LACHARRIÈRE

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GUY LADREIT DE LACHARRIÈRE

(1919-1987)

 

Guy Ladreit de Lacharrière est l’un des rares membres de cette Galerie des internationalistes à ne pas être un universitaire. Son œuvre n’en est pas moins abondante et les fonctions exercées par leur auteur lui confèrent une coloration singulière.

Un diplomate

À l’issue d’études brillantes (docteur en droit,  licencié es lettres, diplômé de l’École des sciences politiques de Paris, breveté de l’École des langues orientales vivantes, diplômé de l’Institut de droit comparé de Paris), Guy de Lacharrière est reçu major du concours du ministère des affaires étrangères (1946). Il débutera sa carrière auprès de l’ambassade de France à Moscou (1946-1948), pour exercer ensuite des fonctions variées au quai d’Orsay (chef du Bureau des organisations internationales et secrétaire général de la délégation de la France auprès de l’UNESCO, 1948-1952 ; chef adjoint du service de coopération économique, 1952-1957 ; directeur des affaires des Nations Unies, 1964-1969 ; directeur des affaires juridiques, 1969-1979). À l’exception de l’exercice des fonctions de directeur adjoint du département des sciences sociales de l’UNESCO (1952-1957), Lacharrière servira sans interruption le ministère des affaires étrangères avant d’être nommé conseiller d’État en service extraordinaire pour participer à la IIIème conférence des Nations Unies sur le droit de la mer (1979-1982).

Une œuvre marquée par les fonctions exercées

Ces fonctions ont façonné son œuvre. On peut suivre en miroir ses écrits et les évolutions de sa carrière, les uns renvoyant constamment aux autres. La première période de sa carrière le conduit à traiter principalement des questions de développement alors que dans un second temps c’est sur les questions de droit de la mer que se concentreront ses écrits. Ce rattachement d’une pensée juridique à une expérience de premier plan dans les sphères de négociation et d’application du droit international donne à son œuvre une saveur très particulière ; celle d’un ancrage dans le réel. L’importante contribution de Lacharrière aux questions de développement est marquée par sa participation aux travaux de la CNUCED ainsi qu’aux négociations organisées dans le prolongement du GATT. Ses très nombreuses publications consacrées au droit de la mer sont directement influencées par le rôle majeur qu’il joua lors de IIIème conférence des Nations Unies sur le droit de la mer. Le passage des problématiques de développement à celles du droit de la mer n’est pas marqué par une rupture, la variation de l’objet du droit ne modifiant en rien sa conception du droit international.

S’il en était besoin, l’unité de cette réflexion sera mise en lumière dans ce qui constitue la pièce maitresse de son œuvre : La politique juridique extérieure. Publié en 1983 cet ouvrage permet à l’auteur d’exposer comment les États déterminent leur politique à l’égard du droit international. « [s]i par ‘‘politique juridique extérieure’’ on entend une politique à l’égard du droit et non pas nécessairement déterminée par le droit, on observe très fréquemment des conduites gouvernementales qui relèvent d’une politique portant sur les aspects juridiques soit de l’ensemble des relations internationales, soit d’un secteur particulier de celles-ci » (La politique juridique extérieure, p. 5). Si Lacharrière est incontestablement volontariste, cet attachement ne résulte pas d’un dogmatisme doctrinal, mais du constat, comme le rappelle G. Cottereau que « si les États sont souverains, on ne peut pas faire comme s’ils ne l’étaient pas » (Mélanges, p. 184). Les plus hautes fonctions occupées par l’auteur font de cet ouvrage un témoignage presque inédit de la manière dont se fait le droit international et surtout dont les États déterminent leur position vis-à-vis de ses règles. La démarche consistant, pour un acteur de premier plan de la vie internationale, à présenter le droit tel qu’il est et non tel que l’on voudrait qu’il soit, explique la permanence du rayonnement de l’ouvrage.

Cynisme et optimisme

Le regard que porte Lacharrière sur la société internationale peut l’exposer à des accusations de cynisme tant l’intérêt de l’État domine la démonstration. C’est spécialement le cas si l’on isole quelques développements de l’ensemble de sa démonstration. L’auteur ne rejette pas totalement ces accusations. Ce cynisme fait partie des relations internationales, il ne peut donc être ignoré. Il relève ainsi qu’au cours de la IIIème conférence des Nations Unies sur le droit de la mer « les liens entre positions juridiques et intérêts nationaux ont été […] d’une netteté, d’une transparence, voire d’un cynisme rarement rencontrés » (« Conclusions générales », SFDI, Perspectives du droit de la mer …, p. 336).

Privilégiant toujours le possible au désirable, son approche a pu être contestée. Mais le tableau n’est pas aussi sombre que pourrait le laisser croire quelques formules isolées tirées de son œuvre. Le droit international existe, il est le produit de la volonté étatique, et constitue un point de repère de toute action de l’État. Si le discours tranche avec un certain idéalisme parfois présent au sein de la doctrine internationaliste, celui n’en tire pas moins des conclusions résolument optimistes sur le rôle qu’est amené à jouer le droit international pour organiser la société internationale.

Pratique et enseignement

Lacharrière a défendu les intérêts de la France dans diverses procédures arbitrales (Plateau continental France – Royaume-Uni, 1977-1978 ; Accord aérien franco-américain, 1978) et pour toutes les affaires intéressant la France devant la CJCE (1969-1979). Sa riche expérience le conduisit à être élu juge puis vice-président de la Cour internationale de justice. L’éloge funèbre prononcé par le juge Bedjaoui le 6 mai 1987 (Mélanges, p. xvii-xxi) marque le très profond attachement de Lacharrière à la Cour et l’influence qu’il a pu exercer en son sein malgré la brièveté de son mandat (1982-1987). Au cours de celui-ci, Lacharrière a participé à cinq arrêts et deux avis consultatifs, faisant toujours partie de la majorité.

Ses expériences multiples ne l’écartèrent jamais du monde académique. Ses écrits ainsi que ses nombreux enseignements permirent la diffusion de sa pensée (IEP Paris, 1954-1962 et 1966-1982 ; ÉNA, 1979-1981 ; IHEI, Paris, 1976, 1981 ; Académie de droit international de La Haye, 1973). Vice-président de la SFDI, il participa à un grand nombre de ses activités scientifiques.

La mise au service d’une œuvre doctrinale de la riche expérience de Lacharrière en tant que diplomate, jurisconsulte et juge insuffle à ses écrits une vitalité qui en fait un des auteurs majeurs de la doctrine internationaliste française de la seconde moitié du vingtième siècle.

 

Julien CAZALA  

Maître de conférences en droit public

Détaché en qualité d’expert technique international du Ministère des affaires étrangères (Université Galatasaray, Istanbul)

 

Sources : Notice biographique, RCADI, 1973-II, vol. 139, p. 230 ; « Fonctions exercées par Guy Ladreit de Lacharrière », Guy Ladreit de Lacharrière et la politique juridique extérieure de la France, Masson, Paris, 1989, pp. 404-406 ; CIJ, Communiqué n° 87/6, 16 mars 1987.

 

BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE

 

Ouvrages

L’idée fédérale en Russie de Riourik à Staline, préface de Georges Scelle, Paris, Pedone, 1945, 196 p. (thèse de doctorat)

Commerce extérieur et sous-développement, coll. Pragma, Paris, PUF, 1964, 279 p.

La nouvelle division internationale du travail, Paris/Genève, Droz, 1969, 350 p.

La stratégie commerciale du développement, Paris, PUF, 1973, 238 p.

La politique juridique extérieure, coll. Enjeux internationaux, Paris, IFRI/Économica, 1983, 236 p. (introduction mise en ligne avec l’aimable autorisation des Éditions Économica)

 

Articles et contributions

« L’examen par le GATT du traité instituant la Communauté économique européenne », AFDI, 1958, pp. 621-644

« Aspects récents de la clause de la nation la plus favorisée », AFDI, 1961, pp. 107-117

« Évolution de la réglementation internationale en matière de discrimination et de préférence », AFDI, 1963, pp. 64-77

« Aspects actuels du classement d’un pays comme ‘moins développé’ », Tiers-Monde, tome V, n° 18, 1964, pp. 157-164

« A propos de la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement », Tiers-Monde, tome V, n° 20, 1964, pp. 885-902

« La polémique sur les opérations de maintien de la paix des Nations Unies », Politique étrangère, 1966, n° 4, pp. 319-334

« Le retrait de la France des structures militaires de l’OTAN et les forces françaises d’Allemagne », AFDI, 1966, pp. 784-798

« Aspects récents du classement d’un pays comme ‘moins développé’ », AFDI, 1967, pp. 703-716

« Enseignement et recherche en matière de droit international : les besoins de l’administration », L’enseignement et la recherche en droit international en France face aux besoins de la pratique, Paris, Dalloz, 1968

« Consensus et Nations Unies », AFDI, 1968, pp. 9-18

« Identification et statut des pays ‘moins développés’ », AFDI, 1971, pp. 461-482

« La France et la discrimination raciale dans le monde », RDH, 1972, pp. 241-251

« Commentaires sur la position juridique de la France à l’égard de la licéité de ses expériences nucléaires », AFDI, 1973, pp. 237-251

« L’influence de l’inégalité de développement des États sur le droit international », RCADI, 1973-II, vol. 139, pp. 227-268

« La catégorie juridique des pays en voie de développement », in SFDI, Les pays en développement et les transformations du droit international, Paris, Pedone, 1974, pp. 41-47 (article mis en ligne avec l’aimable autorisation des éditions A. Pedone)

« Tendances contradictoires en matière de consentement des États », in SFDI, L’élaboration du droit international public, Paris, Pedone, 1975, pp. 183-203 (article mis en ligne avec l’aimable autorisation des éditions A. Pedone)

« Conclusions du colloque », in SFDI, La crise de l’énergie et le droit international, colloque de Caen, Paris, Pedone, 1976, pp. 303-307 (article mis en ligne avec l’aimable autorisation des éditions A. Pedone)

« La zone économique française de 200 miles », AFDI, 1976, pp. 641-652

« La réforme du droit de la mer », Défense nationale, 1977, pp. 19-45

« Les travaux de la Conférence du droit de la mer », Défense nationale, 1977, pp. 9-20

« Politiques nationales à l’égard du droit de la mer », Droit de la mer – 1, coll. Cours et travaux de l’IHEI, Paris, Pedone, 1977, pp. 5-59

« Aspects juridiques de la négociation sur un package deal à la Conférence des Nations Unies sur le droit de la mer », in Essays in honour of Erick Castren, Helsinki, Finnish Brnach of the ILA, 1979, pp. 30-45

« La réforme du droit de la mer et le rôle de la conférence des Nations Unies », RGDIP, 1980, pp. 216-252 (article mis en ligne avec l’aimable autorisation des éditions A. Pedone)

« Le nouveau droit de la mer », Politique étrangère, 1980, pp. 87-113

« La France et les leçons de l’affaire de l’Amoco Cadiz », in SFDI, Aspects actuels du droit international des transports, colloque du Mans, Paris, Pedone, 1981, pp. 168-182 (article mis en ligne avec l’aimable autorisation des éditions A. Pedone)

« La loi française sur l’exploration et l’exploitation des ressources minérales des grands fonds marins », AFDI, 1981, pp. 665-673

« La négociation du droit international », Revue des sciences morales et politiques, 1982, pp. 307-326

« Conclusions générales du colloque », in SFDI, Perspectives du droit de la mer à l’issue de la 3ème conférence des Nations Unies, colloque de Rouen, Paris, Pedone, 1983, pp. 331-337 (article mis en ligne avec l’aimable autorisation des éditions A. Pedone)

« La réforme du droit de la mer et le rôle de la Conférence des Nations Unies », in D. Bardonnet / M. Virally, (dir.), Le nouveau droit international de la mer, Paris, Pedone, 1983, pp. 1-33 (article mis en ligne avec l’aimable autorisation des éditions A. Pedone)

« Le point de vue du juriste : La production et l’application du droit international dans un monde multiculturel », in R.-J. Dupuy, (dir.), L’avenir du droit international dans un monde multiculturel – The future of international law in a multicultural world, Martinus Nijhoff Publishers, The Hague, 1984, pp. 67-81

« Suggestions pour négocier mieux un droit international plus efficace », in Études de droit international en l’honneur du juge Manfred Lachs, The Hague, Martinus Nijhoff Publishers, 1984, pp. 149-162

« La réglementation du recours à la force : les mots et les conduites », in Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Méthodes d’analyse du droit international. Mélanges offerts à Charles Chaumont, Paris, Pedone, 1984, pp. 347-362 (article mis en ligne avec l’aimable autorisation des éditions A. Pedone)

« Aspect du relativisime du droit international », in Realism in Law Making. Essays on International Law in Honour of Willem Riphagen, The Hague, Martinus Nijhoff Publishers, 1986, pp. 89-100

« Les organisations internationales et la promotion des relations économiques internationales », in R.-J. Dupuy (dir.), Manuel sur le droit des organisations internationales, Dordrecht, Martinus Nijhoff Publishers, 1988, pp. 470-485

« Lacunes ou cohérence de la Charte ? », in J.-P. Cot / M. Forteau / A. Pellet, (dir.), La Charte des Nations Unies – Commentaire article par article, Paris, Économica, 2005, vol. 2, pp. 2235-2240 (article mis en ligne avec l’aimable autorisation des éditions Économica)

 

Sur l’œuvre de Guy Ladreit de Lacharrière 

Mélanges : Guy Ladreit de Lacharrière et la politique juridique extérieure de la France, Paris, Masson, 1989, 411 p., spécialement les contributions de G. Cottereau, « Vivre et penser le droit international », pp. 3-185 et de M. Virally, « Réflexions sur la politique juridique des États », pp. 394-402

D. Alland, « Quelques réflexions sur la notion de politique juridique de l’État. Retour sur la politique juridique extérieure », Annuaire français de relations internationales, 2012, pp. 555-563

J. Cazala, « Retour sur un classique : Guy de Lacharrière, La politique juridique extérieure », Revue générale de droit international public, 2013, n° 2, pp. 411-416 (mis en ligne avec l’aimable autorisation des Éditions A. Pedone)

J. Combacau, « Science du droit et politique juridique dans l’enseignement du droit international. À propos de : Guy de Lacharrière, ‘La politique juridique extérieure’ », RGDIP, 1984, pp. 980-989

A. Pellet, « Le Sage, le Prince et le Savant (A propos de ‘La politique juridique extérieure’ de Guy de Lacharrière) », Journal du droit international, 1985, n° 2, pp. 407-414