MOURGEON

Photo : Etudes offertes à Jacques Mourgeon (Bruylant)

JACQUES MOURGEON

(1938-2005)

 

Jacques Henri Pierre Mourgeon est né à Bergerac, le 7 juillet 1938. Scolarisé dans un établissement privé mixte et international, il se fait remarquer par la qualité de ses travaux et son goût pour les écrits des maîtres de la pensée politique. A la sortie de son cursus scolaire en 1956, il s’inscrit à l’Institut d’études politiques de Paris ainsi qu’à la Faculté de droit de Paris, avant de poursuivre ses études à la Faculté de droit de Toulouse, où il brille avec l’obtention de quelques prix aux concours de la Faculté ainsi qu’aux concours généraux de droit privé (1959) et de droit public (1961).

Une carrière universitaire toulousaine

La carrière de Jacques Mourgeon s’est presque exclusivement déroulée à Toulouse. Il fut certes assistant à la Faculté de droit de Paris, d’octobre 1963 à décembre 1966, auprès de Suzanne Bastid et de Jean Rivero. Mais à l’issue du concours d’agrégation de droit public (promotion 1966), où il fut admis second (derrière Jean-Pierre Cot), Mourgeon est nommé à l’Université de Toulouse en tant que maître de conférences agrégé de droit public. Il sera détaché à sa demande à l’Université d’Abidjan (1966-1969), puis enseignera à Toulouse, jusqu’à sa retraite en 1996, divers cours magistraux, allant des traditionnels cours de droit administratif en deuxième année aux cours de libertés publiques, en passant par la philosophie politique, la théorie de l’Etat et le droit international public – à l’initiative de Charles Chaumont, il exerça par ailleurs les fonctions de directeur des études à l’Académie de droit international de la Haye lors des sessions de 1966 et 1967. A cela, il faut ajouter la direction de plusieurs thèses (la plupart en droit administratif) et auditions de plus de 170 leçons préparatoires au concours d’agrégation.

Oscillation entre droit administratif et droit international public

La première partie de la vie universitaire de Mourgeon fut marquée par le droit administratif. A l’image de Prosper Weil, il fut un brillant administrativiste, auteur d’une thèse magistrale sur La répression administrative, sous la direction d’Olivier Dupeyroux, qui propose une conceptualisation novatrice de la question des sanctions administratives. Rigueur, originalité et ambition caractérisent cette thèse immédiatement devenue un « classique » (M. Letourneur).

Par ailleurs, Mourgeon a consacré une partie de ses travaux de recherche au droit international public. En particulier, la thématique des droits de l’Homme dans l’ordre juridique international a retenu son attention, comme l’attestent plusieurs de ses contributions à l’Annuaire français de droit international. Deux d’entre elles furent notamment consacrées aux pactes onusiens de 1966, grâce auxquels, selon lui, « l’affirmation internationale des droits a cessé d’être balbutiante pour être abondante et nette ». D’autres études de Mourgeon ont porté sur les réunions du Conseil de sécurité ou de l’Assemblée générale des Nations Unies, ou encore sur l’intervention internationale à titre humanitaire (étude au Journal de droit international qui sera sélectionnée, aux côtés de travaux de Virally, Scelle ou Pillet, pour figurer au sein du recueil « Un siècle d’études du droit international au Clunet »). Il y écrit que le problème de l’intervention internationale à titre humanitaire est une préoccupation complexe aux racines anciennes qui nécessité une approche juridique, « trop négligée dans les débats » de l’époque. Si les solutions juridiques peuvent s’avérer « décevantes ou irritantes de par leur parcimonie », elles auront néanmoins le « mérite d’exister ». Parallèlement, Mourgeon a contribué pendant plusieurs années aux diverses chroniques bibliographiques de l’Annuaire français de droit international et du Journal du droit international.

En mai 1974, sa faculté de Toulouse a accueilli le 8ème colloque de la SFDI, organisé par Mourgeon, sur la thématique des « Méthodes et techniques actuelles d’élaboration du droit international public ». Son rapport introductif sur les conditions d’élaboration du droit international public expose avec acuité les mutations des techniques d’élaboration du droit international en reprenant la classification théorique formulée par le doyen Gény entre le donné et le construit. Il s’interroge ainsi sur l’influence de la technique juridique sur l’existence et la substance de la règle de droit international.

Une réflexion sur les droits de l’Homme

La question des droits de l’Homme et des libertés publiques a toujours constitué une thématique privilégiée dans les écrits de Mourgeon. En témoigne son célèbre Que sais-je ? sur les Droits de l’Homme, réédité 8 fois. Dépassant la simple analyse juridique, Mourgeon porte une réflexion générale sur les droits de l’Homme. Sa pensée converge autour de la dialectique entre le Pouvoir et la Liberté, qui inspirera d’ailleurs l’intitulé du recueil d’études qui sera publié en son hommage. La relation entre ces deux concepts est décrite par Mourgeon comme étant un « vaste problème humain, lancinant et insoluble ». Avec Mourgeon, le besoin de « liberté » et le besoin de « pouvoir » constituent les composantes principales « du politique [unies dans] un antagonisme permanent ». « La toxicité du pouvoir se heurte à la résistance de la liberté », tel était la ritournelle de ses écrits, exprimée en particulier dans son Que sais-je ?

A l’occasion du 50ème anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’Homme, Jacques Mourgeon prit l’attache de la SFDI, pour créer un prix annuel intitulé « Prix des droits de l’homme de la Société française pour le droit international », destiné à « couronner un travail de nature scientifique, à caractère juridique consacré à la connaissance ou au progrès des droits de l’homme », qu’il envisageait de doter personnellement d’un capital important assurant sa pérennité. Le Conseil de la SFDI accueillit aussitôt avec gratitude le geste aussi généreux que discret de Jacques Mourgeon.  En 2005, année de sa disparition, l’Assemblée générale de la SFDI réunie à Rennes décida de rendre hommage à Mourgeon en donnant son nom au Prix des droits de l’homme.

Comme le relève Paul Tavernier, « Jacques Mourgeon […] a pensé les droits de l’Homme, mais il n’a pas laissé de doctrine toute faite. Il a eu toutefois le grand mérite d’attirer l’attention sur le caractère à la fois ‘subversif’ et ‘fondateur’ du combat pour les droits de l’Homme face à la toute-puissance du Pouvoir ».

 

Seyon KANAGASOORIAR  

Doctorant à l’Université Paris Nanterre (CEDIN)

Sources : « Portions d’une autobiographie en distanciation », in Pouvoir et liberté. Etudes offertes à Jacques Mourgeon, Bruylant, Bruxelles, 1998, pp. XV-XVII (reproduit avec l’aimable autorisation des Editions Bruylant) ; P. Tavernier, « Hommage – Jacques Mourgeon, penseur des droits de l’Homme (1938-2005) », Droits fondamentaux, n°4, 2004, pp. 5-7 ; J.-G. Sorbara, « Toulouse et le droit administratif enseigné après Hauriou », in M. Amilhat et M. Touzeil-Divina (dir.), Toulouse par le droit administratif, Paris, Epitoge, 2020, pp. 81-90 ; G. Cohen-Jonathan, « Société française pour le droit international- Colloque de Toulouse – Mai 1974 », AFDI, vol. 20, 1974, pp. 1324-1326 ; M. Letourneur, « Note bibliographique – J. Mourgeon, La répression administrative », Revue internationale de droit comparé, vol. 20, n° 2, 1968, p. 424 ; E. Decaux, « Société française pour le droit international », AFDI, vol. 43, 1997, pp. 1224-1228.

 

 BIBLIOGRAPHIE SELECTIVE

  

Ouvrages

La répression administrative, thèse de doctorat, Droit, Toulouse, Paris, LGDJ, 1967, 646 p.

Les libertés publiques, coll. Mémentos Thémis, Paris, PUF, 1979, 160 p.

Les droits de l’Homme, coll. Que sais-je ?, 8e éd., Paris, PUF, 2003, 127 p.

 

Articles

« Les pactes internationaux relatifs aux droits de l’homme », AFDI, vol. 13, 1967, pp. 326-363

« Les réunions du Conseil de Sécurité hors du siège », AFDI, vol. 19, 1973, pp. 564-578

« Rapport introductif : Conditions actuelles de l’élaboration du droit international public», in SFDI, L’élaboration du droit international public, Colloque de Toulouse, Paris, Pedone, 1975, pp. 1-9 (article mis en ligne avec l’aimable autorisation des Editions A. Pedone)

« L’entrée en vigueur des pactes internationaux relatifs aux droits de l’homme », AFDI, vol. 22, 1976, pp. 290-304

« La Conférence de Belgrade et les droits de l’homme », AFDI, vol. 24, 1978, pp. 265-274

« Les sessions peu ordinaires de l’Assemblée générale des Nations Unies », AFDI, vol. 25, 1979, pp. 491-500

« Développement et droits de l’homme », in Y. DAUDET (dir.), Aspect des Nations Unies dans le cadre de l’idée d’un nouvel ordre mondial, Paris, Pedone, 1992, pp. 177-188 (article mis en ligne avec l’aimable autorisation des Editions A. Pedone)

« Article 1 du Protocole n°4 », in L.-E. PETTITI, E. DECAUX et P.-H. IMBERT (dir.), La Convention européenne des droits de l’homme, commentaire article par article, Paris, Economica, 1999, pp. 1041-1043 (article mis en ligne avec l’aimable autorisation des éditions Economica)

« Article 2 du Protocole n°4 », L.-E. PETTITI, E. DECAUX et P.-H. IMBERT (dir.), La Convention européenne des droits de l’homme, commentaire article par article, Paris, Economica, 1999, pp. 1043-1053 (article mis en ligne avec l’aimable autorisation des éditions Economica)

« L’intervention internationale à titre humanitaire », JDI, 1994, pp. 643-652 (également in Un siècle d’étude du droit international : choix d’articles parus au Clunet (1874-2000), Paris, Litec, 2006, pp. 111-127)

 

Hommage

Pouvoir et liberté. Etudes offertes à Jacques Mourgeon, Bruylant, Bruxelles, 1998, XXVII-703 p.

Prix Jacques-Mourgeon de la Société française pour le droit international