SØRENSEN

Photo : Académie de droit international de La Haye (avec l’aimable autorisation du Secrétaire général)

MAX SØRENSEN

(1913-1981)

 

Max Sørensen fut sans conteste le plus grand internationaliste danois du XXe siècle – il publia le premier manuel de droit international dans sa langue natale. Dans la lignée classique des grands juristes internationaux de l’époque, il eut cette double vie de praticien – jurisconsulte au ministère des affaires étrangères et juge – et d’universitaire. À ce jour, il est le seul à avoir siégé au sein de la Cour européenne des droits de l’homme et de la Cour de Justice de l’Union européenne.

Une conscience des deux faces de l’État et du droit

Né à Copenhague le 19 février 1913, Max Sørensen débute ses études de droit en 1931 à l’université de cette même ville et publie son première article « La prescription en droit international » dans la célèbre revue scandinave Acta Scandinavica Juris Gentium en 1932. On retrouve dans sa dissertation sur la conclusion des traités d’après le droit international et le droit constitutionnel de 1935, pour laquelle il obtient le Prix d’or, les deux faces du droit qui ponctuent son œuvre. Le droit constitutionnel est souvent utilisé pour comparer les constructions juridiques internationales. Licencié en droit (candidatus juris) en 1938, il entame son parcours diplomatique la même année et est nommé attaché de la légation du Danemark à Berne. Il étudie à l’Institut de hautes études internationales et du développement de Genève, et débute en parallèle son doctor juris sur « Les sources du droit international » qui aboutit en 1946. Il est en poste de 1944 à 1945 secrétaire de la légation à Londres puis il quitte le ministère en 1947.

Un technicien diplomate au service des droits de l’homme

C’est le début de sa carrière académique. Il est nommé professeur de droit constitutionnel et droit international à l’université d’Aarhus en 1947, poste qu’il ne quitte qu’en 1972. Pour autant, il ne renie pas le service de l’État et est conseiller du Ministre des Affaires étrangères du Danemark aux sessions du Comité des ministres du Conseil de l’Europe de 1949-1950, représentant du Danemark à la Commission des droits de l’homme des Nations Unies de 1948 à 1951 et représentant du Danemark au comité spécial des Nations Unies pour la juridiction criminelle internationale, dont il est rapporteur, en 1951. De la première de ces expériences il tire son cours de La Haye de 1952 sur le Conseil de l’Europe. Dans ce cours technique, il constate que le Conseil maintient le principe de la souveraineté des États membres, mais celui-ci porte en lui les germes d’une évolution ultérieure, dans le sens fédératif. Même si la fleur n’a finalement pas éclos, Max Sorensen prévoit à juste titre les problèmes institutionnels entre le Conseil de l’Europe et la Communauté du charbon et de l’acier, problème que l’on retrouve en partie aujourd’hui entre l’Union Européenne et la CourEDH – Cour où il siège de 1980 à 1981.

En 1955, Max Sorensen devient membre de la Commission européenne des droits de l’homme (organe du Conseil de l’Europe supprimé en 1998), poste qu’il tient jusqu’en 1972. Pour lui, le contrôle parlementaire à l’échelle internationale est un élément dynamique essentiel et, lors d’un colloque en 1965, il prend nettement parti pour l’incorporation de la CEDH dans les droits internes des États membres. Pour autant, Max Sorensen soutient la pratique prudente de la Commission relative à la recevabilité des requêtes. Il considère dangereux d’avoir une approche trop osée, la tempérance ayant un meilleur impact sur les hésitations des gouvernements réticents à l’égard de la Convention européenne des droits de l’homme.

Un internationaliste pragmatique au service de sa Majesté

À partir de 1956, le professeur Sørensen devient conseiller juridique du ministère des Affaires étrangères du Danemark et dirige la délégation danoise aux conférences des Nations Unies sur le droit de la mer de 1958 et 1960. Il donne alors son cours général à La Haye intitulé « Principes de droit international public ». Voulant faire une démonstration empirique, Max Sørensen définit la norme internationale comme étant la norme susceptible d’être appliquée par un tribunal exerçant une compétence générale. Dans le choix de la norme, il rappelle deux éléments qui ont trait à la diversité culturelle du monde : d’abord que le droit international fait l’objet de divergences d’interprétation, l’unanimité étant l’exception plus que la règle. Dès lors, c’est l’avis de la majorité qui prévaut dans l’administration de la Justice. Ensuite que l’appréciation discrétionnaire du juge est déterminée par les besoins sociaux qu’il considère comme prépondérant. Dans ses choix, celui-ci est aidé par la doctrine et, par son action, le juge apportera du matériel nouveau à la doctrine pour construire un système cohérent. Sur son cours un dernier élément inédit est à souligner : le premier chapitre est consacré aux principes généraux de droit, qu’il considère comme le ciment de l’ordre juridique international. Ils assurent « la cohésion du droit international avec les ordres juridiques nationaux et [permettent] de concevoir tous les phénomènes juridiques de l’Humanité sous un aspect d’unité » (p. 16). On y retrouve enfin des parallèles avec et des débats sur l’utilisation du droit constitutionnel, par exemple, dans la capacité d’un agent à conclure un traité.

De 1968 à 1969, le professeur Sørensen est nommé juge ad hoc dans l’Affaire du plateau continental de la Mer du Nord. En désaccord avec l’issue, il émettra une opinion dissidente dont on peut relever trois points intéressants. Tout d’abord que l’idée de justice distributive ne fait pas encore partie du droit international, les inégalités flagrantes de fait entre les États sont là pour le rappeler. Puis, en écho de la Charte des Nations Unies, que le rôle du droit international, dans sa rédaction et son interprétation, est de réduire au maximum les risques de différends. Enfin, que pour la sécurité juridique, il serait mieux, dans le choix de la norme internationale applicable, de privilégier celle qui laisse le moins de place à l’interprétation.

Membre de l’Institut de droit international, Max Sørensen est rapporteur en 1973 de la Onzième Commission de la Session de Rome sur « Le problème dit du droit intertemporel dans l’ordre international », commission dans laquelle on compte d’éminents membres tels que S. Bastid, G. Morelli, P. Reuter et M. Virally. Elle aboutit à la résolution sur « Le problème intertemporel en droit international public » lors de la session de Wiesbaden en 1975.

L’adhésion du Danemark à la Communauté économique européenne l’emmène à la Cour de Justice où il siégea de 1973 à 1980. Puis, après un an après son élection à la Cour européenne des droits de l’homme, il s’éteint le 11 octobre 1981 à Aarhus, dans le quartier de Risskov.

Charles-Maurice MAZUY  

Doctorant à l’Université Panthéon-Assas

 

Sources : site internet du Max Sørensens Mindefond ; notice bibliographique, RCADI, t. 101, 1960, III, p. 5.

 

BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE (publications en français)

 

Ouvrages

Les sources du droit international (Étude sur la jurisprudence de la Cour permanente de Justice internationale), Copenhague, Editions Einar Munksgaard, 1946, 274 p.

 

Cours

« Le Conseil de l’Europe », RCADI, t. 81, 1952, II, p. 121-200

« Principes de droit international public », RCADI, t. 101, 1960, III, pp. 1-254

 

Rapports

« Le problème dit du droit intertemporel dans l’ordre international », Rapports à l’Institut de droit International, Session de Rome, 1973, Annuaire IDI, vol. 55, pp. 1-114 ; Résolution sur Le problème intertemporel en droit international public

 

Articles

« La prescription en droit international », Acta Scandinavica Juris Gentium, 1932, pp. 145-170

« La juridiction criminelle internationale dans un système de sécurité collective », Politique étrangère, n° 3, 1952, pp. 113-126

« Le Statut juridique du Groenland », Revue juridique et politique de l’Union française, t. VII, 1953, pp. 425-53.

« Problèmes politiques contemporains du Danemark », Revue française de science politique, 1952 pp. 737-75

« Le Conseil nordique », Revue générale de groit international public, 1955, pp. 63-84 (article mis en ligne avec l’aimable autorisation des Editions A. Pedone)

« Obligations d’un État partie à un traité sur le plan de son droit interne », in Les droits de l’homme en droit interne et en droit international. Actes du 2e Colloque international sur la Convention européenne des droits de l’homme, Vienne, 18-20 octobre 1965, Bruxelles, Presses universitaires de Bruxelles, 1968, pp. 44 et s.

« L’expérience d’un membre de la Commission », Revue des droits de l’homme, 3 (2-3), 1975, pp. 329-330