

« La Convention de La Haye de 1955 pour régler les conflits entre la loi nationale et la loi du domicile », communication au Comité français de droit international privé, Travaux du Comité de droit international privé, 1959, pp. 151-174

« L’arrêt Boll de la Cour internationale de justice et sa contribution à la théorie du droit international privé » (avec H. Batiffol), RCDIP, 1959, pp. 259-276

« Les sentences arbitrales non motivées d’après l’arrêt Elmassian de la Chambre civile », RCDIP, 1960, pp. 297-312.

« Divorce en droit international privé français », Fascicules 547 A-C, JurisClasseur international, 1961, 75 p.

« Une réglementation inachevée du divorce international. La loi belge du 27 juin 1960 » avec P. Gothot, RCDIP, 1962, pp. 247-282

« La prudente élaboration par la Conférence de la Haye d’une convention sur le divorce », JDI, 1963, pp. 1-17

« La loi étrangère à la Cour de cassation », Dalloz, 1963, Chr. pp. 7-14

« Les avatars du concept de domicile dans le droit international privé actuel », communication au Comité français de droit international privé, Travaux du Comité de droit international privé, 1965, pp. 291-323

« Quelques précisions sur les lois d’application immédiate et sur leurs rapports avec les règles des conflits de lois », RCDIP,1966, pp. 1-18

« Lois d’application immédiate et règles de conflit », Rivista di diritto internazionale privato e processuale, 1967, pp. 691-698

« Un bond de la jurisprudence anglaise en matière de reconnaissance des décisions étrangères, l’arrêt de la Chambre des Lords dans l’affaire du divorce Indyka », RCDIP, 1969, pp. 601-637

« Remarques critiques sur le rôle de la Constitution dans le conflit entre le traité et la loi interne devant les tribunaux judiciaires », RCDIP, 1969, pp. 425-446

« Y-a-t-il du nouveau en matière d’ordre public? », communication au Comité français de droit international privé”, Travaux du Comité de droit international privé, 1970, pp. 149-169

« Lueurs sur le droit international des sociétés de capitaux – L’arrêt ‘Barcelona’ de la Cour internationale de Justice », RCDIP, 1970, pp. 609-664

« Observations présentées à l’Institut de droit international sur les rapports provisoire et définitif de M. Etienne Szaszy concernant ‘Les conflits de lois en matière de droit du travail’ », Ann. IDI, vol. 54, 1.1, 1971, pp. 417-420 et pp. 492-504

« Le droit international privé dans le monde post-colonial – Le cas de l’Afrique noire », JDI, 1973, pp. 46-64

« Le principe jurisprudentiel de l’autonomie de la clause compromissoire après l’arrêt Hecht de la Cour de cassation », Revue de l’arbitrage, 1974, pp. 67-87

« L’apport savant de Georges Holleaux à la jurisprudence française de droit international privé », JDI, 1974, pp. 244-255

« Lois d’application immédiate et droit du travail – L’affaire du Comité d’entreprise de la Compagnie des wagons-lits », RCDIP, 1974, pp. 273-296

« Le surprenant article 310 nouveau du Code civil sur le divorce international », RCDIP, 1975, pp. 553-594

« Observations présentées à l’Institut de droit international sur le rapport préliminaire de M. Pierre Lalive concernant ‘L’application du droit public étranger’ », Ann. IDI, vol. 56, 1975, pp. 192-201

Préface à la traduction française de L’ordre juridique de Santi Romano par L. François et P. Gothot, Paris, Dalloz, xxii p. (réed. 2002)

« Une lecture demeurée fondamentale : les ‘Règles générales des conflits de lois’ de Jacques Maury », RCDIP, 1982, pp. 3-23

« Le contrôle de la compétence du juge étranger après l’arrêt ‘Simitch’ de la Cour de cassation », RCDIP, 1985, pp. 243-272

 

Notes d’arrêt

 

Hommage

La pensée des autres en droit international privé. Comptes rendus bibliographiques (1946-1984) réunis en hommage à leur auteur, coll. « Annales de la Faculté de droit de l’Université Aristote de Thessalonique », Thessalonique et Paris, Dalloz, 1985, 497 p.