HUBER

MAX HUBER

(1874-1960)

 

Max Huber compte, avec Emer de Vattel, parmi les plus insignes internationalistes suisses. Si son prédécesseur a contribué à l’émergence doctrinale du droit international classique, Max Huber a indéniablement œuvré à la systématisation doctrinale moderne de la matière, par son goût de la clarification des questions de principe et la quête constante d’une taxinomie épistémologique adaptée à cette science juridique.

Ce penchant pour la systématisation, qui ressort clairement des célèbres sentences arbitrales auxquelles est indissolublement lié son nom, s’est progressivement développé au fil d’une carrière extrêmement diversifiée et qui a conduit Max Huber à devenir tour à tour professeur des universités, négociateur, juge puis président de la Cour permanente de Justice internationale et, enfin, président de la Croix-Rouge.

Un parcours original

Né le 28 décembre 1874 à Zurich, il fait son droit entre l’Université de Lausanne et celle de sa ville natale entre 1893 et 1897, avant de clore summa cum laude son parcours universitaire par la discussion d’une thèse de doctorat auprès de l’Université de Berlin en 1898, portant sur la question de la succession d’Etats au XIXe siècle.

Sa brève permanence de deux ans à la Fédération suisse du commerce et de l’industrie, l’actuelle Economiesuisse, le mena à s’intéresser au rôle joué par le commerce international dans les relations interétatiques et à décider d’entreprendre un long voyage entre 1900 et 1901 en vue d’explorer tous les Etats qui n’avaient pas encore été atteints par les exportations suisses. La rencontre des représentants des gouvernements et des plus grandes entreprises asiatiques et australiennes influence fortement sa façon de concevoir les relations internationales et porte en germe la conception d’un droit international en tant que Machtrecht.

Lors de son séjour à Shanghai en 1901, Max Huber se voit proposer une chaire de droit public auprès de l’Université de Zurich dont il assume la charge l’année suivante. S’ouvrent ainsi deux décades où Max Huber se dédie à l’enseignement universitaire et pendant lesquelles il élabore sa vision sociologique du droit international, résumée dans un article de 1910 intitulé « Contributions à la connaissance des fondements sociologiques du droit international et de la communauté des Etats » (« Beiträge zur Kenntnis der soziologischen Grundlagen des Völkerrechts und der Staatengemeinschaft », Jahrbuch des öffentlichen Rechts, vol. IV, 1910, pp. 56-134).

Renouveau épistémologique

Une telle analyse des facteurs socio-psychologiques qui sous-tendent le développement du droit international est tributaire de l’influence intellectuelle de l’approche sociologique du droit de Jhering et Tönnies ainsi que de la Genossenschaftstheorie d’Otto von Gierke, dont il transpose et adapte les théories à l’ordre supranational. Ainsi, pour Huber le fondement du droit des gens n’est pas à rechercher dans la volonté concordante des États mais bien plus dans l’existence d’un intérêt collectif quant au caractère obligatoire de la norme. Ce renouveau épistémologique sera à la base de la naissance d’une école doctrinale, dont vont notamment se réclamer successeurs Dietrich Schindler Sr et Daniel Thürer.

Un tel point de vue pluridisciplinaire, dénonçant les limites du positivisme et du dogmatisme juridiques dominant la doctrine de son temps, est empreint de l’expérience de diplomate et négociateur effectuée par le jeune professeur lors de la deuxième Conférence de Paix de la Haye en 1907 où il se fait remarquer par son engagement en vue de la création d’une juridiction internationale permanente et, tout particulièrement, par la proposition du mécanisme de ce qui deviendra la clause facultative de juridiction obligatoire.

Après avoir fondé en 1914 la Société suisse pour le droit international dont il devient le premier président, il est la même année consultant juridique de l’armée suisse et du ministère des affaires étrangères, fonctions qui lui permettent de consolider la neutralité suisse.

Activités prétoriennes

A compter des années 1920, la carrière de Max Huber s’éloigna progressivement du monde académique et diplomatique au profit d’un engagement juridictionnel croissant. Nommé arbitre dans le cadre de plusieurs procédures devant la Cour permanente d’arbitrage, Huber est élu juge à la Cour permanente de Justice internationale entre 1922 et 1930, juridiction dont il assure la présidence entre 1925 et 1927.

Cette décade d’activité prétorienne constitue le moment d’accès à la plus grande notoriété du juriste suisse. L’attention portée par Huber à la solution des questions de principe posées par les différentes affaires qui lui sont soumises a fait de ses sentences de véritables ouvrages didactiques, posant les fondements épistémiques d’une kyrielle de problèmes juridiques qui demeuraient irrésolus : c’est le cas de l’auto-détermination des peuples dans la sentence Aaland de 1920, de la responsabilité internationale en ce qui concerne la sentence Réclamations britanniques dans la zone espagnole du Maroc de 1925 ‎ mais surtout de la souveraineté dans l’affaire Île de Palmas de 1928.

En tant que juge à la CPJI, Huber continue à la Cour le dessin de clarification entrepris en tant qu’arbitre. Cette période est marquée par un fort lien d’affinité intellectuelle qui le lie à l’internationaliste italien Dionisio Anzilotti, avec lequel il signe l’opinion dissidente dans l’affaire Wimbledon et qui lui succède à la présidence.

L’influence du juge suisse s’impose non seulement lorsque son vote de président sera décisif (comme ce fut le cas dans l’affaire du Lotus) mais déjà depuis l’avis consultatif dans l’affaire Jaworzina, rédigé principalement par Huber, dans laquelle il théorise la prééminence des modes de règlement diplomatiques en tant que résolution de droit commun des litiges internationaux, tout comme lors de l’affaire dite Mossoul où le président façonne une réflexion d’ensemble sur les techniques d’interprétation des traités.

Président du CICR

La dernière étape de ce cursus honorum est constituée par la présidence du Comité international de la Croix Rouge que Max Huber assume de 1928 à 1946. Il y procède à une refonte institutionnelle, continuée par son successeur et disciple Jean Pictet, pendant laquelle l’organisation sera honorée du Prix Nobel pour la paix (1944). C’est lors de cette période que se concentrent ses publications en langue française, paraissant essentiellement à la Revue internationale de la Croix Rouge et concernant les liaisons entre cette institution et l’évolution du droit international.

En 1947, Max Huber prend sa retraite et se dédie à la recherche dans sa résidence zurichoise. Ces dernières années, marquées du sceau d’une profonde redécouverte de la foi et du rapprochement de l’Église protestante de sa ville, donneront lieu à des essais sur l’éthique des relations internationales, dernières œuvres avant sa mort, survenue le 1er janvier 1960.

 

Edoardo STOPPIONI   Doctorant contractuel à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

 

Sources : J. Delbrück, « Max Huber’s Sociological Approach to International Law Revisited », EJIL, vol. 18, n. 1, 2007, pp. 97-113 ; O. Diggelmann, « Max Huber », in B. Fassbender / A. Peters (ed.), The Oxford Handbook of the History of International Law, Oxford, OUP, 2012, p. 1156-1161 ; O. Diggelmann, Anfäange der Völkerrechtssoziologie – Die Völkerrechtskonzeptionen von Max Huber und Georges Scelle im Vergleich, Zurich, Schulthness, 2000 ; E. Jouannet,  Emer de Vattel et l’émergence doctrinale du droit international classique, Paris, Pedone, 1998, 490 p. ; J. Klabbers, « The Sociological Jurisprudence of Max Huber : An Introduction », Austrian Journal of International Law, vol. 43, 1992, pp. 197-213 ; M. Koskenniemi, The Gentle Civilizer of Nations, Cambridge, CUP, 2004, notamment p. 227 ; Y. Sandoz, « Max Huber and the Red Cross », EJIL, vol. 18, n. 1, 2007, pp. 171-197 ; D. Schindler, « Max Huber – His Life », EJIL, vol. 18, n. 1, 2007, pp. 81-95  ; O. Spiermann, « Judge Max Huber at the Permanent Court of International Justice », EJIL, vol. 18, n. 1, 2007, pp. 115-133 ; D. Thürer, « Max Huber : A Portait in Outline », EJIL, vol. 18, n. 1, 2007, pp. 69-80.

 

BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE (en langue française)

 

Ouvrage

La pensée et l’action de la Croix-Rouge, Genève, Comité international de la Croix-Rouge, 1954

 

Articles

« La Croix-Rouge et l’évolution récente du droit international », Revue internationale de la Croix-Rouge et Bulletin international des Sociétés de la Croix-Rouge, vol. 11, 1929,  pp. 8-18

« Principes, tâches et problèmes de la Croix-Rouge dans le droit des gens », Revue internationale de la Croix-Rouge et Bulletin international des Sociétés de la Croix-Rouge, vol. 26, 1944, pp. 790-812

« Localités et zones sanitaires, localités et zones de sécurité », Revue internationale de la Croix-Rouge et Bulletin international des Sociétés de la Croix-Rouge, vol. 26, 1944,  pp. 345-349

« La fin des hostilités et les tâches futures de la Croix-Rouge », Revue internationale de la Croix-Rouge et Bulletin international des Sociétés de la Croix-Rouge, vol. 27, 1945, pp. 657-662

« Principes d’action et fondements de l’œuvre du Comité international de la Croix-Rouge 1939–1946 », Revue internationale de la Croix-Rouge et Bulletin international des Sociétés de la Croix-Rouge, vol. 29, 1947,  pp. 45-80

« Le droit des gens et l’humanité », Revue internationale de la Croix-Rouge et Bulletin international des Sociétés de la Croix-Rouge, vol. 34, 1952, pp. 646-669

« L’idée de la Croix-Rouge », Revue internationale de la Croix-Rouge et Bulletin international des Sociétés de la Croix-Rouge, vol. 35, 1953, pp. 362-376

« Quelques considérations sur une revision éventuelle des Conventions de La Haye relatives à la guerre », Revue internationale de la Croix-Rouge et Bulletin international des Sociétés de la Croix-Rouge, vol. 37, 1955, pp. 417-433

« Henry Dunant », Revue internationale de la Croix-Rouge et Bulletin international des Sociétés de la Croix-Rouge, vol. 41, 1959, pp. 167-173

 

Rapport à l’IDI

Étude des amendements à apporter au Statut de la Cour internationale de justice (rapporteur M. Max Huber), Institut de droit international, session d’Aix-en-Provence, 1954

 

Hommage

Vom Krieg und vom Frieden; Festschrift der Universität Zürich zum siebzigsten Geburtstag von Max Huber, Zürich, Schulthess, 1944