LA PRADELLE (A.)

 Photo : Paris en image

ALBERT DE GEOUFFRE DE LA PRADELLE

(1871-1955)

 

Albert de Geouffre de La Pradelle est né à Tulle en 1871 et décède à Paris en 1955. Il est « l’un des plus illustres représentants » de la « science du droit international » (Ch. Rousseau) de la première moitié du XXe siècle.

Un spécialiste de droit international public et privé

Pendant ses études à Paris, il fréquente les cours de Louis Renault, qui deviendra son maître. Sa thèse sur les fondations remporte le prix de thèse de droit public et privé. Reçu premier, à 26 ans, au concours d’agrégation de 1897, il est attaché à la Faculté de droit de Grenoble à partir de novembre 1897. Il est nommé professeur à la même faculté à partir du 1er janvier 1902, où il enseigne pendant une douzaine d’années le droit international public et privé. A partir de 1907, il enseigne à la Faculté de droit de Paris, où il est nommé à partir du 1er janvier 1911 professeur adjoint, puis en 1912, professeur de droit administratif (contentieux et finances) et en 1918, à sa demande, professeur de droit des gens à la place de Louis Renault, décédé. Il y enseigne successivement le droit constitutionnel et surtout le droit international public, dans lequel il se spécialise sans délaisser le droit international privé, à l’image des internationalistes de sa génération. Pendant la Première Guerre mondiale, il est chargé en Amérique du Sud et du Nord d’une mission de l’Université de Paris, puis d’une mission de la fondation Carnegie, prolongée à différentes reprises : il visite toutes les capitales des deux Amériques afin de créer chez les neutres un état d’esprit favorable à la cause française.

Une activité scientifique de premier plan

Il est en 1921 avec A. Alvarez et P. Fauchille l’un des fondateurs, et jusqu’en 1946, le directeur de l’Institut des Hautes Etudes Internationales. Directeur de 1909 à 1933, après la mort d’Alcide Darras, de la Revue de droit international privé, de laquelle il se détache pour créer la Nouvelle Revue de droit international privé (1934-1949), qui prend un point de vue critique vis-à-vis de la législation raciste totalitaire. Il fonde et dirige par ailleurs la Revue de droit international (1927-1940). Parmi ses activités scientifiques, il est associé (1904), puis membre (1922), et ensuite secrétaire général de l’Institut de droit international, dont il préside la 46e session à Aix-en-Provence (1954). Il est membre correspondant de l’Institut américain de droit international et visiting professor à Columbia University.

Un pionnier de la méthode documentaire et historique

Comme « partisan déterminé de la méthode documentaire » (La paix moderne, p. 7), il est éditeur de nombreux recueils de textes et de documents, entre autres du Recueil des arbitrages internationaux dirigé en collaboration avec Nicolas Politis (Pedone, tome I, 1905 et tome II, 1927) et le Recueil général des décisions et conventions intéressant le droit international (1934). Par ce travail documentaire, il vise également à approfondir la formation du droit international en se tournant « vers les indications du passé pour chercher l’élaboration de l’avenir » (Recueil des arbitrages internationaux, tome III, 1954, p. ix). La méthode historique est reflétée par ses nombreux écrits portant sur l’histoire de la doctrine du droit international : il consacre de nombreux travaux (ouvrage, un cours universitaire, des hommages) aux grands maîtres du droit international, aussi bien du passé que de son époque. Ainsi, sa méthode s’appuie sur une « continuité, dans le progrès des institutions et des normes, de la jurisprudence » et de la doctrine (Recueil des arbitrages internationaux, tome III, 1954, p. xiv).

Il manifeste un intérêt particulier pour le règlement pacifique des différends et pour les travaux de codification de droit international. Partisan du droit naturel, il promeut le mouvement doctrinal qui reconnaît les « droits internationaux de l’homme » comme sujet du droit des gens. Ce mouvement aboutit, avec sa participation, en 1929, lors de la session de l’Institut de droit international à New York, à l’adoption du projet de « Déclaration des droits internationaux de l’homme ».

Un expert attaché à son indépendance

Dès 1913, en tant que jurisconsulte pour le protectorat marocain au ministère des Affaires étrangères, il assiste Louis Renault dans son activité de jurisconsulte. Il est ensuite lui-même nommé jurisconsulte du ministère des Affaires étrangères où il remplit cette fonction de 1919 à 1934 (d’abord comme jurisconsulte adjoint, de 1919 à 1922). Il participe en tant qu’expert de la délégation française aux travaux de la Conférence de la paix. Il joue aussi un rôle important en 1920 au sein du Comité de juristes de La Haye comme rapporteur de l’avant-projet de Statut de la Cour permanente de Justice internationale. En 1922, il plaide dans l’affaire des Décrets de nationalité promulgués en Tunisie et au Maroc devant la CPJI comme agent du gouvernement français. En 1935, il est désigné comme membre du Tribunal arbitral franco-éthiopien dans l’affaire d’Oual-Oual.

Il donne des consultations à divers gouvernements étrangers dans des arbitrages internationaux. Or, ses activités simultanées de jurisconsulte du Quai d’Orsay et d’autres gouvernements sont souvent critiquées. En 1927, La Pradelle accorde une consultation au Gouvernement hongrois dans l’affaire des Optants en Roumanie et en publie une note dans Le Temps le 5 septembre 1927 (« De Lausanne à Genève »). Quand le ministre des affaires étrangères A. Briand lui demande de choisir entre son poste de jurisconsulte et la liberté de donner des consultations à un gouvernement étranger sans autorisation préalable du Quai d’Orsay, La Pradelle démissionne, protégeant son indépendance d’expert. Entre autres activités d’experts, il sera membre du Comité juridique international de l’aviation et président de son comité directeur.

Albert de Geouffre de La Pradelle prend sa retraite de l’Université en 1939, après plus de 42 ans d’enseignement. Il a eu six enfants, dont Paul (1902-1993), professeur à la Faculté de droit de l’Université d’Aix-Marseille et Raymond (1910-2002), avocat à la cour d’appel de Paris, dont le fils est Géraud de Geouffre de La Pradelle (1935- ), aujourd’hui professeur émérite de l’Université Paris Ouest Nanterre La Défense et grand spécialiste de droit international privé.

 

Antal BERKES

Doctorant, Université Paris 1 (Panthéon-Sorbonne) – Université ELTE (Budapest)

 

Sources : Ch. Rousseau, « Albert de Geouffre de La Pradelle », Revue internationale de droit comparé, vol. 7, n° 2, avril-juin 1955, pp. 383-384 ; J.-M. Guieu, « Les juristes internationalistes français, l’Europe et la paix à la Belle Époque », Relations internationales, 2012/1 (n° 149), pp. 27-41 ; S. Falconieri, « Le refus d’un “nouvel ordre” géopolitique bâti sur la “race”.­ La Nouvelle revue de droit international privé (1934-1944) », Relations internationales, 2012/1, n° 149, pp. 89-100 ; M. Lachs, Le Monde de la pensée en droit international: théories et pratique, Paris, Economica, 1989, p. 120 ; « Préface », in P. Gramain, Les droits internationaux de l’homme, 1933, pp. vii-xiii.

 

BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE

 

Ouvrages, recueils

De la nationalité d’origine : droit comparé, droit interne, droit international, Paris, A. Giard et E. Brière, 1893, 443 p.

Théorie et pratique des fondations perpétuelles, histoire, jurisprudence, vues critiques, droit français et étranger, Paris, V. Giard et E. Brière, 1895, 476 p.

Les négociations de valeurs cotées effectuées par l’intermédiaire des coulissiers devant la jurisprudence (avec H. Lévy-Ullmann), Paris, Librairie nouvelle de droit et de jurisprudence, 1896, 32 p.

La question du désarmement et la seconde circulaire du tsar, Paris, A. Pedone, 1899

La Conférence de la paix : (La Haye, 18 mai-29 juillet 1899), Paris, A. Pedone, 1900, 202 p.

Recueil des arbitrages internationaux (avec N. Politis et L. Renault), Paris, A. Pedone, 1905, 863 p., 1923, 1051 p.

Le statut palestinien: le point de vue juridique (avec J. Madeleine), Boulogne-sur-Seine, Imprimerie d’études sociales et politiques, 1918, 47 p.

Examen de la responsabilité pénale de l’Empereur Guillaume II (avecF. Larnaude), Paris, La Paix des Peuples, 1918, 32 p.

Comité des délégations juives. La Loi polonaise de 1920 sur la nationalité et les traités de Versailles, Paris, sn, 1924.

Recueil de la jurisprudence des tribunaux arbitraux mixtes créés par les traités de paix : IV compétence, Paris, La Documentation internationale, 1927, 571 p.

Répertoire de droit International, Paris, Sirey, 1929

Les Suisses et les dommages de guerre, Paris, Les Éd. internationales, 1930, 76 p.

Principes généraux du droit international public: doctrine, Paris, France, Centre européen de la Dotation Carnegie, 1931, 642 p.

Droit international public, Paris, France, Centre européen de la Dotation Carnégie : Institut des Hautes Études Internationales, 1931, 554 p.

La crise économique et le développement du droit international, Paris, Sirey, 1933, 223 p.

Le Conflit italo-éthiopien, Issoudun, Impr. rapide du Centre, 1936, 627 p.

Causes célèbres du droit des gens: affaire Salem (Égypte-États-Unis d’Amérique), Paris, Les Éditions Internationales, 1937, 405 p.

A Nuremberg: une Révolution dans le droit pénal international (avec E. Aroneanu), Paris, Ed. Internationales, 1946, 64 p.

La Paix moderne: 1899-1945, de La Haye à San-Francisco, tableau d’ensemble avec la documentation correspondante, Paris, France, les Éditions internationales, 1947, 529 p.

La Place de l’homme dans la construction du droit international, London, Stevens & Gons, 1948

 

Cours

Cours de droit constitutionnel professé à la Faculté de droit de Paris (1ère année de licence), Paris, A. Pedone, 1912, 592 p.

Les principes généraux du droit international: conférences, Paris, Centre Européen de la dotation Carnegie, 1930

Influence de la Société des Nations sur le développement du droit des gens: la justice internationale, cours de M. A. de Geouffre de La Pradelle, Paris, Les Editions internationales, 1933, 674 p.

La Justice internationale : Cours (de doctorat, 1932-1933, professé à la Faculté de droit de Paris), Paris, Éditions internationales, 1933

La mer: cours, Paris, Éditions Internationales, 1934, 636 p.

Maîtres et doctrines du droit des gens : Cours professé à la Faculté de droit de Paris, 1939, Paris, Les éditions internationales, 328 p. (2ème éd. : 1950)

Répétitions écrites de droit international public. Doctorat 1938-1939 (avec J. Basdevant), Paris, Cours de droit, 1939

Les Conventions de Genève du 12 août 1949 : cours, Paris, Institut des hautes études internationales, 1953

 

Articles

« Le droit de l’État sur la mer territoriale », RGDIP, 1898, pp. 264-347

« La question chinoise », RGDIP, 1901, pp. 272-340

« La question chinoise », RGDIP, 1903, pp. 742-799

« De l’influence sur la procédure arbitrale de la cession de droits litigieux » ( avec L. Renault et N. Politis), RGDIP, 1906, pp. 309-324

« Chronique du droit des gens dans ses rapports avec le droit constitutionnel et le droit administratif », Revue du droit public et de la science politique en France et à l’étranger, 1906, pp. 307-348  et pp. 531-556

« La deuxième conférence de la Paix. Origine – Convocation – Organisation » (avec N. Politis), RGDIP, 1909, vol. 16, pp. 385‑437

« The Unification of the Laws of Neutrality », Proceedings of the American Society of International Law at Its Annual Meeting (1907-1917), vol. 9 (December 28-30, 1915), pp. 95-103

« L’indivisibilité de la frontière et le conflit colombo-vénézuélien » (avec N. Politis), RGDIP, 1921, pp. 107-121

« De l’influence du changement de souveraineté sur la loi territoriale », RGDIP, 1925, pp. 388-402

« La monnaie de paiement des obligations à caractère international et la jurisprudence des tribunaux mixtes d’Égypte », Revue de droit international, 1927, pp. 1036-1049

« L’excès de pouvoir de l’arbitre », Revue de droit international, 1928, pp. 5-64

« La législation relative à la propriété foncière dans la Nouvelle Dobrudja (Dobrudja du Sud) : étude de droit comparé et de droit international », Revue de droit international, 1930, pp. 160-274

« Les Neutres et les dommages de guerre », Revue de droit international, 1930, pp. 148-204

« L’Institut des Hautes Études Internationales et l’enseignement du droit des gens » (avec A. Alvarez), RGDIP, 1939, XLVI, pp. 666‑669

 

Consultations

Affaire de Vilna, « Pologne-Lithuanie. La décision de la Conférence des Ambassadeurs du 15 mars 1923. Consultation de M. A. de Lapradelle », Revue de droit international, 1928, pp. 1120-1131

Consultation de M. A. de Lapradelle concernant les affaires agraires des ressortissants hongrois devant le Tribunal arbitral mixte roumano-hongrois: compétence, Issoudun, France, Impr. rapide du Centre, 1926

« La confiscation des biens des réfugiés arméniens. Consultation » (avec G. Gidel, L. Le Fur, A. Mandelstam), Revue de droit international, 1929, tome IV, pp. 409-450

 

Direction de thèses

Lapradelle dirigea plusieurs dizaines de thèses, parmi lesquelles : Alexandre Georges Pitisteano, La question de Danube (1914) ; André Pepy, De la nationalité des sociétés de commerce (1920) ; Titus Komarnicki, La question de l’intégrité territoriale dans le pacte de la Société des Nations (l’article X du pacte) (1923) ; Paul Tedeschi, Recherches sur la formation et le développement de l’obligation en droit international public (1939).