CALONDER

Photo : Bibliothèque nationale suisse

FÉLIX CALONDER

(1863-1952)

 

Félix Calonder fut un juriste, homme d’État et haut fonctionnaire international suisse. Bien qu’il ne produisît pas d’œuvre doctrinale à proprement dire, sa contribution au développement du droit international fut à la fois originale et novatrice.

Un homme politique suisse ouvert à l’international

Félix Louis Calonder naquit le 7 décembre 1863 à Scuol (Engadine) dans une famille d’artisans romanches. Après des études secondaires entrecoupées par un séjour en Suisse romande et des activités commerciales en Sicile, il étudia le droit à Zurich, Munich, Paris, en Angleterre, puis à Berne où, en 1890, il soutint une thèse dédiée – fait rare à l’époque – à un sujet de droit international, en l’occurrence la question de la neutralité suisse. De retour dans son canton natal, Calonder y entama bientôt une carrière d’homme politique. Député libéral au parlement cantonal dès 1891, il devint en 1913 le premier Romanche à intégrer le Conseil fédéral suisse.

Si ses responsabilités politiques ne mirent pas Calonder au contact direct des grandes questions du droit international, il garda néanmoins des liens avec celui-ci : en 1908, il fut chargé par le Conseil fédéral de représenter la Suisse au sein d’une commission devant s’occuper des forces hydrauliques et de la navigation fluviale entre la Suisse et le Grand-Duché de Bade ; en 1914, il compta parmi les fondateurs de la Société suisse de droit international.

L’artisan de l’adhésion suisse à la Société des Nations

Toutefois, ce ne fut qu’à partir du 24 novembre 1917, lorsqu’à la surprise générale Calonder présenta aux délégués du Parti radical-démocratique un programme de politique étrangère aux accents wilsoniens, que son nom sera durablement associé à l’idée d’un nouvel ordre juridique international. Il put bientôt contribuer à l’édification de celui-ci. Élu président de la Confédération suisse pour l’année 1918, Calonder se retrouva de ce fait également placé à la tête du Département politique, en charge des affaires étrangères. Dans ces fonctions, qu’il conservera jusque fin 1919, Calonder organisa l’adhésion suisse à la SdN.

Pour ce faire, il sut s’entourer d’une équipe particulièrement compétente, comprenant notamment Max Huber, qu’il nomma jurisconsulte du Département politique. À la conférence de paix à Paris en mars 1919, Calonder inaugura la politique de neutralité différentielle de la Suisse en déclarant qu’une fois membre de la SdN, son pays participerait aux sanctions économiques (mais non pas militaires) décidées par le Conseil. En dépit de fortes divisions entre les parties romande et alémanique du pays, ses efforts finirent par aboutir : le 21 novembre 1919, le Conseil fédéral et l’Assemblée fédérale votèrent l’adhésion suisse à la SdN. Bien qu’il en eût pris l’initiative, Calonder ne fut plus aux affaires au moment de la votation populaire confirmant cette adhésion, le 16 mai 1920. Physiquement et moralement épuisé, politiquement marginalisé sur la question du Vorarlberg (où il avait soutenu le résultat d’un plébiscite en faveur d’un rattachement à la Suisse), il avait démissionné du Conseil fédéral en janvier de la même année.

Un neutre au service de la Société des Nations, de Genève à Katowice

S’étant mis en retrait de la politique, Calonder profita d’un séjour au Royaume-Uni pour rafraîchir ses connaissances en anglais et en droit international. Dès septembre 1920, le Conseil de la SdN le nomma membre de la Commission de rapporteurs sur la question des Îles d’Åland. Un an plus tard, sur la recommandation de Gustave Ador, le Conseil le choisit comme président de la Conférence germano-polonaise relative à la Haute-Silésie. Ce fut notamment grâce aux talents de conciliateur de Calonder que celle-ci se conclut le 15 mai 1922 à Genève par la signature d’une monumentale Convention de 606 articles.

Censé atténuer les conséquences économiques et humaines du partage d’un des principaux bassins industriels d’Europe, ce régime conventionnel conclu pour 15 ans comprenait non seulement une série de droits et libertés individuels d’ordre socio-économique, mais aussi le régime de protection des minorités le plus détaillé de l’époque. Pour en garantir l’effectivité, la Convention créa deux organes internationaux établis en Haute-Silésie : un Tribunal arbitral, sis à Beuthen/Bytom et présidé par Georges Kaeckenbeeck, et une Commission mixte, installée à Katowice/Kattowitz. Le président de cette dernière devait veiller au respect des droits des minorités par les autorités administratives, notamment en répondant à des pétitions par des avis non contraignants pouvant faire l’objet d’un appel devant le Conseil de la SdN. L’Allemagne et la Pologne demandèrent au Conseil de confier cette responsabilité à Calonder.

Celui-ci s’en acquitta consciencieusement : des 2 283 pétitions ordinaires reçues par Calonder, 1 929 se résolurent par un accord à l’amiable. S’il ne parvint pas toujours à s’imposer face à la Pologne (sur la question des écoles minoritaires, sa conception subjective de l’appartenance à la minorité fut ainsi en partie désavouée par le Conseil et la CPJI), Calonder eut plus de succès face à l’Allemagne. Se sachant soutenu par le Conseil, il réussit même à obtenir la suspension des mesures antijuives en Haute-Silésie allemande entre 1934 et la fin du régime conventionnel le 15 juillet 1937. On estime aujourd’hui que l’engagement de Calonder permit à des centaines de familles juives de préparer leur émigration et d’échapper ainsi à la Shoah.

L’auteur d’un ensemble jurisprudentiel cohérent dédié à la protection internationale de l’individu

Une des dernières actions de Calonder en tant que président de la Commission mixte de Haute-Silésie fut d’obtenir la publication de ses 127 avis sur le droit des minorités. Si cet ensemble jurisprudentiel reste peu connu aujourd’hui, il ne frappe pas moins par sa cohérence et son originalité. Rédigés comme des décisions de justice, comprenant des principes devant assurer l’effectivité des droits des individus concernés (recours à l’interprétation téléologique, reconnaissance du dommage moral causé par des atteintes à la dignité individuelle, jus standi des associations minoritaires devant la Commission mixte, interdiction de toute forme de discrimination indirecte, etc.), les avis du président Calonder semblent préfigurer les décisions des juridictions internationales des droits de l’homme. Elles portent également la marque d’un homme qui estima toujours que le droit international devait également profiter à toutes les classes sociales, et que la maxime De minimis non curat prætor n’avait pas lieu d’être devant un juge chargé de maintenir la paix entre communautés.

Rentré en Suisse, Calonder se consacra surtout à des activités privées, notamment en tant que président du conseil d’administration de la compagnie d’assurances Helvetia, où il côtoya Paul Guggenheim. Associé à l’Institut de droit international depuis 1929, Calonder en devint membre en 1947. Il décéda à Zurich le 14 juin 1952.

 

 

Michel ERPELDING  

Docteur en droit public

Chargé de recherche à l’Institut Max Planck Luxembourg pour le droit procédural

 

Sources : Anonyme, « Bundesrat Calonders Demission », Bündner Jahrbuch, vol. 17 (1975), pp. 131-134 ; Archives de la Commission mixte de Haute-Silésie (auprès des Archives de la SdN) ; E. Ben Elissar, La diplomatie du IIIe Reich et les Juifs (1933-1939), Paris, Christian Bourgois, 1969 ; Conseil de la SdN, 10e session, 2e séance, 28 octobre 1920, JOSDN, vol. 1 (1920), pp. 29-30 ; Conseil de la SdN, 18e session, 9e séance, 16 mai 1922, JOSDN, vol. 3 (1922), pp. 541-542 ; Reto Caratsch, « Das Leben Felix Calonders », Rätia – Bündner Zeitschrift für Kultur (1944), pp. 145-156, 193-208, 241-254 ; N. Berman, « ‘But the Alternative is Despair’ : European Nationalism and the Modernist Renewal of International Law », Harvard Law Review, vol. 106 (1993), pp. 1792-1903 ; P. Guggenheim, « Félix Calonder (1863-1952) », AIDI, vol. 45 (1954), pp. 371-376 ; M. Huber, « Felix Calonder (8. Dezember 1863 – 15. Juni 1952) », Annuaire suisse de droit international, vol. 9 (1952), pp. 7-20 ; M. Huber, Denkwürdigkeiten, 1907-1924, Zurich, Orell Füssli, 1974 ; G. Kaeckenbeeck, The International Experiment of Upper Silesia, Oxford, Oxford University Press, 1942 ; M. S. Korowicz, Une expérience de droit international – La protection des minorités de Haute-Silésie, Paris, Pedone, 1946 ; J. Simonett, « Felix Calonder, 1863-1952 », in U. Altermatt (dir.), Die Schweizer Bundesräte – Ein biographisches Lexikon, Zurich, Artemis & Winkler, 1991, pp. 327-332 ; P. Stauffer, « ‘Staatsmann des kommenden Europa’ ? Felix Calonder und seine Tätigkeit im deutsch-polnisch-jüdischen Spannungsfeld Oberschlesien, 1921-1937 », in P. Stauffer, Polen – Juden – Schweizer, Zurich, Neue Zürcher Zeitung, 2004, pp. 12-117 ; P. Stauffer, « Der patriotische Internationalist : Felix Calonder als Schweizer Aussenpolitiker und als ‘Minderheitenschützer’ im deutsch-polnisch-jüdischen Spannungsherd Oberschlesien », Bündner Monatsblatt : Zeitschrift für Bündner Geschichte, Landeskunde und Baukultur (2005), pp. 3-21 ; G. Weissmann, « Die Durchsetzung des jüdischen Minderheitsrechtes in Oberschlesien 1933-1937, Bulletin des Leo Baeck Instituts, vol. 22 (1963), pp. 154-198.

 

 

BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE

 

Ouvrages

Ein Beitrag zur Frage der schweizerischen Neutralität, thèse, Zurich, E. Cotti, 1898, 146 p.

 

Avis du Président de la Commission mixte de Haute-Silésie

Gemischte Kommission für Oberschlesien/Komisja Mieszana dla Górnego Śląska, Amtliche Sammlung der Stellungnahmen des Präsidenten der Gemischten Kommission für Oberschlesien auf dem Gebiete des Minderheitenrechtes auf Grund der Vorschriften des III. Teils des deutsch-polnischen Genfer Abkommens vom 15. Mai 1922 in der Zeit vom 15. Juni 1922 bis 15. Juli 1937/Zbiór urzędowy poglądów Prezydenta Komisji Mieszanej dla Górnego Śląska z dziedziny praw mniejszościowych wydanych na podstawie przepisów części III polsko-niemieckiej Konwencji Genewskiej z dnia 15 maja 1922 w czasie od 15 czerwca 1922 do 15 lipca 1937, Berlin et Leipzig, De Gruyter/Cieszyn, Dziedzictwo, 1937, 2 vol.