GIRAUD

Photo : Académie de droit international de La Haye. Avec l’aimable autorisation du Secrétaire général

ÉMILE GIRAUD

(1894-1965)

 

Né le 9 octobre 1894 à Dieppe, le professeur Giraud est mort à Paris le 15 mars 1965, alors qu’il devait prendre sa retraite, quelques mois plus tard, du poste qu’il occupait à la faculté de droit de Lille. Sa carrière au sein de l’Université française n’a représenté qu’une partie de sa vie professionnelle. Émile Giraud a en effet également exercé de hautes fonctions au Secrétariat de la Société des Nations, dont il fut le conseiller juridique pendant la Seconde guerre mondiale, puis aux Nations Unies. À son parcours, partagé entre l’université et la pratique du droit international et des organisations internationales, a correspondu une œuvre doctrinale originale, placée sous le sceau de la tension entre le droit et la politique.

Académie et pratique

Émile Giraud est reçu premier au concours d’agrégation de droit public en 1924, après avoir soutenu deux thèses de doctorat à Paris, l’une sur la responsabilité de l’État du fait des lois (1917), l’autre sur l’œuvre d’organisation judiciaire de la Constituante (1921). En 1927, trois ans après avoir été titularisé comme professeur à la faculté de droit de Rennes, il est détaché au Secrétariat de la Société des Nations. Son immersion dans la première organisation internationale politique à vocation universelle, l’éloigne de l’Université française. Il ne réintègre qu’en 1955 ses fonctions comme professeur de droit constitutionnel et de droit public à l’université de Lille, à défaut d’avoir pu obtenir la « promotion parisienne » à laquelle il fut candidat à plusieurs reprises.

Auteur de quatre cours à l’Académie de droit international, dont le cours général de droit international public en 1963, le professeur Giraud est par ailleurs élu membre associé de l’Institut de droit international en 1952, et en devient membre titulaire en 1961. Prenant la suite de Georges Scelle, et avant que Shabtaï Rosenne ne lui succède comme rapporteur sur cette question au sein de l’Institut, Émile Giraud est l’auteur de deux rapports sur la modification et la révision des traités collectifs. Sa contribution, pionnière, sur le rôle des résolutions de l’Assemblée générale dans la formation du droit international coutumier, telle qu’exposée dans son cours général, doit aussi être signalée.

Émile Giraud est l’auteur, avant la Seconde guerre mondiale, d’ouvrages de science politique consacrés à l’évolution des démocraties en Europe et aux États-Unis. Il publie, en 1949, sous le titre La nullité de la politique internationale des grandes démocraties, une étude dans laquelle il se livre à une recherche des causes morales et politiques « d’une faillite inexcusable » – l’échec de la Société des Nations, qu’il attribue à la France et à la Grande-Bretagne, et la guerre. Dans cet essai, où il critique le pacifisme et appelle au développement de l’internationalisme, Émile Giraud entend aussi témoigner des avertissements qu’il a adressés par une série de notes au gouvernement français, entre 1935 et 1939, contre toute concession face à l’impérialisme nazi.

Membre de la section juridique du Secrétariat des Nations Unies, à partir de janvier 1927, il devient conseiller juridique de la Société des Nations en 1940, poste auquel il connaît les dernières années de paralysie politique de la Société. Aux côtés du Secrétaire général Sean Lester, il contribue à préserver l’intégrité du Secrétariat, comme un symbole fragile de « l’esprit de Genève » et de la coopération internationale, jusqu’à la dissolution de la Société.

Après-guerre, au sein de la Division des droits de l’homme du Secrétariat des Nations Unies, il participe à l’élaboration de la convention sur le génocide, ainsi qu’à la rédaction d’une étude sur l’apatridie (1949). Il devient ensuite directeur adjoint de la Division pour le développement et la codification du droit international. Il s’occupe, en particulier, des questions de règlement des différends, au moment où son ami Georges Scelle est rapporteur spécial de la Commission du droit international sur la procédure arbitrale. Après avoir quitté le Secrétariat, il prend part, en tant que délégué de la France, à la conférence sur l’esclavage organisée à Genève en 1956.

Droit et politique

La thématique des rapports entre le droit et la politique dans l’ordre international imprègne l’œuvre d’Émile Giraud et en particulier les articles et cours qu’il a consacré aux questions de sécurité collective, au règlement pacifique des différends, à l’expérience de la Société des Nations, ou encore à la révision de la Charte des Nations Unies. Selon lui, la « force crée la règle et assure son effectivité » ; l’effectivité est à la fois le critère de l’existence du droit international et son principe fondamental. Aussi la volonté des gouvernements est-elle décisive dans le jeu des forces au sein de la société internationale. Émile Giraud peut ainsi faire figure de défenseur d’un « positivisme juridique d’ordre volontariste poussé vers sa plus pure expression » (R. Kolb).

Réaliste, pour qui « le droit est dans la dépendance de la politique qui le domine », Émile Giraud ne déniait cependant pas au droit une certaine autonomie, qu’il concevait comme une activité essentiellement pratique. Par ailleurs, il ne réduisait pas la politique internationale à la seule expression de volontés individuelles et intérêts particuliers des États, et soulignait les diverses forces philosophiques, idéologiques, religieuses et humaines, ainsi que les solidarités internationales, qui meuvent, tout aussi profondément, les évolutions sociales et juridiques.

Loin de prétendre fournir une « théorie générale » du droit international, Émile Giraud insistait plutôt sur les limites du droit et du rôle des juristes. À ses yeux, l’apport d’autres savoirs, en particulier la science politique, et la confrontation directe aux pouvoirs politiques et à la pratique des organisations internationales étaient indispensables pour éviter les dangers du « juridisme », l’importance exagérée accordée au droit et l’isolement dans celui-ci. Outre ses travaux sur des questions fondamentales du droit international, on retiendra donc aussi des écrits d’Émile Giraud une réflexion distanciée, marquée certainement par l’expérience singulière qu’il en a eue, sur ce qu’être un « internationaliste » veut dire.

 

 

Antoine OLLIVIER
 
Juriste et Assistant spécial du Greffier
de la Cour internationale de Justice

 

 

Sources : Ch. Rousseau, « Émile Giraud (1894-1965) », RGDIP, 1965, pp. 305-313 (article mis en ligne avec l’aimable autorisation des Éditions A. Pedone) ; id., Ann. IDI, vol. 51-II, 1965, pp. 365-367 ; ; « Notice biographique », RCADI, vol. 110, 1963 (III), pp. 421-422 ; G. Dehove, « Préface », in Études à la mémoire du professeur Émile Giraud, Annales de la faculté de droit et des sciences économiques de Lille, 1966, pp. 5-12 ; R. Kolb, Les cours généraux de droit international public de l’Académie de La Haye, Bruylant, 2003, pp. 402-403. V. aussi E. Giraud, La nullité de la politique internationale des grandes démocraties (1919-1939), Paris, Sirey, 1949, not. « Préface », pp. vii-xvi, et « Annexe », pp. 267-273 ; V.-Y. Ghebali, La France en guerre et les organisations internationales – 1939-1945, Paris/La Haye, Mouton, 1965 ; V.-Y. Ghebali (†), R. Kolb (dir.), Organisation internationale et guerre mondiale, Bruylant, 2013.

 

BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE

 

Ouvrages 

La crise de la démocratie et le renforcement du pouvoir exécutif, Paris, Sirey, 1938

Le pouvoir exécutif dans les démocraties d’Europe et d’Amérique, Paris, Sirey, 1938

La nullité de la politique internationale des grandes démocraties (1919-1939), Paris, Sirey, 1949

 

Cours à l’Académie de droit international

« La théorie de la légitime défense », RCADI, vol. 49, 1934 (III), pp. 688-865

« Le Secrétariat des institutions internationales », RCADI, vol. 79, 1951 (II), pp. 369-509

« La révision de la Charte des Nations Unies », RCADI, vol. 90, 1956 (II), pp. 307-467

« Le droit international et la politique », RCADI, vol. 110, 1963 (III), pp. 419-809

 

Rapports à l’Institut de droit international

« Modification et terminaison des traités collectifs », Annuaire de l’Institut de droit international, vol. 49, 1961 (I), pp. 5-155 et 157-222

 

Articles

« De la valeur et des rapports des notions de droit et de politique dans l’ordre international », RGDIP, 1922, pp. 473-514

« Étude sur la notion de pouvoir discrétionnaire », Revue générale d’administration, 1924, pp. 193-212 et pp. 298-320

« Le droit des nationalités, sa valeur, son application », RGDIP, 1924, pp. 17-71

« La Société des Nations, l’expérience de vingt ans », RGDIP, 1940, pp. 45-65

« Les conditions politiques et techniques de la sécurité collective, l’expérience de l’entre-deux guerres », RGDIP, 1949, pp. 162-184 (article mis en ligne avec l’aimable autorisation des Éditions A. Pedone)

« Le rejet de l’idée de souveraineté, l’aspect juridique et l’aspect politique de la question », in La technique et les principes du droit public. Études en l’honneur de Georges Scelle, Paris, 1950, LGDJ, t. I, pp. 253-266 (article mis en ligne avec l’aimable autorisation des Éditions Lextenso)

« De l’intérêt des études relatives à une révision de la Charte des Nations Unies qui probablement n’aura pas lieu », RGDIP, 1955, pp. 246-269 (article mis en ligne avec l’aimable autorisation des Éditions A. Pedone)

« La notion de temps dans les relations internationales et le droit international », in Scritti di diritto internazionale in onore di Tomaso Perassi, Milan, Giuffré, 1957, t. I, pp. 461-486

« Le droit positif dans ses rapports avec la philosophie et la politique », in Hommage d’une génération de juristes au président Basdevant, Paris, Pedone, 1960, pp. 210-236 (article mis en ligne avec l’aimable autorisation des Éditions A. Pedone)

« Le développement des relations internationales et la régression du droit international depuis le début du XXe siècle », in Internationalrecthliche und Staatsrechtliche Abhandlungen. Festschrift für Walter Schätzel, Düsseldorf, Hermes, 1960, pp. 201-223

« Les déformations professionnelles des professeurs de droit », in Mélanges Séfériadès, Athènes, 1961, Vol. I, pp. 267-286

« L’interdiction du recours à la force, la théorie et la pratique des Nations Unies », RGDIP, 1963, pp. 501-544 -544 (article mis en ligne avec l’aimable autorisation des Éditions A. Pedone)

 

Livre d’hommage

Études à la mémoire du professeur Émile Giraud, Annales de la faculté de droit et des sciences économiques de Lille, 1966, 438 p.