PILLET

Photo : Académie de droit international de La Haye. Avec l’aimable autorisation du Secrétaire général

ANTOINE PILLET

(1857-1926)

 

Antoine Pillet est né à Chambéry (Savoie) le 29 juillet 1857 et c’est dans cette même ville qu’il est décédé le 06 décembre 1926.

Il fait ses études de droit à la Faculté de Grenoble. Il est agrégé en 1884. Il débute sa carrière de professeur à l’École de droit d’Alger de 1884 à 1886 puis revient enseigner à la Faculté de Grenoble jusqu’en 1896, date à laquelle il est appelé à Paris. Il y est titulaire de la Chaire d’histoire des traités et doit attendre 1924 avant d’accéder à la Chaire de droit international privé de licence et de doctorat qu’il convoitait.

Ainsi que La Pradelle l’a relevé, Antoine Pillet était un « internationaliste complet », « de ceux qui, rares, prennent également les deux aspects, public et privé, du droit international ».

Un regard critique sur le droit international public

Le droit international public, discipline devenue obligatoire en licence depuis la réforme du 24 juillet 1889, occupe une place importante dans la première partie de la carrière de Pillet. Il attire sur lui l’attention grâce au succès des conférences faites aux officiers de la garnison de Grenoble pendant l’année 1891-1892 sur le droit de la guerre. La publication de ce premier ouvrage en amène d’autres sur le même sujet, notamment en 1898 sous le titre Les lois actuelles de la guerre. Pourtant, à partir de cette époque, cet esprit tranché et indépendant s’éloigne de la communauté des jurisconsultes réunis autour du maître de l’Ecole française, Louis Renault. Antoine Pillet dans plusieurs articles montre en effet une défiance absolue à l’égard des deux Conférences de La Haye sur la paix de 1899 et de 1907, auxquelles il reproche « d’avoir séparé la rénovation du droit international du remaniement de la carte du monde ». Il a une attitude tout aussi critique et pessimiste en 1920 à l’égard de la Société des Nations, exprimée à l’occasion d’un petit volume intitulé Le traité de paix de Versailles dans lequel il qualifie cette institution naissante d’illusoire et de néant. Antoine Pillet ne croit pas à la vertu des traités : « il voit, dans les conventions internationales, un marché, d’objet défini, mais non pas un règlement de vie, un principe de conduite » (La Pradelle).

Dès lors, son intérêt pour le droit international public décroît. Déjà en 1894, année de la création avec Paul Fauchille de la Revue générale de droit international public à l’appel de l’éditeur Auguste Pedone, il avait dans le premier article de la revue orienté ses propos vers l’aspect privé de la discipline du droit international. Dix ans après avoir fondé la revue, il en laisse la direction à Paul Fauchille et, sans abandonner ni le droit international public ni les collaborations avec la RGDIP, concentre son travail sur ce qui sera l’œuvre de sa vie : le droit international privé.

Un fondateur du droit international privé

De cette discipline il en sera le technicien. Antoine Pillet pense que dans cette matière essentiellement pratique, trop de points fondamentaux restent dans le vague. Son œuvre maitresse Principes de droit international privé paru en 1903 fait date. Au travers de quelques notions claires et simples, d’exemples tirés de la jurisprudence, il construit le droit international privé moderne. Il met en lumière la liaison profonde et nécessaire entre le droit international privé et le droit international public en s’attachant avant tout à l’idée de souveraineté. Qu’est ce qu’un conflit de lois si ce n’est la constatation que plusieurs souverainetés sont en présence ? Dans cet ouvrage Pillet dégage le critère du « but social » de la loi en coordonnant la territorialité et l’extra-territorialité des lois. Il poursuit la démonstration avec la publication en 1923 et 1924 du Traité pratique de droit international privé, deux volumes dans lequel il montre le lien qui unit la pratique et la théorie et tout le parti que l’on peut tirer de cette association.

Collaborateur du Journal du Droit international crée par Edouard Clunet, puis de la Revue de droit international privé fondée par Rolin-Jaeqemyns, Asser et Westlake, il expose des points de vue singuliers à propos d’affaires célèbres telles l’affaire des Père Chartreux dans laquelle il met en avant le principe du respect international des droits acquis, l’affaire des Ducs d’Arenberg ou encore la question du recours des ressortissants hongrois à la justice arbitrale mixte.

Professeur dans l’âme

Pillet a rejoint l’Institut de droit international en 1897 (en qualité de membre actif à partir de 1910), dont il devient vice-président en 1925 lors de la session de La Haye. En 1923, lors de la session de Bruxelles, il avait été rapporteur sur les règles générales sur l’autorité et l’exécution des jugements étrangers.

Antoine Pillet était surtout un professeur dans l’âme. Les années qu’il passa à la tête de la chaire d’histoire des traités à l’Université de Paris lui permirent de former de futurs grands internationalistes. Il se consacra pendant des années à la préparation des candidats au concours d’agrégation, dont il présida le jury en 1926 (droit public). A Paris comme à l’Université de Louvain, à l’Institut des hautes études internationales ou à l’Académie de La Haye où il enseigna, il avait acquis la réputation d’un professeur incomparable.

Antoine Pillet n’était pas attaché à la recherche des missions, des honneurs et des titres dont il fut toute sa vie éloigné. Jurisconsulte dans l’âme, il destinait ses réflexions aux esprits curieux ; imperméable aux critiques, il restera un précurseur qui a marqué un tournant dans l’histoire du droit international privé, apportant à cette science une méthode, des améliorations mais aussi une approche « nationaliste » que ses disciples, au premier rang desquels Niboyet, se sont employés à répandre.

 

Claudine MOUTARDIER  

Docteur en droit public

Ingénieur d’études

Université Paris 13, Sorbonne Paris Cité

 

Sources : A. de Lapradelle, « Antoine Pillet et le droit des gens », Revue de droit international, Tome 1, 1927, pp. 41-56 ; J.-P. Niboyet, « Antoine Pillet 1857-1926 », Revue de droit international et de législation comparée, 1927, Tome 8, pp. 23-32 ; J.-P. Niboyet, « Trois jurisconsultes : Antoine Pillet, André Weiss, Camille Jordan », Revue de droit international privé, tome 24, 1929, pp. 577-591

 

BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE

 

Ouvrages

Le droit de la guerre, Conférences faites aux officiers de la garnison de Grenoble, Partie I – Les hostilités, Paris, Rousseau, 1892, 304 p.

Le droit de la guerre, Conférences faites aux officiers de la garnison de Grenoble, Partie II – la guerre considérée dans les rapports des combattants avec les non combattants et les neutres, Paris, Rousseau, 1893, 411 p.

Les lois actuelles de la guerre, Paris, Rousseau,1898, 456 p.

Recherches sur les droits et les devoirs fondamentaux des États dans l’ordre des rapports internationaux et sur la résolution des conflits qu’ils font naître, Paris, Pedone, 1899, 112 p.

Principes de droit international privé, Paris, Pedone, 1903, 586 p.

Les conventions internationales relatives à la compétence judiciaire et à l’exécution des jugements, Paris, Sirey, 1913, 422 p.

Des personnes morales en droit international privé, Paris, Sirey, 1914, 434 p.

Les Conférences de La Haye du 29 juillet 1899 et du 18 octobre 1907. Étude juridique et critique, Paris, Pedone, 1918, 274 p.

De l’idée d’une Société des Nations, Paris, Rivière, 1919, 32 p.

Le Traité de paix de Versailles, Conférences faites au Collège libre des sciences sociales, Paris, Rivière, 1920, 112 p.

Manuel de droit international privé (en collaboration avec J.-P. Niboyet), 1ère éd.,1924,Paris, Sirey, 792 p.

Traité pratique de droit international privé, 2 volumes, Paris, Sirey, 1923-1924

 

Cours

« Théorie continentale des conflits de lois », RCADI, 1924, t. II, pp. 449-482

« La théorie générale des droits acquis », RCADI, 1925,t. VIII, pp. 489-536

 

Articles

« Le droit international privé comme considéré dans ses rapports avec le droit international public », Annales de l’Université de Grenoble, 1892, t.IV, pp. 309-369

« Le droit international privé, sa définition, son origine rationnelle, son domaine, ses conditions générales et son but », partie I in JDI, tome 20, 1893, pp. 5-24 ; partie II in JDI, tome 20, 1893, pp. 318-331

« Le droit international public. Ses éléments constitutifs, son domaine, son objet », RGDIP, t. 1,1894, pp. 1-32

« Essai d’un système général de solution des conflits de lois », partie I in JDI, tome 21, 1894, pp. 417-435 ; partie II in JDI, tome 21, 1894, pp. 711-754

« Des droits de la puissance protectrice sur l’administration intérieure de l’État protégé », RGDIP, 1895, t.III, pp.583-608

« Le droit international est-il une science inique et malfaisante ? », Revue du droit public et de la science politique en France et à l’étranger, 1904, t.XXI, pp. 449-454

« La cause de la paix et les deux conférences de La Haye », in Etudes, 20 mars 1908, pp. 751 et s. ; 20 mai 1908, pp. 502 et s. ; 20 juin 1908, pp. 721 et s.

« La marque des Chartreux et les prétentions du liquidateur devant les tribunaux étrangers », Revue de droit international privé, t. 3, 1907, pp. 525-536

« Du droit de révision dans l’instance en exequatur des jugements étrangers », Journal du droit international privé, t. 41, 1914, pp. 753-777

« La guerre actuelle et le droit des gens », RGDIP,1916, t. 23, pp. 5-31 et pp. 203-243

« Some observations on the private international law of the future », The Yale Law Journal, vol. 26, n° 8, juin 1917, pp. 631-644

« Force as an element of pacification », Columbia Law Review, vol. 20, n° 7, novembre 1920, pp. 741-748

« Affaires agrairesdesressortissantshongrois devant le Tribunal arbitral mixte roumano-hongrois », RGDIP, 1927, t. 34, pp. 1-19

 

Rapports, consultations

Rapport à l’IDI sur les « Règles générales sur l’autorité et l’exécution des jugements étrangers », Institut de droit international, Session de Bruxelles, Ann. IDI, 1923, pp. 173 et s

Lettre sur l’arbitrage adressée à M. Stead, secrétaire du Conseil général de la Croisade de la paix, Paris, Pedone, 1899

 

Hommage

Mélanges Antoine Pillet : reproduction de diverses études et notes de jurisprudence écrites, Recueil Sirey, 2. Vol, 1929