KAECKENBEECK

Photo : Académie de droit international de La Haye. Avec l’aimable autorisation du Secrétaire général

GEORGES KAECKENBEECK

(1892-1973)

 

Georges Kaeckenbeeck fut un juriste, diplomate et juge international belge. S’il fut également actif comme universitaire et devint membre de l’Institut de droit international en 1956, il se distingua avant tout comme praticien engagé, pionnier de l’intégration supranationale.

Un juriste accompli, praticien précoce du droit international

Kaeckenbeeck bénéficia d’une formation juridique particulièrement riche. Né le 30 mai 1892 à Saint-Gilles, il entama ses études de droit en 1911 à l’Université libre de Bruxelles, où il fut l’élève de Maurice Bourquin. Mobilisé en 1914, tombé gravement malade, il fut transporté en Angleterre. Rétabli, il bénéficia d’une intervention de Lord Curzon, auquel il avait été recommandé par Bourquin et Charles De Visscher, pour entrer au Magdalen College de l’Université d’Oxford. Il y obtint successivement un bachelor of civil law (1916), puis un doctor of civil law (1921). Ce parcours ne fut sans doute pas étranger au fait que Kaeckenbeeck préféra toujours les solutions empiriques aux constructions théoriques abstraites.

Dès ses études, Kaeckenbeeck pratiqua le droit international. Nommé research scholar in international law entre 1916 et 1918, il rédigea ainsi, à la demande du Foreign Office, une étude sur les fleuves internationaux destinée aux délégués britanniques à la Conférence de Paris de 1919. Travaillant à titre bénévole pour le ministère des Affaires étrangères belge depuis 1917, il y fut nommé conseiller juridique adjoint en 1918.

Un acteur majeur du droit international de l’entre-deux-guerres

En juillet 1919, Kaeckenbeeck quitta le service de son pays natal pour rejoindre le Secrétariat de la SdN constitué à Londres. Membre de la Section juridique, il fit ainsi partie de la première génération de fonctionnaires internationaux. Il œuvra, entre autres, comme secrétaire de la Commission des juristes relative aux Îles d’Åland (1920) et conseiller juridique de différentes conférences internationales. Ce fut cependant sa présidence du comité de rédaction de la Conférence de Genève relative à la Haute-Silésie (1921-1922), où il fut remarqué pour ses capacités juridiques et linguistiques, qui lui permit de devenir un acteur majeur du droit international de l’entre-deux-guerres.

Signée à Genève le 15 mai 1922, la Convention germano-polonaise relative à la Haute-Silésie instaura dans ce bassin industriel, désormais partagé entre l’Allemagne et la Pologne, une forme d’intégration régionale provisoire. Pendant une période de 15 ans, celle-ci devait assurer la liberté de circulation des travailleurs et de certains biens, les droits acquis des particuliers et le droit de résidence des optants. Un Tribunal arbitral établi à Beuthen/Bytom, en Haute-Silésie allemande, fut chargé d’en garantir l’effectivité. À la demande des deux parties, le Conseil de la SdN en confia la présidence à Georges Kaeckenbeeck.

À 30 ans, Kaeckenbeeck se retrouva ainsi à la tête de la juridiction internationale la plus sophistiquée de son époque. Compétent pour juger de requêtes individuelles et pour répondre à des questions préjudicielles émanant de juridictions nationales, le Tribunal s’était également vu reconnaître le droit de créer des règles jurisprudentielles liant les autorités nationales. Sous l’impulsion de son président, le Tribunal utilisa pleinement ces outils : si, sur les 4 000 affaires qui lui furent soumises, il ne trancha que quatre questions préjudicielles, il se déclara compétent pour examiner les requêtes d’individus contre leur propre État, développa la technique des arrêts pilotes et interpréta sa compétence en matière de mesures provisoires comme lui permettant d’intervenir par téléphone pour arrêter une opération de police en cours. En revanche, désireux de concilier la protection des droits des individus avec l’indépendance politique des États, il donna une définition avant tout négative de la notion de droits acquis. Dans son cours de 1937 à l’Académie de droit international de La Haye, Kaeckenbeeck affirma en effet que cette notion était trop vaste pour servir de critère d’indemnisation, mais qu’elle constituait plutôt un principe général devant guider les autorités nationales et le juge international.

Un défenseur lucide de l’œuvre de la SdN

Rentré en Suisse pour liquider les affaires pendantes du Tribunal après l’expiration du régime conventionnel le 15 juillet 1937, Kaeckenbeeck devint professeur à l’Institut universitaire des Hautes Études internationales de Genève. Il profita cette activité pour faire le bilan – qu’il jugea globalement positif – de « l’expérience internationale de Haute-Silésie ». Rédigé en 1939, son compte-rendu ne fut publié qu’en 1942. Kaeckenbeeck avait alors déjà quitté la Suisse pour devenir jurisconsulte du gouvernement belge en exil et chef de la Commission interalliée pour la répression des crimes de guerre.

Bien qu’adepte d’un positivisme prudent, voire pessimiste, Kaeckenbeeck défendit l’œuvre de la SdN même après 1945. Ainsi, commentant la Charte de l’ONU dans son cours de 1947 à l’Académie de droit international, il souligna non seulement les éléments de continuité avec la SdN, mais critiqua également l’impact du réalisme politique sur la nouvelle organisation : voyant dans l’ONU « un instrument pour le maintien de l’ordre, plutôt qu’une association pour le maintien du droit », il reprocha à ses créateurs de s’être référés aux droits de l’homme sans avoir prévu, comme le suggérait pourtant la pratique de la SdN, des mécanismes internationaux pour en garantir le respect.

Un diplomate investi dans la reconstruction européenne

Dans l’après-guerre, l’activité de Georges Kaeckenbeeck alterna entre la diplomatie, la haute fonction publique et la justice internationales. Il dirigea d’abord le Service des Conférences de la paix et de l’Organisation internationale du ministère des Affaires étrangères belge – qui fut si étroitement associé à sa personne qu’on se référa, en interne, au « Service K » – et représenta la Belgique à différentes conférences internationales, à l’Assemblée générale de l’ONU et devant la CIJ. Entre 1949 et 1953, il put renouer en partie avec son expérience de l’entre-deux-guerres en tant que secrétaire général de l’Autorité internationale de la Ruhr. Regrettant que celle-ci ne fût pas dotée de pouvoirs supranationaux plus étendus, il salua la création de la CECA, dont la configuration institutionnelle et l’attachement au règlement juridictionnel portaient à ses yeux les germes d’un grand projet fédéral. De 1953 à 1959, il intégra à nouveau le ministère des Affaires étrangères belge. Entre 1954 et 1957, il présida le Special Advisory Board sur les licenciements des fonctionnaires de l’ONU – un poste sensible dans le contexte du maccarthysme. Membre de la CPA depuis 1946, Kaeckenbeeck fit partie du Tribunal d’arbitrage franco-allemand pour la Sarre entre 1957 et 1963. Ce furent là ses dernières fonctions officielles.

C’est à Territet, sur les bords du lac Léman, que Georges Kaeckenbeeck passa les dernières années de sa vie en compagnie de son épouse Josephine Tiffin, d’origine canadienne. Il y décéda le 6 mars 1973.

 

 

Michel ERPELDING
 
Docteur en droit public
Chargé de recherche à l’Institut Max Planck Luxembourg pour le droit procédural
 

 

Sources : Archives du Ministère des Affaires étrangères, Série SDN, n° 280 ; Conseil de la SDN, 18esession, 9eséance, 16 mai 1922, JOSDN, vol. 3 (1922), pp. 541-542 ; N. Berman, « ‘But the Alternative is Despair’ : European Nationalism and the Modernist Renewal of International Law », Harvard Law Review, vol. 106 (1993), pp. 1792-1903 ; P. De Visscher, « Georges Kaeckenbeeck (1892-1973) », Ann. IDI, vol. 55 (1973), pp. 889-890 ; V. Delcorps, « The Belgian Ministry of Foreign Affairs and the Challenge of Multilateralism (1944-60) », Revue belge d’histoire contemporaine / Belgisch tijdschrift voor nieuwste geschiedenis, vol. 44 (2014), pp. 8-35 ; F. Irurzun Montoro, « ¿La cuestión de interpretación ante el tribunal arbitral de la alta silesia (1922-1937) como antecedente de la cuestión prejudicial europea? », Revista Española de Derecho Europeo, vol. 63 (2017), pp. 13-45 ; G. Küchenhoff, « Erinnerungen an das Schiedsgericht für Oberschlesien »,in M. Abelein / O. Kimminich, Studien zum Staats- und Völkerrecht : Festschrift für Hermann Raschhofer, Kallmünz, Michael Laßleben, 1977, pp. 143-154 ; League of Nations Search Engine (LONSEA) ; F. Vanlangenhove, « Georges Kaeckenbeeck » (1892-1973) », in Académie Royale des Sciences, des Lettres et des Beaux-Arts de Belgique, Biographie nationale, vol. 40 : supplément, tome 12 (fascicule 1), Bruxelles, Bruylant, 1977, pp. 544-554

 

BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE

 

Ouvrages

International Rivers : A Monograph Based on Diplomatic Documents, Londres, Sweet & Maxwell, 1918, xxvi-255 p.

De la guerre à la paix, Genève / Paris, Naville et Cie / Sirey, 1940, 103 p.

Le règlement conventionnel des conséquences de remaniements territoriaux : Considérations suggérées par l’expérience de Haute-Silésie, Zurich, Éditions Polygraphiques, 1940, 67 p.

The International Experiment of Upper Silesia : A Study in the Working of the Upper Silesian Settlement, 1922-1937, Londres, OUP, 1942, XXXIX-867 p.

 

Cours

« La protection internationale des droits acquis », RCADI, vol. 59 (1937), pp. 317-418

« La Charte de San-Francisco dans ses rapports avec le droit international », RCADI, vol. 70 (1947), pp. 113-329

 

Articles

« British and other views on international law », Transactions of the Grotius Society, vol. 4 (1918), pp. 213-252

« The character and work of the Arbitral Tribunal of Upper Silesia »,  Transactions of the Grotius Society, vol. 21 (1935), pp. 27-44

« Upper Silesia under the League of Nations », Annals of the American Academy of Political and Social Science, vol. 243 (1946), pp. 129-133

« The International Authority for the Ruhr and the Schuman Plan », Transactions of the Grotius Society, vol. 37 (1951), pp. 4-22

 

Décisions du Tribunal arbitral pour la Haute-Silésie

Schiedsgericht für Oberschlesien / Trybunał Rozjemczy dla Górnego Śląska, Amtliche Sammlung von Entscheidungen des Schiedsgerichts für Oberschlesien, veröffentlicht gemäß der Bestimmung des Art. 592 des Genfer Abkommens vom 15. Mai 1922/ Zbiór urzędowy orzeczeń Trybunału-Rozjemczego dla Górnego Śląska ogłoszony wedle postanowienia art. 592 Konwencji Genewskiej z dnia 15 maja 1922 r, Berlin et Leipzig, Walter de Gruyter, 1930-1938, 7 vol.