WEISS

Photo : Académie de droit international de La Haye (avec l'aimable autorisation du Secrétaire général)

ANDRÉ WEISS

(1858-1928)

 

Né à Mulhouse le 30 septembre 1858 d’une famille protestante alsacienne qui, en 1871, choisit la France, Charles André Weiss entame, dès 1881, une brillante carrière d’universitaire, qui se prolonge sur 45 années, le conduisant jusqu’à la faculté de droit de Paris et à tous les honneurs qu’un parcours académique sans faute peut revendiquer sous la IIIeRépublique florissante. Très tôt, il devient la figure emblématique des premiers temps du droit international privé comme discipline universitaire en France et reste un de ses maîtres les plus influents jusqu’à la Première Guerre mondiale. En parallèle, il s’implique dans la résolution des litiges internationaux pour le compte de l’Etat français. Désigné, en 1920, comme juge de la Cour permanente de Justice internationale de la Haye, il en devient le vice-président en 1922, fonction qu’il exerçait encore lorsqu’il décède dans la capitale néerlandaise, le 31 août 1928.

Un savant d’envergure internationale

La formation intellectuelle de Weiss est marquée par la tradition romano-civiliste, qui transparaît dans ses premiers écrits. Licencié en 1878, il devient, deux ans plus tard, docteur en droit grâce à une double thèse sur le droit fétial et sur les conditions de l’extradition, qui inaugure une série de travaux historiques qui paraîtront dans diverses revues au cours des années 1880.

Reçu au concours d’agrégation de 1881, à l’âge de 22 ans, il est nommé à la faculté de droit de Dijon, où il enseigne le droit constitutionnel et où lui est confié, au bénéfice de la fraîcheur, le cours de droit international privé qui vient d’être créé. Une décennie plus loin, le voici à Paris en 1891 professeur de droit administratif puis de droit civil (1897), avant de succéder en 1909 à Lainé dans la chaire de droit international public et privé qu’il cédera en 1924 à Pillet.

Cette brillante carrière ne l’empêche pas de mener une intense activité auprès du ministère des Affaires étrangères : membre du Conseil consultatif du contentieux en 1891, il devient jurisconsulte auprès du Quai d’Orsay en 1908 et représentant de la France auprès de la Cour permanente d’arbitrage de La Haye, où il est amené à défendre les intérêts de l’Etat français dans l’affaire des Déserteurs de Casablanca en 1909. Son engagement au service de la France et sa science de l’arbitrage le portent, après la guerre, aux fonctions de juge de la CPJI, en 1920, et à celles de vice-président en 1922.

Pareil cursus honorum distingue la figure d’un notable de la IIIe République, dont les immenses talents, exprimés sur le plan académique comme sur le terrain diplomatique ou dans l’ordre juridictionnel, lui valent d’être reçu par les plus prestigieuses sociétés savantes : membre de l’Institut de droit international en 1898 (et même président à partir de 1922), ou encore membre de l’Académie des sciences morales et politiques depuis 1914 (dont il devient vice-président en 1926), il est le premier président de l’Académie internationale de droit comparé (1924-1927).

Une figure emblématique du renouveau du droit international privé en France.

Voué au droit international privé par l’effet conjugué du concours d’agrégation, de sa nomination à Dijon et de l’application du décret de 1880 instituant la discipline, Weiss joue un rôle majeur dans son renouveau. Publiant son Traité élémentaire de droit international privé (1885), transformé, au gré des rééditions, en Manuel de droit international privé, il légitime l’entrée de la matière dans l’enseignement universitaire. Plus tard, il développe et précise ses vues en la matière dans une véritable somme appelée à faire autorité : le Traité théorique et pratique de droit international privé, dont la première édition, en 5 volumes, s’étale de 1892 à 1905.

Dans son œuvre, Weiss avance dans la continuité de Mancini. Plus réservé à l’égard du principe des nationalités, notion « politique et abstraite », il s’en remet au concept plus juridique d’Etat et, conformément à la tradition française, identifie l’Etat et la Nation. La loi nationale, au sens où il l’entend, est la loi posée par l’Etat et acceptée par les citoyens. Pour ce partisan de la théorie de la nationalité-contrat, l’acquisition de la nationalité repose sur la volonté, expresse ou présumée, et toujours révocable, du ressortissant.

Par ce lien intime qui se noue entre la Nation et l’individu, la loi nationale, s’attachant à la personne, suit celle-ci partout, pour autant qu’un Etat étranger ne mette pas obstacle à son application. Cultivant une interprétation extensive de l’article 3 du Code civil, Weiss fonde le conflit de lois sur une véritable présomption de personnalité du droit. Il étend ainsi très largement le rattachement à la loi nationale (ou loi personnelle), lui confiant en principe le statut personnel dans son ensemble et, au-delà même, les successions mobilières et immobilières. Toutefois, comme celle de Mancini, la doctrine de Weiss admet certaines restrictions imposées à la personnalité du droit. L’une a pour fonction de défendre l’intérêt de l’Etat : c’est l’ordre public international. L’autre met en avant l’idée d’autonomie de la volonté qui doit s’exprimer pleinement en matière de contrat. La dernière, enfin, s’inscrit dans la règle Locus regit actum.

Un internationaliste pris entre guerre et paix

L’intérêt de Weiss pour le droit international public est demeuré constant toute sa vie durant. Déjà, sa thèse montrait la foi qu’il plaçait dans la justice internationale. Promoteur et acteur de l’arbitrage international, il formule régulièrement, dans ses écrits comme dans ses interventions orales, le vœu que les Etats règlent leurs différends par le droit et non par la force.

Cette quête d’un « droit de la paix », qui dicte sa pensée et sa conduite avant-guerre, sort renforcée de la douloureuse épreuve de la Première Guerre. C’est tout naturellement qu’en patriote alsacien, Weiss s’engage résolument dans la lutte patriotique contre l’agresseur allemand. Ses travaux d’alors rappellent la violation de la neutralité des Etats envahis par les Allemands, exaltent la paix française au détriment de la « paix germanique », se projettent dans l’avenir en envisageant la question des dommages de guerre.

L’après-guerre lui offre l’occasion de mettre en œuvre son combat pour la paix, dans la ligne d’un Briand. Ainsi, il se fait l’avocat ardent d’une Société des Nations, dont il accompagne et salue la naissance, notamment dans un article au Cluneten 1925. Son décès en 1928 prive de son soutien les espérances de la jeune institution, mais prévient aussi l’amertume d’un combat.

 

Baudouin ANCEL

Docteur en droit
Institut d’histoire du droit – Université Panthéon-Assas (Paris 2)

 

Sources : AN, F17 23732 ; Archives diplomatiques, Personnel, dossier nominatif, 2ème série, volume 1555 ; « Notice biographique d’André Weiss » ; « Biographie de M. André Weiss, vice-président », Rapport annuel de la Cour permanente de Justice internationale, n°1, années 1922-1925, p. 13 ; « Weiss, André, Charles », base de données Siprojuris  ; B. Ancel, Lois de police et ordre public dans le droit des conflits, thèse de doctorat, Paris II, 2019, t. 2, pp. 863-875 ; D. Anzilotti « Discours à la mémoire d’André Weiss », Rapport annuel de la Cour permanente de Justice internationale, n°5, années 1928-1929, p. 10 ; E. Bartin, « André Weiss », JDI, n°55, 1928, pp. 849-852 ; H. Capitant, « Notice sur la vie et les travaux d’André Weiss », Séances et travaux de l’Académie des sciences morales et politiques, compte-rendu, 91e année, 1931, n°2, pp 10-50 (reproduite par Christophe LE BERRE, « Sélection de notices nécrologiques des professeurs de droit sous la IIIe République », RHFD, n°32, 2012, pp. 239-331, spéc. pp. 275-324) ; J.-L. Halpérin, « Weiss, Charles-André », Dictionnaire historique des juristes français (XIIe-XXe siècle), Paris, 2e édition, 2015, p. 1015 ; J.-P. Niboyet, « Trois jurisconsultes. Antoine Pillet †1926. André Weiss †1928. Camille Jordan †1929 », Revue de droit international privé, n°24, 1929, pp. 577-591

 

BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE

 

Monographies

Etude sur les conditions de l’extradition, thèse de doctorat, Paris, 1880

Le droit fétial et les fétiaux à Rome, étude de droit international, thèse de doctorat, Paris, 1883

Traité élémentaire de droit international privé, Paris, 1ère édition, 1886, et 2ème édition, 1890 (à partir de la 3ème édition, le Traité élémentaire prend le nom de Manuel)

Manuel de droit international privé, Paris, 1ère édition, 1895 (6ème édition, Paris, 1909). Le Manuel a connu neuf éditions du vivant de l’auteur

Traité théorique et pratique de droit international privé, 5 tomes, Paris, 1892-1905 (tome 1er, 1892 ; tome 2e, 1894 ; tome 3e, 1898 ; tome 4e, 1901 ; et tome 5e, 1905)

La violation de la neutralité belge et luxembourgeoise par l’Allemagne, publication du Comité d’études et de documents sur la guerre, Paris, 1915

 

Cours

« Le droit de la paix », in La paix et l’enseignement pacifiste. Leçons professées à l’École des hautes études sociales, Paris, 1904, pp. 45-74 (voir aussi le tiré à part)

« Compétence ou incompétence des tribunaux à l’égard des Etats étrangers », RCADI, tome I, 1923, pp. 521-551

 

Articles

« Le droit fétial et les fétiaux à Rome, étude de droit international », La France judiciaire, 1882-1883, I, pp. 441-452 et 465-496

« Les crimes et délits politiques dans les rapports de l’Autriche-Hongrie et de la Russie », JDI, tome 10, 1883, pp. 247-262

« Les sujets ottomans peuvent-ils acquérir ou transmettre par succession légitime en Autriche ? », JDI, tome 10, 1883, p. 495-497

« Le droit d’extradition appliqué aux délits politiques, d’après le Dr. H. Lammasch », Revue générale du droit, de la législation et de la jurisprudence en France et à l’étranger, tome 8, 1884, pp. 249-260, 322-348, 424-438, 519-543 (avec Paul Louis-Lucas)

« Quelques mots sur la faillite des commerçants en droit international privé », Annales de droit commercial français, étranger et international, tome 2ème, 1888, n°2, pp. 109-124 et 168-183 (tiré à part sous le même titre, Paris, 1889)

« De la compétence des tribunaux français entre étrangers en matière d’état », Le Droit, Samedi 15 juin 1889, n°139, pp. 563-564

« L’Institut de Droit international et sa session de Paris en 1894 », Revue politique et parlementaire, tome 1er, 1894, pp. 91-97

« Le Code civil et le conflit de lois », Livre du Centenaire du Code civil (1804-1904), tome 1er, Paris, 1904, rééd. Paris, 2004, pp. 249-262

« De l’exécution des sentences arbitrales étrangères en France », Revue de droit international privé, tome 2, 1906, n°1, pp. 34-48

« L’arbitrage de 1909 entre la Bolivie et le Pérou », Revue générale de droit international public, 1910, pp. 105-136 (tiré à part sous le titre de Bolivie et Pérou. L’arbitrage de 1909 entre la Bolivie et le Pérou Paris, 1910)

« Le droit international d’hier et de demain », Scientia, volume XIX, Milan, 1916, pp. 58-70

« Paix germanique ou paix française », in Charles Rep, Pourquoi nous sommes soldats, Paris, 1916, pp. 13-20

« La Société des Nations et le développement du droit international privé », JDI, tome 52, 1925, pp. 5-13

 

Traductions et annotations d’articles 

Carl Ludwig von Bar, « L’expulsion des étrangers », JDI, tome 13, 1886, pp. 5-16

Carl Ludwig von Bar, « Esquisse du droit international privé », JDI, tome 14, 1887, pp. 257-273, et tome 15, 1888, pp. 5-17 et 441-447

 

Rapports 

« Conflits de lois et législation internationale en matière de faillites », Annuaire de l’Institut de Droit International, tome XI (1889-1892), session de Hambourg (septembre 1891), Paris, 1892, pp. 114-128

« Conflits de lois en matière de nationalité (naturalisation et expatriation) », Annuaire de l’Institut de Droit International, tome XIII (1894-1895), session de Paris (mars 1894), Paris, 1894, pp. 162-178