SCELLE

 Photo : Académie de droit international de La Haye. Avec l’aimable autorisation du Secrétaire général

 GEORGES SCELLE

(1878-1961)

 

Né en 1878 à Avranches en Normandie, Georges Scelles Scelle a suivi des études universitaires en droit (Faculté de Paris) ainsi qu’en sciences politiques (École libre de sciences politiques). Après avoir soutenu sa thèse sur L’histoire politique de la traite négrière aux Indes de Castille sous la direction d’Antoine Pillet, il occupe un poste de chargé d’enseignement, successivement à l’Université de Sofia, à la Faculté de Dijon et à celle de Lille, où il enseigne principalement le droit international public mais également le droit constitutionnel ainsi que le droit international privé. Agrégé en 1912, il sera professeur au sein de la Faculté de Dijon à partir de la même année et ce pendant vingt ans, puis professeur ordinaire à la Faculté de droit de l’Université de Genève et à l’Institut universitaire des hautes études internationales (de 1929 à 1933). Ce n’est qu’en 1933 qu’il sera élu à la Faculté de droit de Paris, malgré une première tentative avortée en 1925 à cause de la pression de certains étudiants, notamment ceux associés à l’Action Française, mais aussi de plusieurs de ses collègues. A la suite de suite à son élection, l’Université aurait même été fermée provisoirement (entre mars et avril 1925).

Objectivisme sociologique et dédoublement fonctionnel

Georges Scelle est mondialement connu comme le fondateur de la théorie de l’objectivisme sociologique en droit international. Reprenant les travaux de son maître à penser, Léon Duguit – sur la théorie objectiviste de l’État – ainsi que du sociologue Emile Durkheim, il applique leurs enseignements au droit international. Pour Scelle, les principaux sujets de droit international ne sont en aucun cas les États –  il récuse la souveraineté absolue des États, en raison des principaux maux au début du siècle qu’elle a suscités, à savoir le déclenchement de la Première Guerre mondiale –  mais les individus. Sa théorie a été développée dans l’ouvrage Précis du droit des gens publié lors de l’entre-deux-guerres, et ayant eu un retentissement allant au-delà de la sphère des juristes français. Pour Scelle, il n’existe pas de différence entre la société interne et la société internationale ainsi qu’entre les différentes branches du droit, faisant du monisme la règle de base et du droit international la norme supérieure. La théorie du « dédoublement fonctionnel » de l’État, qualifié de « trouvaille scellienne » (Santulli), constitue un des principaux piliers de sa doctrine et est toujours d’actualité au niveau du droit des organisations internationales. Selon cette dernière, les agents de l’État ont une double fonction tant au niveau interne qu’au niveau international et c’est à travers cette voie que se forme la norme internationale.

Bien qu’à certains égards la théorie scellienne semble contestable à l’heure actuelle, elle est révolutionnaire pour son époque, notamment en ce qui concerne l’individu en tant que sujet de droit international. Car, rappelons-le, Scelle a édité son ouvrage à une époque où la société internationale était régie et dominée par les États souverains. Sa théorie a eu un important retentissement en son temps. Elle continue de faire l’objet d’études et est souvent mentionnée notamment dans l’histoire et les grands courants du droit international à l’instar des écrits de Grotius, Triepel ou Kelsen. Par ailleurs, la théorie moniste de Scelle a influencé le système juridique français, notamment au moment de l’élaboration de la Constitution du 27 octobre 1946, dont le préambule prévoit en son alinéa 14 que « La République française, fidèle à ses traditions, se conforme aux règles du droit public international ».

L’apport de Georges Scelle à la science juridique ne saurait se résumer à sa contribution à la théorie du droit international et dans une certaine mesure au droit international des droits de l’homme. Il a en effet rédigé d’importants écrits sur le droit des organisations internationales notamment sur la Société des Nations ainsi que sur l’Union européenne. Des travaux qui sont importants puisqu’à cette époque la société internationale était beaucoup moins institutionnalisée qu’à l’heure actuelle. De plus, une partie de ses écrits ont également porté sur de grandes notions de droit international (comme par exemple le crime d’agression, la création des États, la reconnaissance des États, la légitime défense ou l’arbitrage), mais aussi sur le droit administratif et le droit ouvrier.

D’éminentes fonctions internationales

Parallèlement à sa carrière de juriste, ainsi que de militaire – il est successivement sous-lieutenant, officier mitrailleur, lieutenant et officier jurisconsulte lors de la Grande Guerre – Georges Scelle occupe d’importantes fonctions sur la scène internationale, avant même l’année de son agrégation et jusqu’en 1958, quelques années avant son décès. Ses fonctions au sein de la Société des Nations (il est membre à deux reprises de la délégation française aux sessions de l’Assemblée de la SdN) et plus tard au sein du système des Nations Unies et plus précisément au sein de la Commission du droit international (qu’il préside en 1950), ont occupé une grande partie de sa vie. Il en est de même pour l’Organisation internationale du travail depuis sa création où il est, entre autres, membre de la Commission de contrôle des conventions internationales de travail.  Pendant vingt ans, il est membre ainsi que vice-président du tribunal administratif de l’OIT ainsi que  de la Cour Permanente d’Arbitrage. Il plaide par ailleurs dans des affaires soumises à la Cour internationale de Justice (affaire du Droit d’asile ; affaire consultative concernant la Compétence de l’Assemblée générale pour l’admission d’un État aux Nations Unies. Scelle est aussi membre d’institutions prestigieuses comme l’Institut de droit international, l’Institut international de droit public et l’Académie de droit international de la Haye, dont il a été le secrétaire général de 1935 à 1958.

Un intellectuel engagé

Enfin, Georges Scelle est actif au niveau national tant sur le plan politique que juridique. Intellectuel et engagé – il s’intéresse particulièrement à la question ouvrière et publie souvent dans la presse de gauche –, il est le chef de cabinet du ministre du travail sous le gouvernement d’Edouard Herriot et participe à divers projets d’envergure nationale (comme par exemple la mise en place du Conseil national économique) et fait partie de divers mouvement associatifs (comme le Mouvement « la Paix par le droit », l’Association française pour la Société des Nations et l’Union internationale des Associations pour la Société des Nations). Par ailleurs, il est connu également pour ses positions hostiles envers les États violant le droit international (en particulier l’Italie de Mussolini lors de l’invasion de l’Éthiopie). On évoquera finalement sa simplicité, son charisme et son éloquence lors de ses cours et qui n’ont pas laissé indifférents ses étudiants et en particulier un de ses « élèves », René-Jean Dupuy.

 

Michel TABBAL

ATER à l’Université Paris 13, Sorbonne Paris Cité

Doctorant à l’Université Paris II Panthéon-Assas

 

Sources : G. Berlia, In memoriam, AFDI, 1960, pp. 3-5 ; R.-J. Dupuy, « Images de Georges Scelle », European Journal of International Law, 1990, vol. 1, pp. 235-239  ; M. Millet, « Scelle, Georges », in P. Arabeyre / J.-L. Halpérin / J. Krynen, Dictionnaire historique des juristes français, XIIe-XXe siècle, Paris, PUF, 2007, pp. 704-706 ; Ch. Rousseau « Georges Scelle (1878-1961) », RGDIP, 1961, pp. 5-19 ;  C. Santulli, « Scelle, Georges, Précis de droit des gens – Principes et systématique », in O. Cayla / J.-L. Halpérin, Dictionnaire des grandes œuvres juridiques, Paris, Dalloz, 2008, pp. 518-521 ; C. Santulli, Préface in G. Scelle, Précis de droit des gens – Principes et systématique, Paris, Dalloz, réed. 2008, pp. 3-5 ; A. Tanca, « Georges Scelle (1878-1961) Biographical note with bibliography », European Journal of International Law, 1990, vol. 1, pp. 240-249.

 

BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE

 

Ouvrages  

La morale des traités de paix, Paris, G. Cadet, 1920, 287 p.

Le Pacte des Nations et sa liaison avec les traités de paix, Paris, Sirey, 1920, 459 p.

Le droit ouvrier : tableau de la législation française actuelle, Paris, A. Colin, 1922, 210 p.

La Société des Nations, sa nécessité, son but, ses origines, son organisation, Paris, PUF, 1924 (2e éd.), 32 p.

Une crise de la Société des Nations : la réforme du Conseil et l’entrée de l’Allemagne à Genève (mars-septembre 1926), PUF, 1927, 254 p.

Précis de droit des gens – Principes et systématique t. I, Paris, Sirey, 1932, 312 p.

Précis de droit des gens – Principes et systématique, t. II, Paris, Sirey, 1934, 558 p.

Théorie juridique de la révision des traités, Paris, Sirey, 1936, 97 p.

Le sens international, Paris, PUF, 1942, 63 p.

Le fédéralisme européen et ses difficultés politiques, Nancy, Centre européen universitaire, 1952, 57 p.

 

Cours

« Règles générales du droit de la paix », RCADI, vol. 46, 1933, pp. 327-696

« Théorie et pratique de la fonction exécutive en droit international », RCADI, vol. 55, 1936. pp. 87-202

 

Articles

« Zouch », in Les Fondateurs du droit international, Paris, V. Giard & E. Brière, 1904, pp. 269-330 (rééd. Éditions Panthéon-Assas, Paris, 2014)

« L’admission des nouveaux membres de la Société des Nations par l’Assemblée de Genève », RGDIP, 1921, pp. 122-138

« Essai de systématique du droit international », RGDIP, 1923, pp. 116-142

« La politique internationale – La Société des Nations » in F. Buisson (dir.), La Vie publique dans la France contemporaine : conférences d’éducation politique et sociale, Paris, Alcan, 1925, pp. 141-159

« La réforme du Conseil de la Société des Nations », RGDIP, 1927, pp. 769-838

« Le problème de la Société des Nations », Année politique française et étrangère, 1928, pp. 369-419

« La doctrine de Léon Duguit et les fondements du droit des gens », Archives de philosophie du droit et de sociologie juridique, 1932, pp. 83-119

« Quelques réflexions sur une institution juridique primitive : la reconnaissance internationale » in Introduction à l’étude du droit comparé, Recueil d’études en l’honneur d’Edouard Lambert, Sirey, 1938, vol. II, pp. 123-131

« De la prétendue constitutionnalité interne des traités (À propos du traité sur la ‘Communauté européenne de défense’) », RDP, 1952, pp. 1012-1028 (article mis en ligne avec l’aimable autorisation des Éditions Lextenso)

« Quelques réflexions sur l’abolition de la compétence de guerre », RGDIP, 1954, pp. 5-22 (article mis en ligne avec l’aimable autorisation des Éditions A. Pedone)

« Plateau continental et droit international », RGDIP, 1955, pp. 5-62 (article mis en ligne avec l’aimable autorisation des Éditions A. Pedone)

« La nationalisation du Canal de Suez et le droit international », AFDI, 1956, pp. 3-19

« Critique de la théorie pure du droit de Kelsen », JDI, 1956, pp. 1062-1066

 

Rapports

Les accords de Locarno, Rapport présenté par M. Georges Scelle au XXXe Congrès universel de la paix, Locarno, septembre 1934

Théorie du gouvernement international, Rapport présenté par M. Georges Scelle à l’Institut international du droit public, 1934

Rapport préliminaire sur la révision des conventions générales, Annuaire de l’Institut de droit international, 1948,  pp. 1-51.

CDI :

Memorandum sur les Réserves aux conventions multilatérales, Ann. CDI, 1951

Memorandum sur La question de la définition de l’agression, Ann. CDI, 1951

Projet sur la procédure arbitrale adopté par la Commission à sa 5e session: rapport de Georges Scelle, Rapporteur spécial, Ann. CDI, 1958

 

Traduction

A. S. de Bustamente Y Sirven, La seconde Conférence de la paix réunie à La Haye en 1907, traduit de l’espagnol par G. Scelle, Paris, Sirey, 1909, 774 p.

 

Hommage

Ch. Apostolidis / H. Tourard (dir.), Actualité de Georges Scelle, Dijon, Ed. universitaires de Dijon, 2013, 180 p.

Ch. Rousseau (dir.), La technique et les principes du droit public. Études en l’honneur de Georges Scelle, LGDJ, 1950, 2 vol., 913 p.