RIVIER

Portrait par Louis Le Nain (source : ULB)

 ALPHONSE RIVIER

(1835-1898)

 

Alphonse Rivier est né le 9 novembre 1835 à Lausanne et il est décédé le 21 juillet 1898 à Bruxelles. Arrière-petit-fils d’Etienne Clavière (1735-1893), le jeune Rivier passe une enfance studieuse dans les cercles de la bourgeoisie intellectuelle et financière de la Suisse francophone.

Du droit romain au droit des gens

Après des études de lettres à Genève et de droit à Lausanne, il séjourne à Berlin où il obtient son doctorat en droit romain en 1858. Il y rencontre August Wilhelm Heffter (1796-1880) et commence à s’intéresser au droit international. Il suit aussi à Paris les cours d’Edouard Laboulaye sur les législations comparées au collège de France et obtient son habilitation à Berlin qu’il publie en 1863 sous le titre « Untersuchungen über die [recherches sur la] Cautio praedibus praediisque ». Désormais Privat-Dozent en Prusse, il est d’abord appelé à Berne (Suisse allemande) dans le cadre d’une chaire en langue française en droit romain, droit civil et économie politique. En 1867, il s’exile en Belgique à l’Université libre de Bruxelles où il reprend la chaire de droit romain laissé vacante par Charles Maynz (d’origine allemande). Ce n’est qu’après 1884 à la mort d’un autre professeur allemand en Belgique, Egide Arntz, que Rivier occupera la chaire de droit des gens de l’ULB jusqu’à son décès en 1898. A la faculté de droit de l’ULB, il a aussi assuré à quatre reprises les fonctions de doyen. Un monument réalisé par l’architecte Victor Horta et le sculpteur Charles Samuel y a été érigé en son honneur dès 1900. Il contient l’épitaphe suivante : « La patrie est-elle seulement dans l’espace ? N’est-elle pas aussi dans le temps ? Il faut aimer son époque à peu près comme il faut aimer son pays, malgré ses défaillances, malgré ses erreurs ».

Un internationaliste « à cheval sur deux ou trois pays et sur deux langues »

Lorsqu’il devient membre de la Société de législation comparée en 1869, il souligne son cosmopolitisme à Laboulaye en rappelant qu’il « se trouve à cheval sur deux ou trois pays et sur deux langues ». Il est vrai qu’il publie en allemand ou en français dans la plupart des revues juridiques en vogue, et même en anglais dans la Juridical Review. Sans être l’un des treize fondateurs de l’Institut de droit international, Rivier devient dès 1874 membre auxiliaire et surtout secrétaire général de 1878 à 1887. A ce titre, il édite l’annuaire de l’Institut et dirige la Revue de droit international et de législation comparée. Il devient en quelque sorte « l’historiographe officiel de l’IDI » (Ph. Rygiel) et il assure la fonction de président de l’Institut en 1888 et en 1891.

Associé de l’Académie royale de Belgique, membre correspond de l’Académie de jurisprudence et de législation de Madrid, de l’Académie des sciences de Lisbonne, de la société de droit international de St-Pétersbourg et de l’Institut national genevois, il a rédigé de nombreuses notices biographiques et nécrologiques (Johann Caspar Bluntschli, Emile de Lavaleye, Gabriel Massé…). D’abord romaniste comme d’autres membres de la première génération de l’Institut, il se spécialise en droit international public et privé à travers des travaux d’érudit dans un premier temps. Il publie une Note sur la littérature du droit des gens centrée sur les prédécesseurs de Grotius ou encore des revues d’ouvrages comme celui sur Le droit des neutres sur mer de Ludwig Gesnner (1828-1890) dans la Revue historique de de droit français et étranger. Rivier va s’illustrer en tant que passeur entre les pays. C’est lui qui traduit l’œuvre de Tobias Asser du néerlandais en français, notamment les Eléments de droit international privé (1884) et il aide à faire connaître l’œuvre d’Holtzendorff en français. Ce n’est qu’en 1896 qu’il fait paraitre son ouvrage majeur les Principes du droit des gens, lequel fut traduit en serbe par Milenko R. Vesnitch (1863-1921).

Dans deux volumes divisés en huit livres, Rivier expose sa vision d’un droit international « positif et pratique ». L’ambition de Rivier est de s’adresser aux étudiants mais aussi « et même de préférence » aux praticiens du droit international (hommes politiques, diplomates, etc.), avec l’idée d’aider à la résolution des questions qui se présentent en pratique « au moyen des principes mêmes du droit » (préface). Pour lui le droit des gens « vise à l’action » et sa science « doit être une science d’application, non de spéculation et de pur raisonnement » (p. 28).

Aux négateurs de la positivité du droit international, il oppose la « réalité des choses », et notamment le fait que les Etats ne violent plus le droit « sans pudeur » : « L’Etat coupable ou suspect s’efforce de justifier sa conduite, de la présenter comme étant conforme au droit. L’opinion publique […] prend de plus en plus d’importance et constitue un frein puissant » (pp. 21-22). Pour Rivier le « droit qui règne entre les Etats » est essentiellement un « système de droit positif » dont la source première est la « conscience juridique commune », elle-même procédant de la nécessité et de la raison. Rivier s’inscrit cependant dans la doctrine volontariste classique en considérant que la « soumission volontaire » des Etats à des principes communs « s’affirme et s’exprime dans la coutume et dans les traités générateurs du droit des gens » (p. 27).

Le Consul et l’arbitre

Comme beaucoup d’internationalistes de cette génération, il n’est pas seulement un savant de cabinet mais également un praticien. Il rédige en 1884, à la demande du roi des Belges, des instructions diplomatiques relatives au régime nouveau du droit des gens applicables au bassin du Congo, avant de représenter, à partir de 1886, auprès de ce même souverain, la Confédération helvétique en tant que consul général et de prendre part, en 1889, à des discussions entre la Belgique et la République helvétique en tant que ministre plénipotentiaire de cette dernière puissance. C’est lui qui signe aussi le traité d’amitié entre l’Etat indépendant du Congo et la Suisse du 16 novembre 1889 qui contenait la clause d’arbitrage permanent. Rivier sera d’ailleurs désigné en tant qu’arbitre à de plusieurs reprises, notamment dans l’affaire des pêcheries de Terre-Neuve entre la France et l’Angleterre et, quelques semaines avant son décès, au sujet d’un différend entre la Russie et l’Angleterre relatifs à des vaisseaux canadiens saisis par les autorités russes.

 

Raphaël CAHEN

Chargé de conférences à l’EPHE

Professeur invité à la VUB
Chercheur postdoctoral à la JLU Giessen

 

Sources : Fonds Rivier, Bibliothèque cantonale Lausanne, 5500/3/1/1-3 ; E. Nys, « Alphonse Rivier, sa vie et ses œuvres », Revue de droit international et de législation comparée, 1899, pp. 415-431 ; Th. Rivier-Rose, La famille Rivier (1595 à nos jours), Genève, Slatkine, 1916 ; E. Goblet d’Alviella, L’université de Bruxelles pendant son troisième quart de siècle, Bruxelles, Weissenbuch, 1909, pp. 87-88 ; M. Octave Maus, « A la mémoire d’Alphonse Rivier », Gazette de Lausanne, 1919, 1, IX ; L. Lootar et M. Coosemans, « Alphonse Rivier », Biographie coloniale belge, T2, 1951, pp. 812-815 ; R. Dekkers, Biographie Nationale de Belgique , Bruxelles, 1969, t. 35,  pp. 627-630 ; P. Haggenmacher, « Rivier, Alphonse », Dictionnaire historique de la Suisse (DHS), version du 31.08.2010 ; E. Lehr, « Alphonse Rivier », Annuaire de l’Institut de droit international, 1898, t. 17, pp. 342-347 ; A la mémoire d’Alphonse Rivier, Revue de l’Université de Bruxelles, 1901,  pp. 97-107 ; Notice sur le site du CDI (ULB) ;  R. Cahen, « Laboulaye et Kachenovsky et la fabrique du droit international : voyages, réseaux, circulation des savoirs juridiques », Clio@themis, t. 22 [Les juristes en voyageurs] ; Ph. Rygiel, L’Institut de droit international et la régulation des migrations, 1870-1920, Paris, Ed. Sorbonne, 2021.

 

BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE

 

Ouvrages

De discrimine quod inter regulam Catonianam et cam quae lege 29 De R.J. continetur juris antiqui regulam interest, Berlin, Schade& Berolini, 1858

Untersuchungen über die Cautio praedibus praediisque, Berlin, Julius Springer, 1863 

Note sur la littérature du droit des gens avant la publication du « Jus belli ac pacis » de Grotius (1625), Bruxelles, Imprimerie de l’Académie Royale de Belgique, 1883

Lehrbuch des Völkerrechts, Stuttgart, F. Encke, 1889

Introduction au droit des gens : recherches philosophiques, historiques, et bibliographiques (avec F. de Holtzendorff), Hambourg, Paris, Athènes et al., 1889

Principes du droit des gens, Paris, A. Rousseau, 1896, 2. Vol. (tome 1, tome 2)

 

Traduction

T. M. C. Asser, Éléments de droit international privé, ou du Conflit des lois. Droit civil, procédure, droit commercial, Paris, A. Rousseau, 1884

 

Articles

Le royaume de Danemark et les Duchés-Unis, Bibliothèque Universelle et Revue Suisse, 1864 t. 20

« Bibliothèque diplomatique : Le droit des neutres sur mer, par L. Gessner », Revue Historique de Droit Français et Etranger (RHD), 1866, t. 12, p. 100-111 

« L’Institut de droit international », Bibliothèque universelle et Revue Suisse, Lausanne, Tome 51 (1874), pp. 578-599

Biographie de l’auteur, in J. G. Bluntschli, Le droit international codifié, trad. de l’allemand par M. C. Lardy, Paris, Guillaumin et Cie, 1893

 « Charles Maynz », nécrologie in Revue internationale de l’enseignement, 1882, pp. 565-568

« M. Arntz », nécrologie in Revue de droit international et de législation comparée, vol. XVI, p. 605