Notre collègue Paul Tavernier qui nous a quittés le 11 janvier 2022, avec sa discrétion habituelle, était un fidèle de la SFDI. Il avait été membre de son Conseil, avait siégé dans nos deux jurys de prix et avait toujours été assidu à nos colloques annuels, jusqu’à ces dernières années. Né en 1941 à Shanghaï – où son père était professeur de lettres dans la concession française – il avait fait ses études secondaires à Alger avant une terminale de philosophie au Lycée Henri IV. Ses études juridiques se sont tout naturellement orientées vers le droit international, avec des premiers travaux remarqués, comme son mémoire de DES de science politique sur Léon Bourgeois l’idée de la SDN (1964) qui recevra le prix Georges Scelle et une thèse dirigée par Paul Reuter Recherches sur l’application dans le temps des actes et règles en droit international public (problèmes de droit intertemporel et de droit transitoire) soutenue en 1968 et publiée en 1980 à la LGDJ, après avoir reçu le prix du doyen Ripert.

Paul Tavernier saura concilier sa passion de l’enseignement et son goût de la recherche, avec une grande ouverture au monde et un certain nomadisme, commençant sa carrière comme chargé de cours à Alger de 1969 à 1971, puis comme chargé de cours à Grenoble de 1971 à 1975. Maître-assistant à l’Université Paris II de 1975 à 1980, il retrouvera Grenoble comme professeur de 1983 à 1989, avant d’être en poste à Rouen, où il créera de toutes pièces en 1990 le Centre de recherches et d’études sur les droits de l’homme et le droit humanitaire (CREDHO). La fin de sa carrière se déroula à Paris XI à compter de 1995, la retraite ne freinant pas ses activités de professeur émérite. Il aura ainsi été un « enseignant-chercheur » complet, dirigeant de nombreuses thèses et animant des projets collectifs, multipliant les articles et les participations à des colloques en France et à l’étranger, notamment en Méditerranée et au Proche-Orient. Sa conception du droit combinait un positivisme scrupuleux, fondé sur une connaissance minutieuse des organisations internationales et un humanisme assumé que traduit bien le titre des Mélanges publiés en son honneur, L’homme dans la société internationale (Bruylant, 2013), avec 80 contributions attestant de son rayonnement académique.

Ses travaux innombrables peuvent se regrouper autour de deux grands axes. D’abord l’étude de la vie internationale, à la croisée entre principes juridiques et crises politiques. Il avait d’ailleurs été la cheville ouvrière de la première édition du commentaire collectif de la Charte des Nations Unies publiée sous la direction de Jean-Pierre Cot et d’Alain Pellet (Economica, 1985). Mais son œuvre de référence reste sans doute la chronique de « l’Année des Nations Unies » pour l’AFDI, assurée avec la même rigueur scrupuleuse pendant 50 ans, de 1964 à 2014…On lui doit également un excellent « Que sais-je ? » sur Les casques bleus, paru en 1996. Mais ses travaux portent aussi bien sur le désarmement que sur la fonction publique internationale. L’ensemble de ces travaux constitue une chronique de l’état du monde qui dépasse l’événementiel pour s’inscrire dans la longue durée, débouchant sur des réflexions plus personnelles, à l’occasion de Mélanges ou de colloques.

L’autre axe marquant est celui des droits de l’homme, combinant une vision universelle inscrite dans la Charte des Nations Unies et un attachement à la construction européenne. C’est le sens de la chronique de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, inaugurée en 1985 avec Patrice Rolland, au Clunet, comme des journées annuelles organisées à Sceaux sur la France et la Convention européenne, qui constituent un tableau vivant d’une jurisprudence en train de se faire. Il aura également contribué avec Christopher Heyns à mieux faire connaître le droit africain des droits de l’homme, grâce aux 4 volumes du Recueil juridique des droits de l’homme en Afrique, publiés chez Bruylant, en 2003 et en 2005, avec le soutien de l’OIF. Mais Paul Tavernier a également été un pionnier dans le renouveau du droit international humanitaire classique, à contre-courant des tenants de l’ingérence humanitaire, en  travaillant étroitement avec le CICR pour un retour aux sources, avec des colloques organisés à Rouen, que ce soit celui dirigé avec Laurence Burgorgue-Larsen, Un siècle de droit international humanitaire (Bruylant, 2001) ou celui dirigé avec Abdelwahad Biad sur Le droit international humanitaire face aux défis du XXI° siècle (Bruylant, 2013).

Face à tant de curiosité intellectuelle, de conscience professionnelle et de travail désintéressé, on ne peut qu’admirer le savant exigeant qu’aura été Paul Tavernier jusqu’au terme de sa vie, son intransigeance traduisant le refus de tout opportunisme et de tout carriérisme. Mais il faudrait également rendre hommage à l’universitaire cultivé, simple et bienveillant, qui savait si bien accueillir et encourager les étudiants et leur transmettant sa passion tellement raisonnable du droit international. Le seul titre auquel cet homme modeste attachait du prix est celui de professeur.

Emmanuel Decaux